L'expression " culture de l'information " : quelle pertinence, quels enjeux ? Alain CHANTE MCF en SIC CERIC - EA 1973 Université Paul Valéry. Montpellier 3 Catherine DE LAVERGNE MCF en SIC CERIC - EA 1973. Université Paul Valéry. Montpellier 3 Sommaire INTRODUCTION 2 LA CULTURE COMME ERUDITION, COMME PATRIMOINE SOCIAL, COMME ETAT D'ESPRIT ? 3 L'INFORMATION, UN PRODUIT AU SINGULIER, UN MOMENT ISOLABLE DANS UN PROCESSUS ? 5 L'INFORMATION COMME OBJET EMPIRIQUE 5 L'INFORMATION QUESTIONNEE COMME OBJET SCIENTIFIQUE 6 LA CULTURE DE L'INFORMATION : META-CONNAISSANCES, CULTURE DE L'APPRENANCE OU TERRITOIRE D'INTERVENTION PEDAGOGIQUE ? 10 LA CULTURE DE L'INFORMATION : DES META-CONNAISSANCES A LA CULTURE DE L'APPRENANCE 10 LA CULTURE DE L'INFORMATION COMME TERRITOIRE DISCIPLINAIRE POUR L'INTERVENTION PEDAGOGIQUE 11 CONCLUSION 14 BIBLIOGRAPHIE 15 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE 17 Introduction La " culture de l'information " est une expression qui devient un concept émergent, c'est à dire qui n'est pas encore figé, qui est encore sujet à de multiples interprétations entre lesquelles nous allons " naviguer " à la recherche de l'impossible unité Ce concept vient à la suite de celui de " Société de l'Information ", lui volant un peu la vedette, et aux cotés de celui de " Société des Savoirs ". ( Chante A. à paraître 2009).Tout se passe dans les usages comme si l'information était trop éphémère, volatile, pour asseoir durablement une société, les savoirs devant lui assurer une base plus stable, et que la culture ( que l'on partage) paraissait plus séduisante et conviviale pour les utilisateurs que société ( à laquelle on appartient). Les deux termes " culture " et " information " sont fortement polysémiques et se mêlent dans cette formule à géométrie variable, à facettes pourrait-on dire pour reprendre un vocabulaire familier aux documentalistes, formule où s'affrontent des enjeux sous-jacents, d'ordre épistémologique, stratégique, identitaire, institutionnel politique et économique comme nous l'a rappelé la conférence de M. Wolton. Les significations sont nombreuses, les combinaisons encore plus. Une démarche combinatoire systématique concernant toutes les définitions des deux termes dans tous les contextes envisageable amènerait à lister un bon millier de combinaisons, soit quinze signes pour chacune en respectant les consignes concernant la dimension de cet article ! Ne voulant donc pas céder à ce vertige combinatoire, nous avons privilégié trois axes, trois débats : ? La culture comme érudition, comme patrimoine social, comme état d'esprit ? ? L'information, un produit au singulier, un moment isolable dans un processus ? ? La " culture de l 'information " : méta-connaissances, culture de l'apprenance ou territoire d'intervention pédagogique ? La culture comme érudition, comme patrimoine social, comme état d'esprit ? Comme érudition la culture peut être pensée comme une culture cultivé e donnant accès à des emplois intéressants et à une promotion sociale,dans le droit fil de l'esprit des philosophes, soudant la société par un intéressement aux valeurs dans une apologie de l'effort et de la sélection ( Chante, 2000). Si c'est le cas, elle est presque une culture d'élite formant et s'adressant à un nombre limité de professionnels, de chercheurs et de décideurs pour les adapter à ce qu'on pourrait appeler l'hyper modernité informatique, dont certains, plus négatifs, pourront dire qu'il s'agit d'une post modernité( Chante A. à paraître, 2009) De toute façon, dans les deux cas, on s'écarte de la modernité fondée elle sur les savoirs. Mais cette culture cultivée, peut être, doit être pour respecter ses missions originelles, conçue comme un objet de démocratisation culturelle dans le droit fil cette fois de la politique du Ministère de la Culture depuis Malraux, voire de celui des Beaux Arts de Gambetta. Alors les institutions doivent : ? développer des apprentissages, des capacités, ? insister sur la formation des personnes, ? mettre en place des programmes d'éducation, ? favoriser un accès à l'information à moindre coût par une politique d'aides et d'équipements Dans un parallèle évocateur, on va mettre en présence et à disposition l'œuvre et l'information, donner accès au Web comme aux musées, former un esprit critique comme le goût artistique, aider les pratiques artistiques en amateur et les pratiques numériques autonomes. La culture c'est aussi un patrimoine social, entre culture humaniste et culture technique : L'état cherche à redistribuer les processus d'acculturation technique, d'acquisition informelle de savoir-faire, en s'efforçant d' intervenir contre le fossé numérique, par l'équipement et l'accès facilité aux outils, en développant les objectifs de notre culture technique, et/ou contre le fossé culturel, par la formation à la réflexion, pour la détermination du besoin, à l'évaluation de la pertinence et de l'utilité, en prolongeant les objectifs de notre culture humaniste Ce patrimoine social permet l'intégration à un modèle social et citoyen. Sur ce plan de l'acculturation sociale, il s'agit : ? de favoriser le lien social, la socialisation et l'intégration citoyenne , de faire de l'information communiquée le moyen d'une communion ou du moins d'une communauté ? ? ou de viser simplement à placer des garde-fous dans l'acquisition autonome d'une culture " numérique " par les consommateurs d'Internet, pour les rendre respectueux des droits et des règles de sécurité ? Enfin la culture peut être prise comme un état d'esprit dont le plus connu serait la culture d'entreprise. On est alors dans une logique économique de professionnalisation à l'échelle individuelle et sociétale, en s'efforçant de faire prendre conscience aux chefs d'entreprise, par la Formation continue ou par des articles dans les revues professionnelles, de l'importance de la veille stratégique et de l'Intelligence Économique, et de la nécessité de développer des démarches marketing ou qualité, pour accélérer la diffusion des biens de production par l'amélioration de la relation au client. Ou encore, sur un autre axe, de préparer les élèves à s'intégrer dans l'entreprise monde du capitalisme libéral par la standardisation des compétences. Dernière interprétation du terme culture que nous aborderons ici, la culture peut être approchée selon le concept de la culture ordinaire de de Certeau. En substituant " culture " aux termes de " maitrise ", " d'habiletés ", de " méthodes ", de "compétences" ... il nous semble que l'on se place dans une tentative de récupération par les institutions de cette culture libre et personnelle, fille de 68, qui fonctionnait par des " braconnages " incessants devenant aujourd'hui des compétences informelles d'acquisition fort prisées. Quand on parle de " l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels..." (OCDE 1995 ), on évoque la fin, pas le moyen ni sa conformité avec les lois . Disons qu'on donne une valeur écologique à un braconnage institutionnalisé de l'information. Ce terme nous conduit à notre seconde partie : L'information, un produit au singulier, un moment isolable dans un processus ? L'information, appréhendée comme objet empirique renvoie à des attitudes appréciatives, et à des typologies. Comme objet scientifique " intermédiaire ", elle questionne des postures épistémologiques, elle renvoie à la notion de document, et propulse la recherche vers l'élaboration sociale des savoirs. L'information comme objet empirique Comme objet empirique, l'information renvoie à des attitudes appréciatives, à des typologies. Pour Gregory Bateson (1977 :153), " c'est ce que nous connaissons le mieux dont nous sommes le moins conscients ". Tout comme la communication, l'information est une notion opératoire, que l'on manipule quotidiennement, elle " tapisse notre monde ". L'information existe sur les plans phénoménologique et pragmatique, elle est perçue comme une réalité, objectivée. Les définitions qui peuvent en être données renvoient à des attitudes appréciatives, à des positions éthiques, à des normes, à des stratégies, à des modèles économiques, comme en témoigne le débat sur la gratuité dans une économie numérique initié par Chris Anderson (Anderson, 2008). Claude Baltz (in Milon, 1999 : 215) rappelle que " même si on ne sait pas bien - et même pas du tout - fonder théoriquement la valeur de l'information, il n'empêche que les marchés de l'information existent pourtant bel et bien ". Comme bien économique, est-elle une marchandise au sein d'un secteur industriel ou un bien public ? (Foray, 2000). Est-ce un nouveau droit, ou un nouveau devoir citoyen, dans une société ? Est-ce un besoin, s'il est toujours situé et contextualisé, et " dérivé, commandé pour la réalisation d'un besoin fondamental ", celui de la connaissance ou celui de l'action (Le Coadic, 2007 : 20-24), ou est-ce un moyen pour savoir et pour savoir pour agir ? L'information ne peut-elle être définie que par sa finalité ? (Milon, 1999 :18). Mais la notion d'information nous renvoie aussi à des typologies, souvent implicites. A quels types d'information se réfère-t-on dans l'expression " culture informationnelle " ? A l'information scientifique et technique, à l'information journalistique, à l'information documentaire, ou à tout autre information liée au système primaire de production et de diffusion de documents primaires ? Qu'en est-il de " l'information ordinaire " que nous utilisons pour comprendre le fonctionnement de nos appareils et de nos produits " intelligents ", et dans toutes les activités quotidiennes, l'information qui nous permet d'agir, voire de " cliquer " dans notre environnement ? L'information questionnée comme objet scientifique C'est par rapport aux notions d'espace et de temps que l'information est aussi définie. Les approches différentes de cette notion tournent autour de la question : quand et où existe-t-elle ? Existe-t-elle toujours, de façon objective, ou de façon latente, ou au moment où un ensemble de données mises en relation font sens, ou commencent à faire sens, dans une situation donnée ? L'information est souvent considérée comme un différentiel, " c'est ce qui fait la différence ", un point/moment de basculement entre des états, un espace/temps de transition, un espace potentiel, entre données et connaissances, mais dès qu'il s'agit de l'objectiver, l'information bascule : réifiée, elle est soit ramenée à des données, soit projetée vers des connaissances. Elle renvoie vers le document, elle propulse vers l'apprentissage. Le processus de la recherche d'information : symétrique de la diffusion Dans ce cas, l'objet d'étude constitue une partie des SIC, mais également un champ (rubriques B et C de la définition du champ pour la CNU 71ème section) : celui de l'ensemble des acteurs, des procédé s (outils, techniques) et des institutions et lieux liés à un processus spécifique : celui de la recherche d'informations (Fondin, 2001 : 118). Cependant, face au phénomène de redocumentarisation en voie de généralisation de l'ensemble des activités, qu'elles relèvent de la sphère privée, de la sphère professionnelle, ou de la vie civile et sociale, ce champ s'élargit considérablement, puisque quasiment toutes activités deviennent des activités documentaires, puisque toute activité de recherche " d'informations " s'appuie désormais sur un dispositif documentaire, même s'il est embryonnaire : arborescences de fichiers et de dossiers, codage ou nommage de fichiers, outils de recherche localisés ou en réseau... L'information comme produit Pour Yves-François Le Coadic (1994, 2004 : 6), " l'information est une connaissance inscrite (enregistrée) sous forme écrite (imprimée ou numérisée), orale ou audiovisuelle sur un support spatio-temporel. Il ajoute que " l'information comporte1 un élément de sens. C'est une signification transmise à un être conscient par le moyen d'un message inscrit sur un support ". Elle peut être multipliée, mémorisée, sa quantité explose (Le Coadic, 1994, 2004 :7). Ce qui la caractérise, c'est un déplacement dans l'espace, l'information doit circuler, c'est un " transfert de structure " d'un endroit à un autre, et ce différentiel mesurable permet le passage à un nouvel état de connaissance (ibid. : 7-11). Cette définition de l'information comporte plusieurs postulats implicites : le sens est dans l'information qui est sur le document. La communication est un processus de transmission. Dans cette conception de l'information, l'information est un produit, résultat d'un processus de transmission ou d'échange. Elle est considérée comme un objet réel. Qu'est-ce qui la constitue comme objet scientifique ? Pour Yves-François Le Coadic (1994, 2004 : 20), c'est la pression sociétale. " La société de l'information a besoin d'une science qui étudie les propriétés de l'information et les processus de sa construction, de sa communication et de son usage ". L'information comme contenu : le document transparent ? Certains chercheurs comme Yves-François Le Coadic et Hubert Fondin mettent en exergue l'information pour permettre la focalisation sur " le contenu ", et ramènent le rôle du document à celui d'un véhicule, le considérant comme un " objet porteur d'information ". Ce dernier " n'est qu'un moyen de communication, un media.... Ce qui importe, c'est le contenu " (Fondin, 2001 : 116). L'information comme processus : la finalité de l'élaboration sociale des savoirs L'objet de la SI (Science de l'information) devient ainsi le domaine d'étude de sa finalité, la construction de connaissances, les " processus d'apprentissage ". Pour Jean-Paul Metzger (2002 : 19), la science de l'information s'intéresse à " l'élaboration sociale et au partage du savoir, pour tout type de savoir, dans des contextes sociaux et culturels divers. Cette élaboration et ce partage passent essentiellement par " la production, le transfert, la prise de connaissance d' " objets " accessibles à l'un ou l'autre de nos cinq sens. La " culture de l'information " : méta-connaissances, culture de l'apprenance ou territoire d'intervention pédagogique ? Hubert Fondin donne aussi une définition plus pragmatique de ce que nous pourrions appeler un " agir informationnel ", celui d'une activité de communication consciente, rationnelle, tournée vers le partage du savoir, dans une dynamique d'intercompréhension entre acteurs, de co-construction progressive du sens. Interactions communicationnelles à visée informationnelle Cependant, ces interactions communicationnelles à visée informationnelle ne sauraient être uniquement orientées vers le seul enjeu de partage des savoirs. Yves-François Le Coadic définit par exemple " l'interaction informationnelle entre deux personnes, un usager et un professionnel de l'information " comme " un des actes de communication les plus complexes " (Le Coadic, 2007 : 92). Il précise que la qualité de l'interaction est fonction de distances cognitive, linguistique, professionnelle, géographique, temporelle. Ces distances, énoncées sous forme de théorèmes, nuisent à " la probabilité d'échange d'informations " (ibid. p.82-84). Les documents comme espaces d'interaction complexes Le document n'est pas alors" qu' un simple élément dans un processus (Fondin, 2002a : 126), mais un objet matériel ou immatériel dont on manipule une forme, non seulement logique, mais surtout signifiante. (Jeanneret, 2004 : 2). Si cette forme est perçue, et signifiante, cela amène à requalifier les activités dites " techniques " de professionnels de l'information-communication, et des citoyens ordinaires, en " tâches avec sens ". Ce sont des pratiques sémiotiques situées et relationnelles. Les documents eux-mêmes sont analysés comme des espaces d'interaction complexes, avec l'essor de l'usage de documents interactifs, coopératifs, collectifs de travail, pour l'action (Broudoux, 2007 ; Zacklad, 2005 ; Leleu-Merviel [2004]). La confiance ou défiance envers les documents est interactivement liée à la relation de confiance ou de défiance, envers des identités, à l'accès à l'historicité documentaire, à l'interprétation de traces. Les pratiques sont influencées par des normes issues du formatage des objets (les " tags " conseillés, et les plus utilisés sur delicious), par des cultures (logiciels libres, archives ouvertes) et valeurs (la gratuité, la culture collaborative (être en lien), mais aussi l'expression identitaire (être bien indexé, " être inscrit quelque part " (Baltz, 1999 : 218)). Elles sont tout autant liées à des enjeux stratégiques de reconnaissance ou de pouvoir, de rapports de place (Baltz, 1999 : 220) qu'à des enjeux cognitifs, dans la mobilisation de contextes qui permettent la création d'histoires, les débats et l'action collective. " L'information, c'est l'Autre, en ce lieu singulier de notre rapport avec lui dans un réseau [...] C'est aussi... Les autres " (ibid. : 223). La communication comme moyen d'informer, l'information comme moyen de communiquer Il nous semble que dans ces interactions sont toujours en jeu, non seulement des " échanges informationnels ", mais aussi et simultanément, des processus de reconnaissance identitaire, des rapports de place, des définitions de relations et de services à rendre, des normes culturelles. L'adoption d'une approche communicationnelle des activités dites " documentaires " permet d'abandonner le postulat implicite que les dispositifs réels ou virtuels, visant à faciliter la recherche d'information, et la construction de connaissances, ne sont pas des dispositifs d'influence, sous prétexte qu'ils sont finalisés par la rencontre " intellectuelle " (Fondin, 2002b : 89) entre des acteurs, dans un contexte apparent de neutralité bienveillante ou facilitatrice. Par exemple, tout agencement d'objets dans un espace réel ou virtuel est une proposition d'acceptation (voire une imposition) d'un ordre et d'un sens qui amène à redéfinir des positionnements, des normes et des relations, et un rapport aux savoirs (Calenge 2002 ;Guyot, 2004 ;. Verrier, 2002 ; Pedauque 2005 ; Le Crosnier, 2008). Les deux dimensions de l'information-communication doivent donc être considérées ensemble et non de façon séquentielle et séparée (soit dans un cycle information-communication dont la communication serait le produit, soit inversement dans un cycle communication-information dont l'information serait le produit). Elles se contextualisent l'une l'autre : la situation spatiale et temporelle, les normes, les positions, les qualités de relation, les enjeux des acteurs, sont des contextes d'usage permettant l'interprétation du contenu, mais réciproquement, de cette activité interprétative émergent des transformations des normes, des positions, des qualités de relation. La relation dialogique entre les notions " d'information " et de " communication ", qui se " repoussent et se complètent " (Bougnoux, 1995 : 7) devient alors une relation récursive (Morin, 1990 : 99-100). La culture de l'information : méta-connaissances, culture de l'apprenance ou territoire d'intervention pédagogique ? L'expression " culture de l'information " permet-elle d'identifier des compétences clés, nécessaires à la réussite professionnelle et à l'épanouissement de l'individu, ou de délimiter un territoire disciplinarisé qui rend possible l'action pédagogique ? La culture de l'information : des méta-connaissances à la culture de l'apprenance Considérer les acceptions larges des termes " culture " et " information " déjà décrites, c'est prendre en compte le caractère " méta " de cette " culture informationnelle " : " il s'agit avant tout d'un ensemble de méta-connaissances, de démarches, d'approches et de questionnements, que l'on retrouve tout au long de la vie et de l'agir social de chaque individu " (Liquète, 2007, p.276). L'apprentissage visé, c'est celui " de réelles démarches d'investigation, permettant l'accès à la construction, l'importation, l'intégration des savoirs, dans une situation d'apprentissage ouverte et complexe " (Frisch, 2007, p.290). Nous pouvons rapprocher ces méta-connaissances, nécessaires tout au long de la vie, des sept connaissances et compétences du socle commun, qui doivent permettre à un individu " de mobiliser ses acquis dans des tâches ou des situations complexes, à l'école, puis dans sa vie " (JO, 2006), mais aussi des huit " compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie " de l'Union Européenne. Cependant, il est impossible de sélectionner l'une d'entre elles seulement, comme relevant de la " culture informationnelle ", qui concernerait plusieurs de ces compétences, si ce n'est l'ensemble. Chacune des " connaissances et compétences " du socle commun est déclinée en termes de connaissances, de capacités et d'attitudes. Ces attitudes sont présentées comme une conséquence naturelle de l'enseignement dispensé à l'école, mais elles relèvent d'apprentissages fondamentaux, qui peuvent être traduits par l'expression " culture de l'apprenance ". Philippe Carré (2000, p.9, 2006) définit l'apprenance comme " un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives favorables à l'acte d'apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles. Avec cette approche, l'objectif final d'un curriculum " d'éducation à la culture informationnelle ", de la maternelle à l'université, consiste à favoriser l'émergence d'une culture de l'apprenance, ne découlant pas automatiquement des enseignements disciplinaires, mais favorisée par la construction d'environnements propices à ces apprentissages. La formulation de tels objectifs émergents ne peut être définie en situation que de façon récursive avec des objectifs disciplinaires, et non parallèlement. La culture de l'information comme territoire disciplinaire pour l'intervention pédagogique Néanmoins, nombre d'auteurs reconnaissent la nécessité d'asseoir une discipline sur des fondements conceptuels scientifiques et de stabiliser un nouveau corpus didactique, fondé non seulement sur la transposition didactique, mais surtout sur la contre-transposition didactique (Frisch, 2007, p.284). Cependant, reconnaître une spécificité disciplinaire, ce pourrait être aussi abandonner l'ambition métadisciplinaire, les visées instituantes qui l'accompagnaient, et accepter, de facto, que l'information-documentation ne soit qu'une entrée dans une classification des savoirs. La reconnaissance des enjeux liés à l'information-documentation dans les dispositifs éducatifs se ferait stratégiquement au moyen de la délimitation nouvelle d'un espace d'intervention pédagogique rétréci. Les documentalistes enseignants de l'enseignement secondaire se trouvent actuellement dans un contexte de " flottement identitaire " (Gardiès & Couzinet, 2007, p.296), d'interrogation sur leur rôles. Des recherches de terrain nous ont amenés à distinguer trois principales configurations identitaires correspondant à l'identification territoriale de leurs missions avec celles d'un lieu physique. Elles expriment des définitions et des problématisations différentes de l'éducation à la culture de l'information, problématisations qui se complexifient avec la déterritorialisation à l'échelle de l'établissement et au-delà, et avec l'usage des Environnements Numériques de Travail (ENT)(De Lavergne, 2008). Ces trois dynamiques identitaires ne sont, bien évidemment pas exclusives l'une de l'autre. Du lieu " autour " au lieu parallèle : configuration 1 Le lieu est défini par les professionnels documentalistes comme un espace d'ouverture culturelle et artistique, et de re-projection vers le monde, de socialisation, de développement de la citoyenneté. Cette configuration est sous-tendue par une conviction intime : l'institution éducative ne doit pas promouvoir les seuls apprentissages scolaires, qui ne sont d'ailleurs pas les plus importants. Le lieu documenaire contribue à élargir l'institution en s'interfaçant, s'interposant entre le monde scolaire et le monde social/professionnel. Pour les documentalistes, c'est un espace de liberté offert aux élèves qui trouvent difficilement leur place dans le système scolaire, espace qui permet à ces derniers, d'une part de survivre dans ce système, d'autre part, de construire des apprentissages culturels et citoyens, qui risquent cependant d'être déconnectés (voire clivés avec) des apprentissages scolaires, et marginalisés. C'est une activité de réparation (Weller, 1998 :15-18) dans un lieu qui peut devenir parallèle, une bulle " à côté " des lieux d'enseignement, une soupape pour l'institution. L'enseignant documentaliste se définit alors comme animateur d'une communauté ouverte. Du lieu " alternatif " au lieu concurrent : configuration 2 L'espace est défini comme le lieu du libre accès, porteur, dans l'enseignement, du droit de " libre examen ", le " tiers formant " offrant à l'apprenant la possibilité d'apprendre autrement, d'apprendre autre chose, d'apprendre par soi-même en étant sous d'autres regards que ceux des enseignants, des employeurs, des parents. Ici, les quatre niveaux de médiation viennent s'interposer pour rompre la relation de face à face enseignant/apprenant : la médiation du document, la médiation du documentaliste, la médiation par les pairs, la médiation organisationnelle de l'espace-dispositif. La visée est instituante, c'est la relation pédagogique qui en est l'objet. L'enseignant documentaliste se définit comme porteur de l'évolution des pratiques d'enseignement-apprentissage. Mais ce faisant, le lieu peut émerger comme " concurrent " par rapport au face à face de la salle de classe, et devenir un analyseur de relations symétriques2 entre enseignants et documentalistes. Un lieu complémentaire : un ordre documentaire adossé à l'ordre scolaire : configuration 3 Ici, relations complémentaires et cordiales se développent, dans une division du travail entre enseignants et documentalistes qui peuvent co-animer des activités (par exemple des travaux personnels encadrés), ou intervenir en alternance, chacun respectant le territoire de l'autre, et portant seul son scénario d'apprentissage : la formation à la recherche documentaire pour l'enseignant documentaliste, les activité s de questionnement, de problématisation, d'analyse étant laissées à l'enseignant. L'enseignant documentaliste se définit comme gestionnaire de ressources et enseignant expert dans la formation à la recherche documentaire, son territoire réservé. Avec les déterritorialisations liées à la mise en œuvre des politiques documentaires d'établissements, au travail en réseau, et à l'utilisation des environnements de travail numériques, c'est bien un territoire d'intervention pédagogique qui est en reconstruction, territoire privilégiant tour à tour, selon ces dynamiques identitaires, la dimension sociale et culturelle, l'action sur les plans cognitif et pédagogique, l'activité technique et logistique, les compétences d'ingénierie des connaissances. Conclusion Il est impossible de clôturer, de fermer un tel champ. Notre conclusion sera donc ouverte. Nous soulignerons les choix " politiques " liés à la conception et à la mise en œuvre d'un curriculum d'éducation à la culture informationnelle. Comment doit-on se placer par rapport à la vision " capitalistique " ( et capitaliste) des connaissances liées à l'employabilité, mettant par exemple en avant les notions de passeport ( Chante ,2005) et de portefeuille documentaire? Dans ce choix de mots, doit-on voir une adaptation totale aux principes mondialistes de la société de l'information, réservée à celui qui à un passeport (délivré par les autorités bien évidemment compétentes) pour y entrer et possédant un portefeuille bien garni pour pouvoir y vivre. Comment intégrer des savoirs d'expérience acquis dans des pratiques informelles civiles, des pratiques d'apprentissage tout au long de la vie dans le formalisme de l'institution éducative ? On connaît la difficulté à définir une vraie politique de validation d'acquis à l'Université. Comment faire coexister les idées de programme, de normes, de planification même avec des idées de liberté, d'individualisme, de gratuité? Terminons sur une note optimiste :cela peut être plus facile que prévu, quand on voit dans l'actualité économique comment le libéralisme peut trouver son avenir dans des nationalisations ! Bibliographie Béguin-Verbrugge, A. " Pourquoi faut-il étudier les pratiques informelles des apprenants en matière d'information et de documentation ", Penser l'éducation. HS. Colloque 1. Savoirs de l'éducation et pratiques de la formation, 2007, p.321-329. Carré, P. " Portée et limites de l'autoformation dans une culture de l'apprenance ", 7ème colloque sur l'autoformation. Toulouse, Enfa,. 18 mai 2006. 10 p. URL Chante, A. " Un passeport encore valide ? Regards sur une expérience passée et d'avenir ". Bulletin des Bibliothèques de France, t.50 n°6, 2005, p.33-37 Chante A. 99 réponses sur la médiation culturelle et la culture, CRDP, Montpellier, 2000 Chante A. De la société à la culture de l'information, CRDP Languedoc-Roussillon à paraître Janv 2009 Chartron, G. & Broudoux, E. Document numérique et société. Actes de la conférence DocSoc 2006,Paris, ADBS, 2006. Couzinet, V. " Convergences et dynamiques nationales : pour une mise en visibilité des recherches en sciences de l'information ",. In Recherches récentes en sciences de l'information et de la communication : convergences et dynamiques. Actes du colloque MICS-LERASS. 21.22 mars 2002. Toulouse. Paris, ADBS, 2002, p.9-14 De Lavergne, C. " Environnements numériques et recomposition des espaces documentaires : frontières, places, positionnements ", In Interagir et transmettre, informer et communiquer : quelle valeur, quelle valorisation ? Actes du colloque international des sciences de l'information et de la communication : Tunis 17-18 & 19 avril 2008. Paris, Tunis : ISD,IPSI, SFSIC, 2008, p.431-441 De Lavergne, C . " Information et communication : des relations symétriques ou complémentaires, dialogiques ou convergentes ? 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