« Société de l’information », deuxième époque ?

Transformation du statut de l’usage des TIC au travers des nouvelles propriétés des objets communicants

 

Working paper, Euromed-Marseille n°12-2006

 

Auteur et date de rédaction :

Félix WEYGAND, juin 2006.

Félix WEYGAND est né en 1959. Après une vingtaine d’années d’activité dans des entreprises des télécommunications et de l’informatique, il a soutenu en 2003 une thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de la Méditerranée, dans le cadre du Laboratoire de recherche sur les médias, l’information et la connaissance (Medi@sic). Félix WEYGAND est Professeur à Euromed-Marseille Ecole de Management et Maître de conférence associé à l’Université de la Méditerranée (EJCM et laboratoire Medi@sic).


 

Introduction

Notre contribution présente brièvement ce qu’on décrit actuellement comme de nouvelles ruptures techniques en cours dans les TIC. Il s’agira d’une part de repérer les « effets de mode » contenus dans ces descriptions, qui reprennent des appréhensions ou des enthousiasmes récurrents dès que l’on est confronté à des ruptures techniques, d’autre part de s’interroger sur la pertinence de nos outils d’analyse des innovations face à ces éventuelles ruptures.

En effet, indépendamment de l’opinion optimiste ou inquiète qui se forme à leur propos, s’il y a bien des ruptures techniques celles-ci peuvent nous amener à revoir un des principaux outils dont nous disposons pour comprendre les TIC dans la société : l’approche en terme d’usages et d’appropriation.

Les descriptions de ces ruptures techniques sont aujourd’hui nombreuses et de statuts divers. Pour l’essentiel, elles sont à la croisée des propos de vulgarisation de différents « experts » et des rapports issus des laboratoires de recherche et développement des entreprises. Ces publications visent généralement à préparer des politiques publiques ou des programmes industriels dans le domaine du développement économique, scientifique et technique ; certaines visent aussi à pressentir les risques liés à ces ruptures techniques et à avertir de leurs conséquences possibles.

On trouvera en bibliographie des sources et références permettant de se reporter directement à ces documents, la liste ne prétend pas être exhaustive, d’autant quelle s’accroît sans cesse.

Notre propos va s’articuler en trois parties :

1°) Une synthèse de ce que nous retenons comme les principaux traits de l’approche en terme d’usages et d’appropriation permettant de « penser les TIC dans la société ».

2°) La description de ces techniques dans une « première société de l’information » au sein de laquelle cette approche a une grande efficacité explicative.

3°) La description des principales caractéristiques attribuées aux ruptures techniques en cours qui peuvent avoir des conséquences sur les usages et les processus d’appropriation, venant contrarier la fécondité de cette approche. Cette évolution devrait alors être distinguée de la précédente comme une « nouvelle société de l’information ».

1.     Le projet de penser les TIC dans la société

Bouleversements économiques et techniques

Depuis la seconde guerre mondiale des dynamiques d’innovations techniques, accélérées par les besoins militaires des années de conflit, ont progressivement mûri et se sont développées conjointement dans les domaines des télécommunications et de l’informatique. Ces développements ont débordé sur le champ de la communication audiovisuelle ; les réseaux audiovisuels n’étant qu’une forme particulière de réseaux de télécommunications et les modalités de production technique et de stockage des contenus audiovisuels recourant progressivement aux techniques numériques développées par l’informatique et les télécommunications. Cet ensemble d’activités scientifiques et techniques, de secteurs économiques, de fonctions et d’usages sociaux, est désigné comme le domaine des « technologies de l’information et de la communication » (TIC).

Les définitions exactes de ce domaine, et la pertinence de sa dénomination, sont discutables ; mais l’importance des bouleversements et la rapidité des évolutions qu’il a connues n’en sont pas moins remarquables. Ces évolutions concernent le traitement, le transport et le stockage des informations, généralement sous forme numérique ; on peut les illustrer par exemple au travers des « lois » de Moore et de Gilder, ainsi que de l’évolution des mémoires informatiques :

·        En 1965, Gordon Moore, directeur de la R&D chez Fairchild Semiconductor (il fondera Intel en 1968), remarque que la capacité de traitement d’information d’une puce électronique (mesurée par le nombre de transistors implantés sur une surface de silicium), double tous les un à deux ans depuis 1959. Cette constatation empirique a été, moyennant  quelques ajustements à la marge, régulièrement vérifiée depuis ; il est généralement prévu que cette vérification s’opèrera jusqu’en 2017, les progrès techniques sur lesquels elle repose, notamment en matière de gravure du silicium, étant prédictibles de manière fiable. L’importance des conséquences économiques et techniques de ce phénomène est facilement perceptible au travers de cette comparaison donnée sur le site d’Intel : si les transports aériens avaient été soumis à la « loi de Moore », le vol Paris New York qui prenait sept heures et coûtait 900 US$ en 1978, n’aurait plus coûté qu’un Cent pour une durée d’un quart de seconde en 2003.

·        L’hypothèse formulée en 1997 par Georges Gilder, est tout aussi empirique et en réalité très difficilement mesurable à l’échelle globale : la capacité de transport des réseaux de télécommunications serait multipliée par quatre ou cinq chaque année, alors que les quantités d’information transportées ne feraient que doubler. Si ces multiplications sont d’un précision incertaine, la croissance des débits des réseaux et l’effondrement du coût des télécommunications n’en sont pas moins spectaculaires : la minute de conversation téléphonique Paris New York qui coûtait l’équivalent de 15 € fin des années 1950 a aujourd’hui un coût qui tend vers zéro.

·        Enfin, toujours avec une large marge d’approximation, on peut retenir que de 1985 à 2000, la capacité de stockage des mémoires a été multipliée par 1000, tandis que la rapidité d’accès à ces mémoires pour en extraire l’information a été multipliée par 40.

C’est l’importance même, la rapidité, l’intrication des causes et des effets, techniques et économiques, qui rendent difficilement précis ces exemples ; mais les ordres de grandeurs sont convergents pour conclure à l’ampleur du phénomène global : traiter, transporter et stocker des informations numériques sont des processus qui ont connu pendant des décennies une croissance explosive de leur efficacité et un effondrement abyssal de leurs coûts (Volle, 2006). Contrairement à une vision un peu rapide d’une économie qui se serait dématérialisée, ces bouleversements sont d’abord de nature industrielle[1]. Ils concernent la manière dont des innovations technologiques (de la « haute technologie ») transforment des normes de production, des qualifications professionnelles, des différentiels de productivité, et par là, déforment les structures des poids respectifs de secteurs économiques et des flux de valeur entre eux. Ils concernent également le renouvellement des produits et services issus de l’activité économique.

Ainsi en aval des conséquences tout aussi importantes concernent les objets dont disposent les consommateurs, les usages effectifs et les représentations qu’ils en ont individuellement et collectivement, sur le plan professionnel comme domestique. Cette part essentielle prise dans nos économies et nos modes de vie par les TIC, les objets et services qui en sont issus, les usages réels et les représentations que nous en avons, sont ce que l’on désigne comme « société de l’information », ou encore « société de la connaissance » (Burch, 2005). Désignations éminemment critiquables, notamment par leurs connotations idéologiques, mais finalement utilisées par tous comme un résumé pratique de tout ce que nous venons de décrire. En effet, pour reprendre la remarque de Sally Burch : « alors que le débat se poursuit sur le plan théorique, la réalité va de l’avant et les moyens de communication choisissent les mots que nous devons employer » (Burch, p.51) ; elle poursuit : « au-delà des discussions sur le terme adéquat à employer, il est essentiel de contester et de juger illégitime tout terme ou toute définition renforçant cette conception technocentriste de la société » (Burch, p.69) ; c’est à ce point que nous venons maintenant.

 

Déterminisme technique

Des changements techniques continuels et très importants qui, via l’industrie et l’économie, viennent prendre une part essentielle dans la transformation de nos modes de vie et de nos représentations. Cette description de la « société de l’information » a largement conduit à une lecture déterministe de son processus d’apparition. Les innovations techniques étant considérées comme les causes univoques des transformations sociales, leur moteur.

Cette tendance est bien sûr une facilité pour l’analyse : on isole un facteur, la « technique », et on voit comment les autres varient en fonction de lui. Souvent pourtant, concernant les TIC, on a eu tendance à prendre cette facilité méthodologique comme une réalité, tel est le sens aussi bien du projet cybernétique de Norbert Wiener il y a cinquante ans (Breton et Proulx, 2002), que plus récemment des élucubrations sur la cyberdémocratie d’un Pierre Lévy (Weygand, 2004).

Dans les années 1960 Jürgen Habermas, notamment, avait montré qu’il y a là une confusion de nature idéologique entre la capacité de disposer des choses, que nous détenons et améliorons sans cesse par la technique et les sciences expérimentales, et la capacité d’éclairer l’action en société qui est l’objet de la politique, du management, des sciences sociales (Habermas, 1973). Or cette confusion dans le contexte d’une « société de l’information », recèle un danger particulier : les TIC agissent bien sur la matière et les objets en mettant à profit des lois naturelles (radioélectriques, électroniques, optiques, etc.), mais dans le but d’ « outiller » nos pensées, nos représentations, nos mémoires, nos aptitudes intellectuelles. Elles visent à constituer des « artefacts cognitifs complexes » (Origgi, 2002) comme jadis l’écriture ou l’imprimerie, et par là participent de changements plus fondamentaux, anthropologiques, en œuvre dans les sociétés et les individus.

Il était donc fondamental depuis le début des années 1980, avec l’apparition de la micro-informatique et de ce qu’on appelait alors la « télématique », et plus encore depuis le développement de l’Internet commercial au milieu des années 1990, de renverser la facilité d’analyse qui faisait des TIC le moteur des changements sociaux. C'est-à-dire de comprendre comment réciproquement la société produits des innovations qui viennent l’envahir d’objets et d’usages participant à sa transformation.

Ce travail a largement mis à jour les liens entre d’une part la problématique de l’autonomie sociale, de la « deuxième modernité » (de Singly, 2005), de l’imaginaire où s’élaborait la critique et le dépassement de la société de masse issue des « 30 glorieuses » (Flichy, 2003a et 2001), et d’autre part, l’apparition progressive du triptyque : micro-ordinateur, Internet, mobilité, permettant un mode de vie marqué par « l’individualisme connecté en réseau » (Flichy, 2003b).

Ainsi la technique n’est plus perçue comme un facteur extérieur et isolé dont les évolutions intrinsèques viendraient produire des effets sur la société, elle est perçue comme un ensemble de pratiques sociales, menées par des acteurs, en interaction avec les autres pratiques constitutives des changements sociaux. La technique et la science en améliorant sans cesse notre pouvoir de disposer des choses, de transformer la nature[2] (Godelier, 1984), sont une partie des changements sociaux, influencée dans sa dynamique propre par les autres parties et réciproquement les influençant, sans pour autant être un déterminant exclusif.

 

Paradigme de l’appropriation

Cette réfutation du déterminisme technologique a contribué au renouvellement du regard porté par diverses disciplines sur les TIC et leur place dans les faits sociaux :

·        Parmi les disciplines fondamentales : économie industrielle des télécommunications et de l’informatique, économie et sociologie de la communication, économie et sociologie de l’innovation, sciences politiques, etc.

·        Parmi les sciences sociales appliquées : ergonomie des IHM, management des systèmes d’information, aménagement du territoire, management de l’innovation, marketing, etc.

La sociologie des usages, qui étudie « ce que les gens font effectivement avec les objets et les dispositifs techniques » (Proulx, 2005) issus des TIC et les représentations qu’ils ont de ces objets et de ces usages, joue un rôle central dans ces avancées parce qu’elle découvre comment les usages « remontent » vers l’offre économique et/ou technique pour la façonner de manière inattendue par rapport aux visés des concepteurs. Très rapidement résumés en « paradigme de l’appropriation », les acquis de ces travaux sont les suivants :

·        L’utilisateur final « ruse » toujours avec l’objet technique pour l’approprier à ses usages particuliers. Ces usages (ce qu’on en fait « vraiment ») sont donc plus sûrement le guide de l’utilisation (comment on s’en sert « techniquement ») de l’objet, que les prescriptions et les projets que les concepteurs, ingénieurs et marqueteurs, ont consciemment et inconsciemment incorporés dans cet objet (Poulain, nd 2005). 

·        Il s’ensuit que l’histoire des TIC est d’abord l’histoire de très nombreux échecs, d’innovations qui n’ont pas réussi parce qu’elles ont été rejetées au lieu d’être appropriées par l’utilisateur final. L’innovation qui réussit, parfois avec un succès extraordinaire comme le téléphone mobile, ne trouve sa place qu’au terme d’un processus d’appropriation et de représentation : l’objet, qui incorpore des caractéristiques intrinsèques matérielles et techniques particulières (des affordances), est approprié par quelqu’un, qui incorpore des aptitudes cognitives, une histoire, des projets également particuliers, dans les usages qu’il fait et la représentation qu’il a de cet objet (Mallet, 2004). 

·        Cette appropriation est souvent transgressive, elle détourne l’objet du projet initial qui l’a fait offrir sur le marché par des entreprises, elle le réinvente, souvent dans des modalités non marchandes (réseaux Wifi, P2P, etc.) ; obligeant l’économie à « courir après » les usages réels pour les transformer en demande solvable, en les améliorant ou les sécurisant. L’innovation qui réussit est donc également souvent ascendante de l’utilisateur final vers l’offre économique (Cardon, 2005).

·        Enfin, cette réussite de l’innovation ne se découvre qu’inscrite dans une généalogie d’usages (Jouet, 2000) : les usages du PDA communicant s’inscrivent dans la suite de ceux du téléphone mobile et du micro-ordinateur portable, qui ont hérités des usages du téléphone fixe  et de l’ordinateur de bureau, qui eux-mêmes ont hérité du télégraphe et de la machine à écrire, etc.

Ce paradigme de l’appropriation est donc bien adapté pour penser et comprendre les innovations incrémentales. Il ne rend sans doute pas compte de tout le processus, dans lequel il faut également faire intervenir d’autres facteurs, notamment l’imaginaire de la technique porté par les différents acteurs, en premier lieu les scientifiques et ingénieurs ainsi que ceux qui financent leurs travaux de recherche en amont ; mais il a un pouvoir explicatif très étendu. Il permet de découvrir comment les innovations se co-construisent, par et dans l’usage, de manière ascendante et descendante, entre l’utilisateur final, le marketing et la R&D (Mallein, nd 2005).

2.     La « première société de l’information »

Des caractéristiques propices à l’efficacité explicative du paradigme de l’appropriation

Jusqu’à présent, et malgré la tendance à voir une « révolution numérique » dans les changements des soixante dernières années, la « société de l’information » semble d’abord faite d’innovations incrémentales. Plus exactement, si sur la plan technique la révolution numérique s’est bien produite initialement dans les années 1940-1950, ses effets, pour très importants qu’ils aient été, sont quand même passés sous les fourches caudines des processus d’appropriation par lesquels des innovations se sont progressivement enchaînées les unes aux autres et mises en forme. Certains objets et dispositifs ont ainsi connu une diffusion qui en a fait des réussites éclatantes (le micro ordinateur, le Web, le téléphone mobile…), d’autres ont été très vite rejetés (le BeBop, la norme D2Mac, le Visiopass…), ou ont simplement occupé une place ponctuelle dans la généalogie des dispositifs avant d’être progressivement oubliés (Le Minitel, le vidéodisque analogique…).

Les caractéristiques des TIC et de leurs usages dans cette « société de l’information » sont ainsi les suivantes :

·        Les machines se sont individualisées (ordinateur personnel, téléphone mobile) et les interfaces homme-machine ont été progressivement conçus pour faciliter l’appropriation en favorisant la découverte pratique et l’apprentissage intuitif : aides contextuelles, icônes des interfaces graphiques, navigation à l’aide de la souris et de raccourcis ; bref ce que l’on résume en « convivialité ». 

·        Les réseaux et les terminaux sont restés faiblement convergents, contrairement à des prédictions presque toujours démenties et aux possibilités techniques que la généralisation de la numérisation des signaux permettaient :

o       Les réseaux de télécommunications « historiques » servent d’abord à transporter de la voix, avec des débits faibles et symétriques, une architecture fondée sur la commutation de circuit et un terminal dédié, le combiné téléphonique.

o       Les réseaux broadcast, servent à transporter des signaux audiovisuels, ils sont totalement asymétriques avec un haut débit descendant, leur terminal est le téléviseur ou le poste de radio.

o       Les réseaux de données, transportent essentiellement de l’écrit, principalement à vocation professionnelle, avec des débits et des nivaux de symétrie qui conditionnent leurs prix et qui sont donc économiquement ajustés aux besoins.

Dans ce contexte, changer de terminal c’est presque toujours changer de réseau et c’est toujours couper la communication. Les modèles économiques qui concernent ces différents réseaux et terminaux ainsi que les contenus et services qu’ils procurent, sont différents ; leurs opérateurs ou fournisseurs sont distincts.

·        Le statut par défaut d’un canal de communication sur ces différents réseaux est qu’il est fermé. Pour établir une communication on compose volontairement un numéro de téléphone ou on lance une requête téléinformatique ; dans tous les cas on « allume » un terminal pour que le signal circule. L’établissement de la communication a généralement un coût, sur le modèle de la facturation des communications téléphoniques à la distance et au temps passé, plus récemment sur le modèle du forfait associé à un débit ou un choix de contenu.

·        Il s’en suit que l’on communique consciemment, de façon plus ou moins délibérée ou routinière, mais toujours dans un acte qui ouvre le canal de communication, et dont sait qu’il a éventuellement un coût. Que l’on communique principalement entre êtres humains, même si cette communication est différée dans le temps parce que les données restent stockées dans les mémoires des machines.

·        Cette communication se fait au travers d’équipements que nous connaissons, qu e nous avons collectivement façonnés au cours d’une histoire des usages et de leur appropriation et dont nous savons nous servir de manière plus ou moins experte. 

 

Ces caractéristiques triomphent mais annoncent une rupture depuis une dizaine d’année

Les diffusions rapides de l’Internet grand-public et de la téléphonie mobile de deuxième génération à partir du milieu des années 1990, sont à la fois l’apogée et la marque d’une rupture (Proulx, 2005) de cette première « société de l’information ». Elles en sont l’apogée tant par les réussites de ces dispositifs que parce que ces réussites sont entièrement bâties, et même parfois « bricolées », d’innovations incrémentales, très souvent ascendantes, forgées par et dans des usages fortement ancrés dans des généalogies qui ont procédé de petites améliorations en petites améliorations successives. Elles sont annonciatrices d’une rupture parce que les évolutions qu’elles entraînent viennent rapidement remettre en question les caractéristiques présentées plus haut.

Par exemple : les usages grand-public de l’Internet sont rapidement incompatibles avec les modalités d’établissement des communications et de facturation issues des usages du réseau téléphonique commuté. La réponse qui s’est imposée c’est l’accès permanent, soit via des réseaux broadcast, ceux de la télévision par câble, soit par l’ADSL, qui a comme conséquence de transformer le réseau téléphonique en réseau broadcast. La frontière séparant les réseaux, et dans une moindre mesure pour l’instant les terminaux, a ainsi sauté. Plus important encore que ce début de convergence est le fait que par ce biais le statut par défaut du canal de communication est désormais d’être ouvert, c’est le fermer qui exige un acte volontaire.  

Autre exemple : les usages du téléphone portable qui, encore plus que la voix, a rendu l’écrit, et dans un deuxième temps l’image, mobiles. Progressivement le combiné téléphonique tend à se constituer en terminal multifonction, une sorte de nouveau « couteau suisse » des communications.   

Nous allons voir que sur cette remise en question viennent se greffer des innovations de rupture, c'est-à-dire des innovations qui ne sont pas ancrées dans des généalogies d’usages.

3.     Vers une nouvelle « société de l’information » ?

Nous entrons maintenant dans une phase exploratoire de notre propos où les hypothèses et les pistes que nous avançons sont peu dégrossies et ont avant tout vocation à lancer et animer la réflexion et le débat. La littérature de description des avancées des techniques peut être résumée autour de l’identification de quatre ruptures. Ces ruptures sont la généralisation du haut débit, de la mobilité, de l’identification et de la miniaturisation.

Ces ruptures forment ensemble un système de caractéristiques du fonctionnement des objets issus des TIC, et donc de leurs usages, différent de ce que nous venons de présenter plus haut. Lorsqu’elle postule la formation d’un tel « système de caractéristiques», cette littérature formule une prophétie déterministe. Cette « prophétie » sera éventuellement plus ou moins autoréalisatrice : qu’elle se réalise n’est pas « déterminé » par la technique mais par le fait même qu’énoncer ces évolutions contribuera à les façonner par le relais de l’imaginaire des acteurs de l’innovation et par la mobilisation de forces sociales pour ou contre elles.

Il ne s’agit donc pas dans ce qui suit d’adhérer à notre tour à une vision déterministe de l’ « impact » des techniques sur la société, mais d’envisager le fait que face aux évolutions évoquées, l’outillage conceptuel construit autour de l’usage et de l’appropriation, risque ne pas « fonctionner » aussi bien que dans la période précédente pour comprendre et décrire ce qui va se passer concernant ces évolutions techniques.

C’est cette question que nous discuterons en conclusion. 

 

Quatre ruptures à base technique et leurs conséquences

Haut débit

La notion de haut débit s’appréhende d’abord en relation avec les évolutions de la partie terminale des réseaux, la « boucle locale ». Il y a moins de 10 ans la frontière du haut débit était de 64 Kbps pour un particulier et de 2 Mbps pour une entreprise, les coûts associés à des débits supérieurs les réservaient à un petit nombre et à des usages spécifiques. Aujourd’hui, principalement par le développement fulgurant des offres ADSL pour le grand public, ces frontières se sont déplacées vers des dizaines de Mbps pour le particulier et des Gbps pour l’entreprise. Des évolutions sont en cours, tant sur les cœurs de réseaux que sur les boucles locales, qui sont destinées à accentuer encore ce processus.

Sans s’attarder sur ces aspects techniques, la croissance du débit disponible à la prise a d’ores et déjà les conséquences suivantes :

·        Elle favorise la migration de tous les signaux, déjà largement numérisés, vers le protocole internet. Le recours universel à celui-ci était notamment limité par sa « gourmandise » en débit, cet obstacle disparaît. De ce fait elle favorise la convergence : les frontières entre réseaux, opérateurs et économies de la voix, de la donnée et des contenus audiovisuels tendent à s’estomper.

·        Là où un réseau public (au sens d’un réseau d’opérateur), desservait en général un terminal chez un particulier, il peut désormais desservir un réseau local. Celui-ci peut relier des terminaux semblables ou, du fait de la convergence, différents, mais communiquant entre eux par le réseau local et ouverts aux communications avec l’extérieur par le même accès haut débit. Ce faisant d’autres objets que les habituels téléphone-téléviseur-ordinateur, peuvent ainsi devenir des terminaux et entrer en communication, locale ou distante, au travers de ces réseaux.

·        Enfin, et nous identifions ceci comme une rupture qui n’était pas inscrite dans la généalogie des usages précédents, la généralisation du haut débit a du même coup généralisé l’accès permanent. Le statut par défaut du canal de communication est désormais d’être ouvert, du moins ce statut est-il possible sans surcoût puisque l’accès est facturé de manière forfaitaire. Les usages exigeant cet accès s’en trouvent donc favorisés ; ces usages peuvent être de nouvelles formes « incrémentales » de communication (messageries instantanées, visiophonie par internet, téléchargement en peer to peer, podcasting, etc.), mais peuvent aussi concerner  la communication machine to machine des objets nouvellement constitués en terminaux[3].

Mobilité

La mobilité a partie liée avec le « sans fil », elle s’est d’abord généralisée grâce à la téléphonie mobile recourant à des signaux radios. Un autre aspect du sans fil est que le terminal mobile doit pouvoir incorporer une alimentation électrique autonome (des batteries ou le branchement sur une source d’énergie elle-même mobile) d’une durée, d’un poids et d’un encombrement compatibles avec les usages mobiles. Cette avancée dépend elle-même à la fois des progrès faits dans les batteries et de ceux faits dans l’abaissement de la consommation énergétique des terminaux.

A côté, puis progressivement en convergence, avec le téléphone mobile ces évolutions ont affecté l’ordinateur qui est devenu portable. Cette caractéristique a ouvert la porte à la constitution des réseaux cellulaires au-delà de la deuxième génération (GPRS, EDGE, UMTS, etc.) en boucle locale sans fil permettant aux ordinateurs d’accéder en mode dégradé à l’Internet (pour prendre un terme générique). Elle a également provoqué le développement des réseaux locaux sans fil, en particulier Wifi et Bluetooth. Ces évolutions et cette généralisation des réseaux radios ont à leur tour provoqué l’apparition de nouveaux objets mobiles communicants (PDA et Smartphones) et de nouveaux usages.

D’autres réseaux radios, ou d’autres usages des mêmes réseaux radios, et d’autres objets mobiles communicants, ou d’autres usages des mêmes objets, sont progressivement apparus pour remplir d’autres fonctions : cartes à puce sans contact qui ouvrent et ferment des portes ou acquittent des péages autoroutiers, téléphones portables qui servent de porte-monnaie électronique, étiquettes « intelligentes » qui assurent la traçabilité et la géolocalisation des objets sur lesquels elles sont apposées, etc. Ces dispositifs radios sont invisibles, ou du moins suffisamment discrets, pour que nous n’y prêtions pas attention dès lors qu’ils fonctionnent sans exiger d’action spécifique de notre part.

Ainsi, la mobilité a également fait apparaître ce que l’on appelle parfois l’ « informatique ambiante », ou même l’ « intelligence ambiante », ou encore les réseaux « pervasifs » : le fait que nous vivons y compris lorsque nous nous déplaçons, dans des réseaux de télécommunications, et que de nombreux objets communicants s’y déplacent avec nous et autour de nous, sans que nous n’y prêtions plus d’attention qu’à l’air que nous respirons. Auparavant nous nous déplacions entre des terminaux assujettis par des fils à des prises d’accès aux réseaux ; ces réseaux, même très denses, avaient des tracés, des frontières et des dessertes précises.

Ce changement, issu de la généralisation de la mobilité mais de nature différente, nous l’identifions également comme une rupture qui n’était pas inscrite dans la généalogie des usages précédents.

Identification

Pour qu’un réseau de communication fonctionne, on doit identifier les terminaux entre lesquels les informations circulent (les adresses postales ou électroniques, les numéros de téléphone) et les nœuds intermédiaires permettant l’acheminement de ces signaux entre leurs points de collecte et de terminaison. Ces possibilités d’identification sont limitées à la fois par la taille que l’on peut consacrer à l’adresse dans chaque message et par l’architecture des réseaux. La communication exige aussi de pouvoir connaître les adresses déjà attribuées grâce à un annuaire et, réciproquement, de pouvoir attribuer des adresses disponibles aux nouveaux entrants dans le réseau. Ces opérations sont d’autant plus complexes et coûteuses que le réseau est vaste, que ses membres sont nombreux et que son architecture est elle-même complexe.

Dans le cadre du protocole internet, la version courante actuelle (la quatrième : IPv4) est toujours celle mise au point en 1981, douze ans avant le début de l’Internet grand public. Elle permet de disposer d’un peu plus de quatre milliards d’adresses distinctes, soit un stock devenu aujourd’hui d’autant plus dérisoire qu’il souffre d’une répartition initiale très inégale. Ces adresses sont attribuées au travers d’une chaîne de délégation pyramidale d’autorités qui garantissent aussi le fonctionnement d’un annuaire à jour et la robustesse architecturale de l’Internet. C’est ce dispositif pyramidal de délégation d’autorités que l’on appelle « la gouvernance de l’Internet » ; il a été fortement critiqué fin 2005, lors du « Sommet mondial sur la société de l’information » organisé à Tunis sous l’égide de l’ONU, mais finalement il est resté sans changement significatif.

Pour répondre à la pénurie d’adresses un nouvelle version, IPv6, conçue à partir de 1995, permet de disposer de 340 milliards de milliards de milliards de milliards d’adresses distinctes, autant dire une infinité, du moins à l’échelle planétaire, puisque cela représente des millions de milliards d’adresses par mm² de surface terrestre. Afin de faciliter leur attribution à des terminaux, ces adresses sont autoconfigurables, c'est-à-dire qu’un nouvel objet entrant dans le réseau prend automatiquement et durablement (définitivement tant qu’il est dans le réseau ou qu’il n’est pas volontairement re-adressé) une adresse l’identifiant de façon unique. Réciproquement, compte tenu de la partie du réseau où il est inséré, il identifie par un « protocole de détection de voisins » les autres objets avec lesquels il est susceptible de communiquer directement.

Indépendamment de ces évolutions concernant le protocole internet, les entreprises ayant activités logistiques importantes cherchent à améliorer la traçabilité et la gestion des objets tout au long des chaînes de conditionnement, de transport et de stockage. Cette préoccupation a fait converger deux concepts différents : d’une part celui du code-barre, où l’identifiant est collé en étiquette ou peint sur l’objet et doit être positionné en vue directe d’un lecteur optique pour permettre l’identification ; d’autre part celui de la carte sans contact, où les informations contenues dans une puce sont lues lorsqu’elles sont « éclairées » par le réseau radio dédié à cette fonction d’indentification et de lecture. Contrairement au code barre, la carte sans contact n’exige pas de vue directe par un lecteur, il suffit que les ondes radios pénètrent les objets qui l’entoure. La convergence de ces deux concepts se manifeste dans les étiquettes « intelligentes » permettant l’identification par radio fréquences (l’acronyme anglais est couramment utilisé : RFID). Comme les étiquettes à code-barre, elles permettent d’identifier et de suivre un objet tout au long d’une chaîne logistique, mais de plus elles peuvent être incorporées à l’intérieur de l’objet ou de son emballage et n’exigent pas de manipulation pour positionner l’étiquette en visée directe d’un lecteur, il suffit qu’elles soient éclairées par le signal radio correspondant pour communiquer les informations qu’elles contiennent. En outre, certaines étiquettes RFID peuvent être réécrites dans les mêmes conditions, elles peuvent donc récolter, mémoriser et transporter des informations additionnelles.  Le bénéfice attendu de la généralisation de la RFID est de l’ordre de 7 à 8% des coûts de logistique à l’horizon de 2008 où 10 à 20 milliards d’objets pourront ainsi avoir été étiquetés.

Si IPv6 et RFID n’ont historiquement pas le même point de départ, le projet de leur hybridation a été rapidement conçu par des acteurs extrêmement puissants et a donné naissance au concept d’ « Internet des objets ». Ces acteurs sont d’une part une organisation de normalisation (EPC Global Inc, EPC signifiant electronic product codes) regroupant à l’échelle mondiale les grandes entreprises intéressées par l’amélioration de la chaîne logistique, d’autre part la société américaine VeriSign, qui est l’un des acteurs de premiers rang de la gouvernance de l’Internet évoquée plus haut. En effet, elle gère par délégation plusieurs noms de domaines et l’annuaire étalon, elle est de ce fait un des principaux piliers sur lequel repose l’architecture du réseau mondial. EPC Global Inc, a commandé à VeriSign la conception du futur réseau des objets, l’EPC Global Network, et VeriSign a réalisé un « copier-coller » de l’architecture de l’Internet vers ce nouveau concept.

Nous voyons là une nouvelle rupture se dessiner que l’on peut décrire ainsi : la possibilité, pour n’importe quel objet, d’être identifié de manière unique par une adresse IPv6 le repérant dans un réseau mondial, d’incorporer une étiquette invisible, comportant cette adresse ainsi que des informations additionnelles, lisibles et inscriptibles sans contact physique ni vue directe, et enfin d’être ainsi transformé en objet mobile communicant.  Si nous parlons à nouveau de rupture à ce propos c’est parce que ni l’abondance faramineuse d’adresses IPv6, ni sa convergence avec le réseau global des objets, ne correspondent à des « commandes » que la société aurait passées dans la continuité généalogique avec des pratiques préalables.

Miniaturisation

La miniaturisation est fortement inscrite dans la continuité historique : elle est une des manifestations de ce que l’on a résumé en « loi de Moore ». Toutefois le passage en cours du micromètre au nanomètre, et donc de la microélectronique à la nanoélectronique, a des incidences qui échappe à la généalogie des usages : à 1nm on est au niveau atomique, c'est-à-dire non seulement bien au dessous de la perception visuelle ou tactile humaine, mais aussi à un niveau où les problèmes d’alimentation électrique et de dégagement de chaleur, par exemple, se posent de manière totalement différente. Les dispositifs électroniques deviennent donc incorporables, « enfouissables », dans les objets les plus courants, voire dans le vivant, par exemple pour des applications médicales. Au sein de ces objets ils sont indétectables si on ne les recherche pas spécifiquement avec les appareils dédiés à cette recherche, et autonome sur le plan énergétique dès lors que la lumière, la chaleur, ou l’électricité ambiante suffisent à permettre durablement leur alimentation.

Outre les technologies RFID évoquées plus haut, l’un des domaines importants de développement de ces propriétés est celui des capteurs, c'est-à-dire de dispositifs susceptibles de recueillir des informations sur leur environnement (température, composition chimique, lumière, son, mouvement, position géographique, etc.), de les conserver en mémoire ou de les transmettre, localement ou via un réseau, éventuellement afin de déclencher automatiquement des processus de réponse aux évolutions détectées.   

 

Conclusion  comment continuer à penser les TIC dans ce contexte ?

Si l’on agrège les différents éléments évoqués concernant le débit, l’identification, la mobilité et la miniaturisation, ainsi que leurs conséquences enchevêtrées, on obtient un paysage des TIC radicalement transformé par rapport aux caractéristiques décrites pour la « première société de l’information ». Nous ne voulons pas dans cet exposé tomber dans le travers du récit « prophétique » de science fiction, non plus qu’argumenter et documenter nos propos en nous livrant à des exposés techniques trop compliqués. Notons donc en résumé les éléments suivants :

·        Les réseaux d’opérateurs incorporant ces innovations (réseaux dits NGN pour next generation networks) ne sont plus dédiés à un type spécifique de signaux et de communications ; à ce niveau la convergence est réalisée. Sa caractéristique technique de base est la généralisation du protocole internet de bout en bout (aussi bien en boucle locale qu’en cœur de réseaux) comme standard technique pour tout type de communications (voix, données, images) permettant la circulation des signaux ainsi normalisés entre tous les types de réseaux et de terminaux.

o       Les boucles locales qui assurent la terminaison et la collecte des communications, peuvent être indifféremment fixes ou mobiles, filaires ou radios ; les terminaux qu’elles desservent sont de plus en plus des réseaux locaux qui eux-mêmes peuvent être filaires ou radios, pérennes ou ad hoc (voir plus loin). Ces boucles locales sont toujours à haut débit, cette notion étant évolutive dans le temps, et le statut des canaux de communication qu’elles supportent est qu’ils sont ouverts par défaut.

o       Les cœurs de réseaux qui assurent le transport longue distance des flux de communication sont normalisés selon une architecture (dite IMS pour IP multimedia subsytems) qui tient compte à la fois de l’explosion des débits, de l’hybridation des signaux multimédias sous protocole internet et de la montée des contraintes d’identification liées à la prolifération des objets mis en réseaux ainsi qu’à leur mobilité[4]. 

·        Tout objet est susceptible de devenir un objet mobile communicant, terminal d’un réseau d’opérateur, ou élément d’un réseau local, lui-même terminal composite d’un tel réseau. On est fondé à dire « tout objet » sans exagération, car la notion d’ « objet » est ici très extensible : en ce qui concerne la taille, la mobilité, le débit, les besoins en énergie, le poids, la forme, le nombre d’adresses uniques disponibles, etc. les limites des dispositifs communicants ont été, sinon totalement anéanties, du moins très considérablement repoussées.

o       Ces dispositifs sont donc d’ores et déjà très nombreux autour de nous (et sur nous, au moins dans nos poches, progressivement incorporés à nos vêtements et potentiellement à nos personnes biologiques) et sont destinés à proliférer, tout en étant pour beaucoup d’entre eux invisibles et placés en dehors de notre attention parce qu’ils sont enfouis dans les objets courants. Ces dispositifs utilisent les propriétés des réseaux qui viennent d’être évoqués : ils communiquent par des canaux ouverts par défaut, ils sont reconnus automatiquement par les réseaux qui les géolocalisent et identifient les caractéristiques et les droits de communication dont ils sont les porteurs.

o       Réciproquement ces dispositifs peuvent reconnaître les réseaux qui les desservent et, dans un certain rayon, ils peuvent se localiser mutuellement afin se reconnaître entre eux et de se constituer en réseaux ad hoc[5]. Ils peuvent être équipés de capteurs pour détecter les modifications de leur environnement, programmés pour produire ou déclencher des réactions automatiques, locales ou distantes, perceptibles ou non, en fonction de ces modifications.

En résumé, la « nouvelle société de l’information » dont il est fait l’hypothèse se distingue de l’ « ancienne » parce que les caractéristiques des « nouveaux » objets issus des TIC sont peu propices à être appréhendées par le paradigme de l’appropriation. En effet celui-ci est fondé sur notre conscience des objets, sur l’exercice de notre volonté pour nous en servir pour nos usages, malgré la résistance qu’ils nous opposent. C’est cet exercice qui exige que nous affrontions, détournions, modifions, inventions, à la fois contre et avec les caractéristiques incorporées dans ces objets par les projets de leurs concepteurs ainsi que par leurs limites techniques intrinsèques. A l’encontre de ce contexte, un nouveau régime de rapports aux objets est en train d’apparaître, par la faculté qu’ils ont, de plus en plus, de communiquer sans cesse autour de nous mais hors de notre conscience ou du moins de notre attention et de notre action, alors même que nous sommes immergés dans des échanges d’information qui pour beaucoup traitent de nous et que nous avons déclenchés le plus souvent à notre insu.

Ce nouveau régime ne va pas manquer de voir ressurgir les explications déterministes de l’impact de la techniques sur la société, ainsi que les exploitations idéologiques que les espoirs et les frayeurs liées à la haute technologie favorisent toujours. Ce processus est déjà bien entamé dans les rapports officiels, dans les communications des industriels, et dans toute une littérature fondée sur la présentation, illustrée d’exemples extrapolés depuis l’imaginaire des concepteurs, des innovations au grand public. Plus prosaïquement, les acquis appliqués par lesquels nous avons essayé ces dernières années d’assister la conception et l’innovation par l’usage, vont être ici confronté à une perte d’efficacité.

La poursuite du projet visant à comprendre les techniques, leurs applications, leurs évolutions et leurs enjeux par les sciences sociales n’en est rendue que plus utile et plus passionnante. 

 


 


Bibliographie

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Conférences, rapports et articles consultés en ligne

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[1]Cet ensemble de phénomènes industriels recouvrent des changements économiques bien plus larges et composites que ceux hâtivement résumés ici. Par exemple, la baisse des prix relatifs des dispositifs fondés sur les TIC ne peut pas être uniquement attribuée aux progrès dans la gravure du silicium en oubliant que l’industrialisation et la spécialisation dans l’électronique de pays d’Asie (le Japon, puis plus tard les « tigres et dragons » du sud-est), repose sur des raisons géopolitiques et de coût de main d’œuvre. Un autre facteur peut être décrit au travers de ce qu’un sociologue de la famille comme François de Singly décrit comme l’avènement d’une « deuxième modernité » marquant une étape nouvelle dans le processus d’individualisation à l’œuvre dans les sociétés modernes (de Singly, 2005). Ainsi, le changement et la dé-hiérarchisation des rapports entre générations et entre genres a joué un rôle plus important que certains aspects proprement techniques dans l’apparition d’un équipement informatique et téléphonique individuel et portable.

 

[2] « les hommes ne se contentent pas de vivre en société, ils produisent la société pour vivre ; au cours de leur existence, ils produisent de nouvelles manières de penser et d’agir sur eux-mêmes comme sur la nature qui les entoure. Ils produisent donc de la culture, fabriquent de l’histoire, l’Histoire. (…)l’homme a une histoire parce qu’il transforme la nature. Et c’est même la nature propre de l’homme que d’avoir cette capacité. » (Godelier, 1984, p.9-10) ; on pourrait ainsi paraphraser et rendre symétrique cette citation : l’homme a une histoire parce qu’il développe des techniques et, réciproquement, il développe des techniques parce qu’il produit une histoire.

[3] Un document de France Télécom indique le chiffre de 13 milliards de machines pouvant communiquer entre elle en Europe en septembre 2005.

[4] C’est cet aspect d’identification des terminaux qui fait aujourd’hui la valeur ajoutée des réseaux. En effet, le même terminal  est susceptible d’émettre tout le temps en se déplaçant au sein du réseau, en « sautant » d’une boucle locale et d’un type de lien à l’autre ; il faut donc qu’à chaque nouvelle prise en charge par un nouveau nœud du même réseau (handover), voire par un nouveau réseau (roaming), le terminal et les droits de communication soient reconnus. Le terminal  peut en effet également supporter des communications de statuts différents, par exemple : téléphoner sur un réseau public, recevoir une émission de télévision payante, accéder via un réseau privé virtuel au système d’information protégé d’une entreprise, etc. L’identification par le réseau en fonction des droits, associés au terminal et à son utilisateur, d’accéder à tel ou tel service, avec telle ou telle priorité et avec telle ou telle modalité de tarification, est  fondamentale dans un tel contexte. L’architecture IMS est donc conçue en fonction de ce problème puisqu’elle repose sur trois niveaux : transport – session – application ; les deux derniers gèrent les contraintes liées à l’identification et à la variétés des services ouverts sur le réseau, le premier correspond aux fonctions habituelles d’un réseau de télécommunications.  

[5] Un réseau « ad hoc » se constitue automatiquement entre des objets communicants qui détectent leur voisinage par une procédure de localisation réciproque associant capteurs et signaux radios, puis qui se configurent en réseau pour communiquer entre eux, et éventuellement en direction d’un réseau d’opérateur dont ils deviennent ainsi collectivement un terminal. Ils peuvent également se constituer provisoirement en nœuds pour un tel réseau, dont ils vont supporter alors le transport de flux de communication qui ne leur sont pas destinés in fine, on parle dans ce cas de réseaux maillés (mesh network).