De l'influence des NTIC sur les organisations de presse

 

 


L'introduction récente des nouvelles technologies de l'information et de la communication a profondément bouleversé les organisations de presse. Dans un premier temps, dès le début des années 80, d'importants efforts de modernisation ont été pratiqués consistant en l'utilisation systématique de l'informatique et de logiciels de mise en page ou de numérisation de l'image. Dans un second temps, à partir du milieu des années 90, l'arrivée d'internet ne s'est pas contenté de permettre une modernisation technologique : elle a surtout modifié le paysage de la presse par l'arrivée des éditions en ligne. Prenant l'apparence de portails avec un accès généralement gratuit, les sites de presse en ligne impliquent un changement dans l'organisation des rédactions et dans le contenu du rédactionnel. L'accès à internet modifie aussi la collecte d'information des journalistes qui recourent à la veille informationnelle. Enfin, la multiplicité des offres rend le client plus volatil incitant à repenser les stratégies de marketing. Nouveaux produits, nouveaux usages.

 

Les mutations fondamentales qui s'effectuent sous nos yeux dans les organisations de presse constituent un champ d'étude particulièrement propice aux analyses croisées de différentes disciplines. Ainsi ces changements essentiels constituent un territoire d'expérimentation aussi bien pour les économistes et les gestionnaires que pour les spécialistes des sciences de l'information et de la communication. Bien qu'employant des outils et des méthodologies radicalement différentes, les deux types d'approches fournissent des résultats convergents et complémentaires quant à la compréhension des changements en cours.

 

L'introduction d'Internet comme outil de production puis de diffusion a été généralement réalisée de façon soudaine, voire abrupte, par les éditeurs. Non seulement elle n'a pas fait l'objet d'une négociation interne aboutissant à une prise de décision réellement démocratique, ni d'études de faisabilité conduisant à faire appel à des structures spécialisées en ingénierie organisationnelle qui auraient pu combiner audit social et audit technologique dans une visée d'intégration concertée des NTIC. Mais surtout elle n'a pas vraiment suscité, à quelques rares exceptions près, de politique officielle de sensibilisation et de formation destinées à mieux accueillir et valoriser l'arrivée du nouvel outil de fabrication de l'information. Un grand nombre de rédacteurs interrogés (usagers réguliers ou non d'Internet) regrette cette absence de concertation et de préparation du personnel ("c'est vraiment dommage que nous n'ayons pas été préparés à affronter ce nouveau défi", nous a confié déçu un chef de rubrique...). Les dirigeants n'ont pas forcément agi de façon très rationnelle : conscients des incertitudes liées au développement du cyberespace et de la nouvelle économie, ils ont surtout cherché à "s'aligner sur les autres" (effet d'imitation), dans une dynamique de fuite en avant que nous avons qualifiée avec d'autres de "pari pascalien" [Pélissier et Romain, 1998]. Celui-ci porte en particulier sur l'incidence d'Internet en matière de rentabilité (financière), de productivité (physique) et de compétitivité (marchande), avec des avantages attendus plus flous au niveau de la communication interne et externe (vitrine en-ligne du journal, développement d'un travail collaboratif inédit...). Cela explique de leur part des décisions d'investissement parfois soudaines, maladroites, énigmatiques et inégalement réparties...bien loin de l'état d'esprit de celles qui avaient présidé à l'information généralisée des rédactions quelques années auparavant [Ruellan et Thierry, 1998].

 

Il nous semble possible de recentrer la problématique de notre analyse, au demeurant fort complexe car riche en ramifications potentielles, autour de deux questions centrales : 1/ quelle est l'incidence de l'introduction et de la diffusion d'Internet dans les organisations de presse ? 2/ Les réseaux numériques changent-ils en profondeur la nature de la profession journalistique ? En d'autres termes, sachant qu'un nombre croissant d'acteurs impliqués aujourd'hui dans une nouvelle fonction d'expertise informationnellen'ont pas été formés aux canons académiques et entrepreneuriaux du journalisme d'information classique, quelle sorte de bouleversement identitaire va résulter de cette mutation ?

 

L'architecture de notre réflexion croisée est organisée dans un premier temps autour des outils et résultats fournis par les sciences de l'information et de la communication puis dans un second temps  autour de ceux fournis par les sciences économiques et de gestion.

 

I - L'ÉVOLUTION du métier de journaliste au coeur des sciences de L'INFORMATION et de la communication

Afin de répondre aux interrogations soulevées par la mutation des organisations de presse, trois courants de recherche fréquemment invoqués en sciences de l'information et de la communication sont utilisés: la socio-politique des usages des innovations technologiques ; la pragmatique de l'Ecole de Palo Alto appliquée à un milieu professionnel ; les théories de la cyberculture et de la complexité. Le point commun de ces orientations conceptuelles demeure un engagement personnel résolu de l'auteur de cette partie (mais non exclusif) en faveur d'une épistémologie constructiviste qui permette de dépasser, mais aussi de réconcilier, des courants parfois opposés et emprunts d'une vision par trop déterministe et linéaire de l'insertion d'une technologie dans un univers social donné. Loin de dresser un inventaire exhaustif et détaillé de ces courants, nous nous bornons ici à effectuer quelques rappels destinés à la compréhension dynamique de notre démarche et à la proposition de quelques pistes théoriques aux chercheurs intéressés par notre problématique.

 

1. Socio-politique des usages et savoir-faire journalistique

En mobilisant ce paradigme, nous avons tout d'abord souhaité appréhender les mutations organisationnelles attendues et générées par l'introduction et la diffusion d'Internet dans les entreprises de presse, en Roumanie puis en France [Pélissier et Romain, op.cit. ; Pélissier, 1998 et 1999]. A cet effet, nous avons localement pratiqué des analyses de représentations, sur la base de guides d'entretien et de méthodologies qualitatives moins usuelles.

 

Le recours à la socio-politique des usages [Vitalis, 1994] nous a paru pertinent à deux niveaux. D'une part, pour penser l'introductiond'une nouvelle technologie dans un corps social bien spécifique, il s'agit de dégager une "troisième voie" entre déterminisme technique(propagandistes et diffusionnistes, par exemple) et déterminisme social(modèles socio-constructivistes ou culturalistes), ces deux courants antagoniques ayant pour limites de cantonner à un processus séquentiel, linéaire et réducteur l'influence réciproque entre technique et société. Afin de rendre complémentaires les travaux souvent féconds issus de ces deux pôles déterministes, la socio-politique des usages étudie avant tout le caractère interactifdes relations technico-sociales [Flichy, 1991]. Certains auteurs créent dans cette perspective de nouveaux concepts tels que la médiation socio-technique[Jouët, 1993] ou la configuration socio-technique[Vedel, 1994]. Cette dernière suggère une dialectique constante entre logique technique et logique sociale : "les contraintes propres aux outils n'existent pas en soi, mais ne se manifestent qu'au travers de leur mise en oeuvre par les acteurs sociaux. De la même façon, les relations sociales mises en oeuvre lors du processus d'innovation technologique n'existent que par la médiation de la technique" [Id., p. 30]. D'autre part, la socio-politique des usages, au regard des potentialités de diffusiond'une technique dans une société donnée, s'efforce de penser ensemble une logique de l'offreet une logique de la demande: certes, de nombreux travaux ont pendant longtemps occulté les capacités de réappropriation, de détournement, voire de braconnagedes utilisateurs [De Certeau, 1980], mais celles-ci ne peuvent conduire pour autant à minimiser l'impact d'une certaine offre technologique génératrice de contraintes qui place l'usager en bout de chaîne [Möeglin, 1994]. D'où l'opportunité de penser la diffusion technologique en termes de rapports d'usage, qui supposent "une confrontation itérative de l'instrument et de sa fonction avec le projet de l'utilisateur", ce dernier se trouvant "au noeud d'interactions complexes entre son projet, son désir profond et le modèle d'utilisation auquel il pense" [Perriaut, 1989, p. 135].

 

Appliquée aux organisations médiatiques, la socio-politique des usages peut se révéler utile, car elle prend en compte simultanément les acquis de deux courants de recherche en journalisme. Le premier survalorise les effets d'offre et leur pré-détermination par les stratèges du marketing et de la finance. Dès lors, les contraintes liées à la technologie génèrent un processus d'uniformisation et de rigidification des pratiques professionnelles [voir par exemple Palmer, 1983 ; De La Haye, 1985 ; Accardo, 1995] conduisant à un appauvrissement des contenus. Le deuxième courant, moins fataliste, insiste au contraire sur la "plasticité" historique des organisations de presse et sur les capacités des journalistes-usagers à se réapproprier rapidement les innovations techniques puis à s'en servir comme nouvelles ressources destinées à la recomposition de leur identité en cas de crise. Des chercheurs comme Gérard Cornu [1990] concluent même à l'"impossible rationalisation" du métier de journaliste. Effectuant une synthèse de ces deux tendances, DenisRuellan [1993] avance l'idée heuristique d'un savoir-faire journalistiquesituée dans la perspective de la socio-politique des usages. Certes, les journalistes transforment les technologies et ces dernières ont une certaine incidence sur les pratiques. Mais ce jeu technologique ne peut être exagéré : toutes aussi importantes sont l'intuition professionnelle et la capacité à médiatiser la complexité du réel. Ainsi, une technique n'a de chances d'être acceptée, utilisée et valorisée par la profession que si celle-ci y trouve un certain nombre d'avantages (matériels, symboliques, ergonomiques, etc.), comme l'ont d'ailleurs montré certaines études récentes sur l'informatisation des rédactions [Ruellan et Thierry, op.cit.]. Mais cette position relativiste peut être remise en cause lorsque la nature de l'offre technologique se révèle très contraignante [Klinenberg, 2000]. En outre, la socio-politique des usages prend tout son sens lorsque l'usager conserve tout de même une certaine liberté de choix. Or, dans certaines rédactions de presse, notamment en Amérique du Nord [Demers et Le Cam, 2000], les journalistes ont dû "faire avec" les innovations qui leur ont été imposées, et seule une minorité a su en tirer profit, y trouvant quelque intérêt identitaire et financier.

Ce dernier point amène à s'interroger sur l'incidence de la technologie nouvelle sur les procédures de travail, et donc à faire appel au deuxième courant de recherche mentionné ci-dessus.

 

2. La pragmatique de Palo Alto appliquée au système médiatique et à son contexte

Dans la perspective épistémologique ouverte par l'ouvrage Rencontre de Paul Watzlawick[Le Boeuf, 1999], nous avons cherché à appréhender la profession journalistique comme un univers socio-professionnel "surexposé" à toutes sortes de paradoxes de nature pragmatique. Suivant une piste explorée par d'autres chercheurs [Ruellan, op.cit.], et recourant par ailleurs aux travaux d'inspiration critique suscités par l'oeuvre de Pierre Bourdieu autour de la notion féconde de "misère de position" des journalistes [Accardo, op.cit.], nous avons émis l'hypothèse que ces derniers entretenaient avec leur environnement des relations circulaires, permanentes, contextualisées, récursives et surtout paradoxales. Ces relations affectent le vécu quotidien et font en sorte que celui qui s'y trouve confronté subit une double contrainte pragmatique (double bind) dont la résolution implique en général plus de temps et de distanciation(capacités de "métacommunication") que les journalistes n'en ont à leur disposition. En outre, en considérant le système médiatiquedans sa globalité dans la lignée des travaux de Michel Mathien [1992], nous avons situé ces interactions paradoxales, qui constituent à la fois une faiblesse (fragilisation, déstructuration) et une force (légitimation et réassurance) pour la profession, à au moins cinq niveaux : relations à la règle, au public, aux pairs, aux sources et au produit. Ces bases posées, nous avons tenté, dans la perspective des enquêtes de terrain suscitées par le programme de l'ONTICM, à renouveler cette modélisation des relations journalistes/environnement à la lumière de l'introduction et de la diffusion d'Internet dans la rédaction de presse régionale. Nous avons émis une autre hypothèse : Internet peut jouer le rôle d'un "catalyseur d'interactions paradoxales" entre la profession journalistique et son contexte de travail.

Au niveau des relations à la règle, il va certes faciliter une meilleure connaissance de la loi et de la déontologie professionnelle, et orienter le journalistes vers des sources parfois plus fiables que celles dont il dispose sur le terrain ; mais il est aussi facteur de brouillage des codifications juridiques (par exemple, comment distinguer le journalisme d'autres profession concurrentes sur le Web et renouveler de façon réaliste, juste, la question des droits d'auteurs ?) et surtout de dérives pouvant entraîner les journalistes "hors-la-loi" (problème de vérification et de recoupement des informations, poids croissant des sources d'information stratégique sur le réseau, etc.). Quant aux relations au public, Internet paraît favoriser à la fois un rapprochement (nouvelles procédures de "dialogues" avec le lecteur...) et un éloignement (montée en puissance d'un journalisme assis moins présent sur le terrain, possibilités offertes au public de se construire son propre "parcours de navigation" sans orientation préalable d'un médiateur...). En ce qui concerne les relations aux pairs, Internet semble susciter un mouvement contradictoire de standardisation/différenciation, car il demeure un puissant outil de recherche du scoop(source d'individualisation et de démarcation), mais dans le même temps il se prête, de par sa structure réticulaire, à la propagation d'un phénomène auto-référentiel de repris une boucle des informations dans un contexte de globalisation et d'harmonisation des formats éditoriaux. Les relations aux sourcesse trouvent également affectées de façon paradoxale, puisqu'Internet engendre simultanément une dynamique d'autonomisation (revalorisation de la compétence documentaire des rédacteurs) et de dépendance accrue du journaliste par rapport à des sources institutionnelles dont la présence sur le Web est de plus en plus affirmée, ainsi qu'un processus de rapprochement (succès de l'Internet "de proximité") et d'éloignement (perte de contact avec le territoire réel).

 

Au regard de quatre premiers niveaux envisagés, le développement d'Internet dans la profession reste pour le moment lacunaire, parcellaire, inégalement réparti et facteur de changement vertueux. Comme nous le verrons, loin de simplifier, rationaliser et renouveler en profondeur les tâches, il a plutôt agi comme un "accélérateur de complexité" [Pélissier et Ruellan, op.cit.]. Il a de ce fait déstabilisé plutôt que recomposé une profession de plus en plus tiraillée par des exigences antagoniques, brouillant encore davantage une répartition des frontières et des rôles professionnels de moins en moins claire depuis deux décennies. D'où l'intérêt actuel des travaux critiques à vocation "démystificatrice" qui insistent sur les nouveaux facteurs d'asservissement et de contrôle social dans les entreprises de presse et sur un certain appauvrissement identitaire qui en résulte pour des journalistes transformés en "stakhanovistes" et/ou "hommes-orchestres" [Klinenberg, op.cit. ; Fortin, 2000 ; Neveu, 2001].

 

Pour finir, il convient aussi d'aborder le cinquième niveau annoncé plus haut, celui des relations au produit. Mais ce dernier nous conduit à nous interroger sur l'évolution de la nature même de la profession : va-t-on vers une information "encyclopédique" permises par les potentialités d'"intelligence collective" offertes par la navigation hypertexte, ou au contraire vers une "information de surface" que le journaliste se bornerait à "pousser" vers le consommateur ?

 

3. Théories de la cyberculture et traitement médiatique de la complexité

Selon certains théoriciens de la cyberculture [Weissberg, 1999],  les nouveaux réseaux numériques provoquent actuellement un changement technologique, mais aussi paradigmatique, en bouleversant notre façon d'appréhender le monde : à un mode d'accès à la connaissance basé sur l'écriture linéaire et textuelle, ils substitueraient progressivement un nouveau mode basé sur les trois principes fondateurs de l'Internet : la navigation (qui supposerait l'affranchissement des limites spatiales et temporelles de l'écriture traditionnelle), l'hypertexte (qui favoriserait une mise en boucle généralisée des connaissances entre elles) et l'interaction (qui permettrait aux utilisateurs d'entretenir des relations permanentes et rétroactives avec n'importe quel point du réseau de communication dans une perspective d'apprentissage mutuel et d'émergence d'une intelligence collective).

 

Bref, l'information en-ligne ne se décline pas seulement sur le mode de la juxtaposition pluri-médiade divers supports traditionnels (textes, sons, images fixes et animées, vidéos ou de synthèse) qui exigerait chez les éditeurs avant tout une compétence assortie de quelque talent en matière d'infographie. Elle suppose également un principe de navigation hypermédiaqui va amener le journaliste à créer et mettre judicieusement en place des balises hypertextuelles destinées à orienter le parcours des lecteurs, activité qui va requérir ce que nous avons appelé une compétence encyclopédique[Pélissier et Ruellan, 2001]. Cette dernière peut se définir comme la capacité qu'aurait le journaliste à proposer un traitement contextuel, référentiel et récursifdes informations reposant sur une "mise en boucle" (notion qui renvoie à l'étymologie de l'encyclopédie) rétroactive et généralisée de celles-ci : liens "internes" permettant aux textes de certaines rubriques (politiques, économiques, culturelles, etc.) de renvoyer vers d'autres textes figurant dans d'autres rubriques ; liens "externes" proposant aux visiteurs de cheminer vers d'autres sites dans la perspective d'approfondissement d'une problématique (originaux des textes de loi, sources institutionnelles à l'origine d'une décision, etc.). Ce n'est que dans cette perspective que le "cyberjournalisme" pourra apporter une valeur ajoutée au paradigme classique du journalisme d'information. La profession verrait même son statut probablement revalorisé par ce changement, sachant que ce modèle classique continue de demeurer un "référent informationnel" pour les lecteurs internautes [Jeanne-Perrier, 2000]. Mais cela nécessite, pour la profession, un renouvellement de sa machine de vision[Baltz, 2001], dans le sens d'un changement de dimension et de cadrage de ses "focales" destiné à aguerrir ses capacités de métacommunication (savoir se regarder soi-même "de l'extérieur"). Cela le conduira alors à "penser ensemble" certains problèmes traités auparavant de façon disjointe et à mettre en lien ses connaissances en vue d'une compréhension affinée du monde social.

 

Ce point de vue nous conduit à évoquer le cadre épistémologique qui le sous-tend : les théories de la complexité. Celles-ci supposent une rupture avec les modèles positivistes de manipulationdu réel fondés sur un certain nombre d'opérations à visée objectivante (séparation, isolement, réduction, hiérarchisation, inclusion, déduction, analyse...) au profit d'une démarche constructiviste de compréhension. Dès lors, l'activité journalistique gagnerait, pour mieux rester en phase avec la complexité du monde, à fonctionner selon des principes différents tels que l'association, l'induction, l'interaction, la récursivité et l'incertitude [voir Morin, 1993 ; Le Moigne, 1998]. Une telle attitude suppose de fait un solide bagage de connaissances liées à la "culture générale" et aux "humanités", mais aussi la valorisation de l'interconnexion de ces connaissances dans la perspective d'une "intelligence de la complexité" [Le Moigne et Morin, 1999]. Dès lors, la compétence technologique invoquée plus haut doit s'assortir d'une compétence encyclopédique dont l'utilité se révèle flagrante dans le cas de spécialités telles que le journalisme scientifique.

Mais les entrepreneurs et les formateurs qui entendent "préparer" les journalistes à l'usage d'Internet ont-ils vraiment conscience de ces enjeux ? Si ce n'est pas le cas, le journalisme en-ligne risque de demeurer longtemps une copie colléeratée du journalisme hors-ligne...

 

 

II - Le rôle de l'information mis en évidence par les économistes et les gestionnaires.

Les économistes analysent l'impact des NTIC généralement selon trois prismes complémentaires. Initialement préoccupées par la réalité des NTIC et leur rôle dans la croissance, les analyses ont été dans un premier temps de type macroéconomique (influence sur la productivité totale des facteurs de production) puis, dans un second temps, elles se sont déplacées vers l'organisation des marchés et la place de l'information au sein des entreprises et des processus économiques. Les trois angles d'attaque sont le paradoxe de la productivité, l'économie numérique (aussi appelée "nouvelle économie" ou économie des réseaux[Shapiro et Varian, 1999]) et le management des connaissances. Nous verrons que ces trois approches sont applicables aux organisations de presse et font écho aux trois courants de recherche relevant des sciences de l'information et de la communication évoqués précédemment.

 

1. Le paradoxe de la productivitéappliqué à la presse en ligne : la nécessité d'innovations organisationnelles.

L'apport des NTIC à la croissance a été discuté sur la base du paradoxe de la productivité ou "paradoxe de Solow". Dans un article de 1987, Robert Solow remarquait qu'on voyait des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité [SOLOW, 1987]. Robert Gordon [2000] analyse la croissance américaine durant ce qu'il appelle "le miracle macroéconomique" des années 1995-2000. Il met en évidence une faible accélération de la croissance de la productivité des facteurs de production (0,8% par an) fortement concentrée dans le secteur des biens durables. La croissance américaine ne serait donc pas due aux innovations technologiques mais à la politique macroéconomique [Arthus (2001)]. Le paradoxe de la productivité s'efface lorsque le problème de la mesure des prix des nouvelles technologies est pris en compte. L'obsolescence du matériel informatique ou des logiciels est infiniment plus rapide que celle du matériel utilisant des technologies traditionnelles.  Les prix des nouvelles technologies sont surestimés ce qui induit une sous-estimation des volumes d'investissement (prix hédonistes = le prix des matériels est modifié afin de tenir compte des améliorations de qualité et de performance. L"effet qualité" étant difficile à mesurer, il est estimé à l'aide de modèles économétriques incorporant les caractéristiques techniques du produit. Ces prix sont dits hédonistes car la satisfaction (hédonisme = plaisir) des consommateurs n'est pas liée à la consommation du bien en lui-même mais aux services rendus par le bien). Outre les difficultés de mesure, "le rôle joué par l'organisation interne des entreprises offre une solution au paradoxe. L'absence d'impact au niveau agrégé des technologies de l'information cacherait une réussite dans les industries où les entreprises ont adopté des pratiques innovantes de travail et un échec dans les industries non réorganisées". En effet, Azkenazy et Gianella [2000] montrent que les NTIC prennent leur réelle efficacité si elles sont accompagnées d'une évolution profonde des structures organisationnelles de production et de circulation de l'information dans l'entreprise. Elles nécessitent aussi des investissements conjoints en formation des personnels.

Intégrant ces remarques, certains auteurs concluent en faveur de la fin du paradoxe de la productivité en mettant en évidence une élasticité positive entre croissance et investissement en NTIC.Les NTIC agissent sur l'économie de trois manières. Outre l'effet classique des investissements sur les gains de productivité, les NTIC favorisent la formation et la croissance de nouvelles industries et permettent l'adoption de nouvelles structures organisationnelles. La réorganisation semble une condition indispensable pour optimiser les investissements dans les nouvelles technologies. En d'autres termes, l'informatisation et l'usage d'internet sans réorganisation n'engendrent pas d'amélioration des performances des entreprises. Réorganisation et informatisation constituent un binôme qui ne doit pas être dissocié.

 

Des analyses sectorielles ont permis de montrer que les secteurs utilisant les nouvelles technologies n'ont pas tous adopté des pratiques innovantes. "Les décisions de réorganiser le processus de production semblent fortement influencées par les contraintes externes de compétitivité et les contraintes internes de salaires offerts élevés [Azkenazy et Gianella, op.cit.]". Les industries qui se sont réorganisées sont des entreprises fortement capitalistiques présentes sur des marchés concurrentiels (les réorganisations les plus significatives sont effectuées dans les secteurs ouverts à la concurrence internationale). Au contraire, les secteurs intensifs en travail positionnés sur des marchés peu concurrentiels ont peu modifié leur organisation. Ainsi, l'innovation organisationnelle est la condition nécessaire au succès de la Nouvelle Economie. Dès lors, ce qu'il est courant d'appeler la "Nouvelle Economie" s'apparente moins à un changement radical, comme cela a été parfois dit, qu'a une tendance longue, fruit de l'évolution de l'économie de marché. Désormais, les économies privilégient un régime de croissance basé sur l'information, la connaissance et l'innovation.

 

L'ensemble de ces réflexions macroéconomiques débouche sur la nécessité de privilégier au sein de la recherche le rôle joué par les industries de l'information. Outre leur rôle d'entraînement macroéconomique, elles constituent un champ d'expérimentation de formes nouvelles d'entreprises et de modèles économiques privilégiant de nouvelles relations clients et favorisant la place et la circulation de l'information.

 

Le paradoxe de la productivité peut s'appliquer aux industries de la presse. Il existe en effet un paradoxe de la productivité de la presse en ligne. Modernisée à partir de 1980 grâce à l'usage généralisé de l'informatique, des gains de productivité ont pu être réalisés permettant un assainissement financier des groupes de presse distribuant principalement des magazines[Sonnac (2001)], mais sans pour autant apporter une rentabilité financière forte à la presse quotidienne. Cette différence est probablement due à deux phénomènes conjoints : le régime syndical particuliers des ouvriers du livre qui s'applique à la presse quotidienne et la baisse du lectorat de nombreux quotidiens liée à la concurrence de la télévision et des radios ainsi qu'aux prix relativement élevés des quotidiens tandis que la presse magazine se développe et multiplie les titres spécialisés.

 

Le passage aux éditions numériques s'est effectué de manière timide, parfois très tardive. A titre d'exemple, le site du Figaro a été mis en ligne le 2 octobre 2000. Patrick de Baecque, directeur de lefigaro.fr explique que son groupe de presse a préféré, à l'inverse des pionniers comme Libération ou Le Monde, attendre que le marché soit plus lisible et a pris l'option d'offrir une vision encyclopédique de l'information en développant des dossiers complets sur de grands thèmes. En avril 2001, le site du Figaro a reçu 850 000 visites contre 2 millions pour le site de Libération. [Le Nouvel Economiste, 15 juin 2001].

 

Malheureusement, peu ou pas d'innovations organisationnelles furent réalisées entraînant un succès très mitigé des sites en ligne. Deux sources de problèmes sont mis en évidence : l'absence de modèle économique [en d'autres termes, le modèle économique initialement fondé sur la gratuité et la vente d'espace publicitaire s'est rapidement heurté à l'écroulement des e-budget pub pour cause de fréquentation de site insuffisante et du faible nombre des annonceurs] ainsi que l'absence de réflexion sur le métier et les fonctions de cyber-journaliste [Alves (2001)]

 

2. Le modèle d'économie numérique des industries de la presse : l'expertise métier détrône la gratuité.

L'économie numérique, appelée aussi net économie, e-conomie ou nouvelle économie, est une branche de l'économie industrielle qui couvre l'étude des entreprises, publiques et privées et leurs interactions stratégiques sur les marchés. Les entreprises concernées sont celles qui utilisent Internet comme facteur de production et/ou pour écouler leur produit sur le marché, puisqu'Internet est à la fois un réseau de communication et un réseau de distribution.

 

Bercé par le chant illusoire des Nasdaq, Nouveau marché et autres indicateurs des grandes places boursières, la presse en ligne a opté pour la gratuité [Gensollen (1999)]. S'il existe un paradoxe de productivité, il existe aussi un paradoxe du modèle économique de la presse en ligne. Comment imaginer pouvoir faire cohabiter une édition papier payante et une édition numérique gratuite, même restreinte. La solution était supposée venir des recettes de publicité, recettes qui ne furent pas au rendez-vous pour plusieurs raisons. Si internet se développe rapidement, il se développe cependant moins rapidement qu'espéré initialement, principalement pour des raisons de coût des connexion et de qualité des débits. Les annonceurs les plus présents dans les années 95 étaient les fameuses start-up dont peu survécurent. La publicité en ligne compte maintenant essentiellement sur les annonceurs traditionnels, les bricks and mortar, dont les budgets ne sont pas infinis et qui répartissent leur plan média sur tous les types de supports.  

 

Le choix de la gratuité a des conséquences en terme de stratégie d'investissements et de management des équipes rédactionnelles. Les investissements ont souvent été relativement modestes et timides à quelques rares exceptions. L'attractivité du portail n'était pas au rendez-vous : en effet, pour minimiser les coûts, la solution du "copier-coller" a souvent été utilisée, offrant une version appauvrie, décevante de la version papier. Toujours pour minimiser les coûts, l'information n'est pas actualisée en continue mais le plus souvent au même rythme que le support papier. Le "temps réel", apanage d'internet, se limite souvent à la météo du jour ! Peu d'investissement mais aussi peu de frais de personnel. Les rédactions sont rarement le fait de journalistes mais plutôt de collaborateurs moins expérimentés, souvent des informaticiens. Les rédactions sont aussi fréquemment "externalisées", confiées à des filiales et sous-traitées. Un artisanat peu compétent et doté de peu de moyens.

 

"Ce n'est pas l'économie qui devient informationnelle mais l'information qui s'industrialise" [Meissier (2000)]. Après une période de tâtonnement, la presse en ligne réfléchit à un modèle payant. Le retour à la logique de l'économie traditionnelle signifie que la rentabilité reste au centre du processus économique et qu'elle ne peut durablement être fondée sur la gratuité des services. "L'information est un marché qui doit avoir une valorisation en lui-même. Nous ne voyons pas l'intérêt qu'il y a à transposer du papier que l'on fait payer - à du gratuit sur le Net. Nous pensons que le public doit s'habituer au fait qu'un certain type d'information, un certain type de traitement de l'actualité, a un prix" confie Bernard WOUTS, PDG de l'hebdomadaire Le POINT, en octobre 2000. Ce souhait d'un patron de presse annonce les profonds changements que l'on commence à observer aux Etats-Unis. "Aux Etats-Unis, 80% des sites de presse font du payant. Parmi les portails médias, les derniers mois (l'auteur parle ici du premier semestre 2001.ndlr.) ont été marqués aux Etats-Unis par la montée en puissance des services payants, à l'instar des offres lancées par Salon.com ou par Variety.com[1]". Variety est un hebdomadaire spécialisé consacré à la musique et leader sur son marché. En mars 2001, cet hebdo innove en fermant son site gratuit (seule la consultation des archives étaient payantes) et en le remplaçant par un site totalement payant. Le principe est désormais celui de l'abonnement après une période d'essai gratuite de 30 jours. Les formules d'abonnement sont diversifiées puisqu'il est possible de souscrire un abonnement annuel, mensuel ou de payer une consultation à la journée. Quant à la vente d'archives en ligne, elle est généralisée aujourd'hui dans la plupart des sites de presse en ligne américains avec un prix moyen de vente par article inférieur ou égal à 2 dollars, offrant des recettes modestes. La vente des archives ne peut donc être la solution au paradoxe du modèle économique de la presse en ligne.

 

Pour justifier le passage au payant, les sites se sont lancés dans une course à l'innovation et déclarent travailler sur de nouveaux services en ligne. "Les pistes de travail les plus étudiées sont notamment l'enrichissement du contenu avec des enquêtes approfondies (voir des études), mais aussi avec des photographies et des éléments audio[2]". Le savoir-faire journalistique retrouve sa place centrale, valorisé par l'outil qu'est Internet. Le cyber-journalistes va probablement devoir quitter un certain artisanat pour aller vers une expertise professionnelle plus grande (acquisition de nouvelles compétences comme la connaissance des langages du net tels le HTML ou XML permettant de rédiger directement sur le serveur et de faire une mise en page ou les techniques de veille informationnelle permettant d'élargir les sources d'information ou encore de méthodes rédactionnelles intégrant l'interactivité via l'introduction de liens hypertextes) et probablement une spécialisation plus importante, toutes deux nécessaires à l'enrichissement du contenu justifiant le paiement de l'information. Ces évolutions n'iront pas sans difficultés déjà rencontrées : deux des problèmes les plus délicats sont d'une part celui des droits d'auteurs et, d'autre part celui de la formation des journalistes aux nouvelles technologies et à leurs pièges (vérification de la qualité des sources d'informations électroniques). Une réflexion sur la nouvelle fonction de cyber-journaliste est indispensable.

 

3. Production et management de la connaissance : de la fonction d'infomédiaire à celle de cyber-journaliste.

Puisque prendre la mesure exacte de l'économie numérique compte tenu des outils actuels de comptabilité nationale est un art difficile, l'économie numérique s'apprécie par son apparence. "Les phénomènes visibles sont : la naissance des places de marché électroniques, le développement du commerce électronique, l'apparition des prestations de location de logiciels et l'émergence d'activité d'infomédiaire. En effet, l'actualité et la vie des entreprises qui font la net économie sont actuellement le seul moyen de saisir la réalité de ce mode de production encore en construction" [Muller (2000), p3].

 

L'apparition d'Internet a permis la création de nouveaux métiers de la connaissance dont le plus significatif est celui d'infomédiaire. "Leur valeur ajoutée se trouve dans la pertinence et l'exhaustivité des informations fournies" [Nuss (2000), p 50]. Le métier d'infomédiaire est issu de l'IEC (Intelligence Economique et Concurrentielle) et constitue une évolution du métier de veilleur technologique. L'infomédiation trouve son plein rendement au sein des entreprises lorsqu'elle est couplée à des logiciels de management des connaissances permettant ainsi de connaître les besoins d'information de chaque élément de l'entreprise et de router l'information vers celui qui la recherche. L'économie devient économie de la connaissance [Foray (2000)].

 

Infomédiation et management des connaissances induisent une personnalisation de l'information permise par l'usage d'Internet. Or ceci n'est pas la seule forme de personnalisation : le management de la relation-client (CRM) est le second exemple. Il est possible grâce aux outils développés sur internet de connaître avec une précision beaucoup plus importante les besoins de clients individualisés et clairement identifiés. Ainsi la logique économique évolue fondamentalement : les clients ne sont plus un amalgame confus regroupés en part de marché, au contraire chaque client fait l'objet d'une analyse et d'une offre personnalisée [Benavent (2000)]. Les conséquences sont importantes puisqu'il ne s'agit de rien de moins que de remettre en cause l'organisation traditionnelle des entreprises de type industriel pour glisser vers une fabrication à la demande selon les souhaites exprimés sur le net (questionnaires) ou anticipés donnant ainsi naissance à une nouvelle discipline : le cybermarketing, dont une des fonctions essentielle est la fidélisation d'un client très volatil compte tenu de la multiplicité des sites en présence et des possibilités de comparatif instantané de prix des produits. Un des moyens les plus performants en matière de fidélisation est la marque liée à la qualité et à la notoriété du produit.

 

La presse en ligne est confrontée aux mêmes évolutions que celles vécues dans les autres secteurs. Simple copie de la presse papier, souvent dans une version appauvrie, gratuité oblige, elle n'exploite pas encore les possibilités qui lui sont offertes. Plus qu'un produit collectif, elle devrait évoluer vers un produit individualisé sous forme de news personnalisées envoyées périodiquement sur la boite aux lettres du lecteur en passe de devenir un abonné si la qualité de l'information offerte le justifie. Outre le titre de presse auquel il est relié, profitant ainsi de l'image de marque capitalisée depuis longtemps par la maison mère, le site en ligne implique un changement dans la vision du métier de journaliste qui rédige en fonction de la demande, en utilisant les outils de l'IEC. Le cyber-journaliste est plus expert que généraliste.

 

En conclusion, que ce soit par l'approche des sciences de l'information et de la communication ou celle des sciences économique et de gestion, les analyses concernant la presse en ligne convergent. Le savoir-faire journaliste est une valeur sure qui doit être valorisée pour s'adapter aux exigences de la presse en ligne. Cherchant sa rentabilité, elle tire les leçons de l'évolution des autres secteurs d'activités présents sur le net : l'information devient un produit dont il faut mettre en évidence la valeur ajoutée à travers une expertise renforcée et personnalisée. Mais si les conclusions paraissent simples, elles ne sont pas sans poser de nombreux problèmes.

 

Ainsi un des apports essentiels des sciences de l'information et de la communication sur les organisations de presse est de souligner l'importance fondamentale de la question de l'identité: qu'est ce qu'un journaliste à l'heure d'Internet ? Peut-on encore qualifier de "journalistes" des acteurs qui n'ont pas (ou plus) pour idéal la conception encyclopédique et citoyenne de l'information que nous avons évoquée ? En France, les organisations professionnelles, notamment syndicales, ne manquent pas de s'interroger sur ce point. L'étude de leur littérature (à travers notamment les débats souvent passionnés sur la question des droits d'auteur en-ligne, voir [Mathien, 2001]), tendrait même à montrer qu'un nombre non négligeable d'entre elles ne sont pas prêtes à entériner une évolution de la profession vers une fonction technico-commerciale. La Commission de la Carte, de plus en plus sollicitée par des sites portails désirant attribuer un statut journalistique aux rédacteurs qu'ils embauchent, tente elle aussi de clarifier le débat en essayant de distinguer entre "vrais" et "faux" journalistes en-ligne, mais les problèmes qu'elle soulève pose autant de difficultés, sinon davantage, que ceux suscités par l'évolution de la presse hors-ligne depuis une à deux décennies. Ainsi, le journaliste en-ligne doit remplir les mêmes conditions que le journaliste classique (être salarié d'une entreprise qui tire l'essentiel de ses revenus du commerce des informations, avoir à titre principal une mission d'information à l'égard du public, réactualiser ses productions de façon périodique, s'insérer dans une structure journalistique de type rédactionnelle, etc.) mais il doit, en plus, être obligatoirement rattaché à la Convention Collective Nationale de Travail des Journalistes. On ne peut finalement que constater la très grande élasticité identitaire de la profession. Celle-ci n'a jamais, on le sait, formé de "bloc" homogène. Mais Internet nous révèle son hétérogénéité de manière encore plus criante, dans la mesure où il agit à la fois comme révélateur et catalyseur d'interactions paradoxales. Plus que jamais, la question des frontières de la profession est d'actualité. Ces frontières apparaissent poreuses, et sans cesse en mouvement, à l'image de celles des nouveaux territoires de l'information en-ligne.

 

Le résultat essentiel des sciences économiques et de gestion concernant l'introduction des nouvelles technologies dans les organisations de presse est de mettre en évidence la place de l'information en tant que produit économique. Le mythe de la gratuité a vécu. Le portail généraliste consultable gratuitement est en train d'être remplacé par des places de marché de l'information. La concurrence des sites en ligne renforce la place de l'expertise métier. Les organisations de presse ont ici une occasion de valoriser un savoir faire journalistique et une image de marque acquise dans les supports de presse papier. Mais cette valorisation implique de profonds changements chez les journalistes qui doivent acquérir des compétences nouvelles ainsi que de profonds changements dans le produit proposé qui ne peut être seulement un produit de mass média mais qui tend à évoluer vers un produit individualisé. L'offre s'affine, se différencie. L'offre individualisée est coûteuse : des fusions ou regroupements de sites sont à prévoir. Cette évolution radicale implique de repenser les processus de production de l'information.

 

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[1] Extrait du Journal du Net ( journaldunet.com/0107-010724payant.shtml ) du 24 juillet 2001.

[2] Journal du Net, op.cit.