Lecture et hypertexte

 

 

Présentation du dossier d’habilitation  en science de l’information                 (soutenu en  juin 2004)

 

                                             

 

Par  Mme Raja Fenniche Daoues

                   ISD. Tunis

 

 

 

 

 

Thématique centrale

 

Mon dossier d’habilitation est axé sur les mutations de l’écrit et de la lecture et leurs implications culturelles, sociales et psychologiques dans le contexte de l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication. J’ai essayé de donner dans  mes travaux quelques éléments de réponse à la problématique de l’impact de l’évolution technologique sur l’écrit, compte tenu du fait que ces technologies sont en train  non seulement de transformer l’écrit  au niveau de la forme (modes de textualité différents) mais de révolutionner aussi notre manière de l’appréhender et de l’utiliser ( modes de réception différents).

 

Les effets sont encore plus profonds puisque les mutations que connaît le texte en tant que support de création, de conservation et de transmission du savoir ont des conséquences directes sur la façon qu’a l’homme de construire et d’organiser ses connaissances (ordres du savoir). En d’autres termes, j’ai réfléchi sur les implications de ces mutations sur les modes de pensée, de construction et de représentation des connaissances. Les transformations constatées à ce niveau concernent plus particulièrement le passage qui s’est opéré entre les modes de lecture textuelle et hypertextuelle et la mise en place de mécanismes cognitifs et de représentations différentes du savoir.

 

Axe directeur

 

Après le volumen et le codex, le texte imprimé a non seulement conditionné nos modes de lecture mais aussi nos modes de pensée puisqu’il a cautionné une conception de la connaissance, stable, permanente, circonscrite. A l’économie linéaire du texte correspond une catégorisation hiérarchique des domaines du savoir corollaire de  l’esprit encyclopédique classique qui a prédominé depuis le siècle des lumières. L’accélération des sciences depuis le 19éme siècle a fait naître la spécialisation puis à partir de la 2ème moitié du 20éme siècle l’hyperspécialisation. Le cloisonnement des disciplines qui a pris progressivement forme trouve écho dans le domaine bibliothéconomique dans les classifications encyclopédiques du savoir notamment décimales. Ces représentations arborescentes ne sont plus capables actuellement de  rendre compte des flux considérables de connaissances, (lésées qu’elles sont  par le paradigme de la hiérarchisation et de la clôture du système) et principalement de celles ( peut être les plus novatrices ) qui naissent hors des chapelles et au croisement ou à la marge de plusieurs disciplines .

 

L’hypertexte qui fait figure de l’enchevêtrement des réseaux et de la rupture avec les structures canoniques textuelles renoue avec l’architecture ouverte des systèmes réticulaires du savoir telles qu’initiées par Liebneiz qui incarnent le non permanent et le mouvant. Mon travail a montré comment cette structure hypertextuelle participerait  à asseoir de nouveaux modes de pensées, de nouvelles façons de construire et de transmettre le savoir qui avantageraient non le mode séquentiel et classificatoire mais le mode non linéaire, transversal et dynamique de construction des connaissances qui stimule la créativité entendue comme intelligence divergente et comme démarche multiforme qui complexifie la pensée. Cette complexification de la pensée est ouverture sur l’aléa, l’incertitude et l’incomplétude. Nous le savons, la pensée complexe admet l’ambivalence structurelle entre ce qui est su et ce qui n’est pas su, entre la chose et son contraire. Elle implique la reconnaissance des principes d’incertitude et d’incomplétude, elle est animée par une tension qui oscille entre l’aspiration à un savoir non parcellaire, non réducteur, non cloisonné, et la reconnaissance de l’inachèvement  et de l’incomplétude de toute connaissance.

 

C’est dans cette perspective que s’inscrivent actuellement mes recherches qui ont connu entre 1991 et 2003 une évolution certaine focalisant sur la question de la lecture examinée dans ses rapports avec les mutations de l’écrit. Cette question a été considérée, tout au long de mon parcours, sous plusieurs angles (situation du livre et de la lecture, modes de réception du  texte, comportements de lecture, attitudes des usagers face aux TIC, navigation hypertextuelle et modes d’appréhension cognitifs..) et selon plusieurs approches : approche bibliologique, psychosociologique et enfin approche de la complexité, marquant la progression de mes recherches dans le temps et le mûrissement progressif de ma réflexion. Celle-ci s’est nourrie de l’ouverture sur des courants de pensée très actuels qui reflètent la révolution épistémologique qui est entrain de s’opérer et qui trouve écho dans cette jeune science qui est la notre située dans une zone frontière entre les disciplines.

 

De la  démarche analytique classique basée sur l’explication causale (facteurs endogènes et exogènes), j’ai progressé vers une démarche holistique qui avantage les mises en correspondances, la conjonction et l’analogie.

 

Posture épistémologique

 

Trois remarques primordiales s’imposent :

 

1-Mes travaux, de part la nature de l’axe directeur de mes recherches,  se situent dans une perspective interdisciplinaire par excellence. Elles s’inscrivent au croisement de plusieurs axes : Histoire de la lecture, Sociologie de la littérature et de la lecture, Lecture hypertextuelle, Conception des outils d’aide à la navigation hypertextuelle . J’ai mis à contribution dans une dernière étape des  principes empruntés aux théories les plus récentes en sciences cognitives ( théorie émergentiste et énactive) qui, croisées  avec les principes de la pensée complexe, m’ont offert un éclairage tout à fait édifiant  sur la manière de concevoir la navigation hypertextuelle .

 

Mes travaux s’inscrivent dans l’interdisciplinarité qui est un concept marqué par le passage de la pluridisciplinarité (transfert de méthodes d’une discipline à l’autre, duplication de modèles préétablis, emprunt de concepts pour expliquer, analyser…) à la notion plus novatrice de la transdisciplinarité où le paradigme comme le dit J. Le moigne n’est plus l’objet/ méthode mais le projet /contexte. La finalité n’est pas d’expliquer (explicare) (ôter les plis rendre la surface lisse), mais de conceptualiser, de concevoir, de construire un modèle.

 

Mes recherches se sont inscrits au départ dans la perspective pluridisciplinaire : j’ai emprunté à d’autres domaines certains concepts et méthodes d’investigation en recourant à la théorie bibliologique et ensuite à la psychosociologie pour concrétiser, en un deuxième temps, l’approche transdisciplinaire. L’objectif est de modéliser en optant pour des modes de représentation plus graphiques que discursifs inspirés par certaines théories de la complexité.

 

L’orientation pluridisciplinaire de mes travaux est déterminée en partie par  le fait que les SIC n’ont pas produit un socle épistémologique et une plate-forme conceptuelle qui les singularise. Elles  continuent, en effet, à se situer aux confins d’autres disciplines, en entretenant un certain flou conceptuel et puisent leurs fondements théoriques de plusieurs autres disciplines beaucoup plus ancrées historiquement et construites autour d’un noumos particulier (comme dit Pierre Bourdieu) (sciences des systèmes et de la cybernétique, sciences cognitives, mais aussi linguistique, sciences humaines et sociales ……)

 

                  2. La problématique sur laquelle j’ai focalisé acquiert une grande actualité en raison du contexte caractérisé par l’émergence de la notion très galvaudée quoique contestée de la société de l’information, néologisme de l’américain Peter Drucker (1982). La question de l’omniprésence de l’information m’a profondément interpellée : la suprématie de l’information, terme très polysémique, puise sa substance de l’émergence de la théorie de l’information et de ses applications dans les différentes disciplines.. Néanmoins, la  théorie de l’information qui avantage l’approche quantitative élude totalement la question du sens (qui est une co-construction d’après Moscovi des inter significations) et est incapable de rendre compte de la complexité des processus de communication humaine.

 

                  Si le passage du document à l’information a généré un débat sur la parenté avec le modèle canonique de la communication et la théorie de l’information, parenté très contestée par ailleurs ; le passage de l’information à la connaissance nécessite des approches beaucoup plus qualitatives qui prennent en compte les facteurs cognitifs et humains (l’être dans son entièreté). Ainsi, elles doivent s’aligner sur l’idée que l’appropriation, voir la construction de sens s’effectue dans la rupture avec les clivages traditionnels entre auteur/lecteur, codeur/décodeur. (Ainsi le lecteur devient co-auteur et le principal acteur de la genèse du sens). Nous passons, en effet, du schéma linéaire classique du transfert de l’information (elle s’effectue de la source au destinataire entre lesquels il y a diminution de l’entropie informationnelle) vers celui de la construction partagée des connaissances. Cette méthode  qualitative nous rapproche davantage de l’idée que la connaissance est plutôt créativité, ou encore co-créativité…

 

         Je me suis alors interrogée sur le cadre épistémologique de référence qui me permettrait de mieux réfléchir ce passage nécessaire entre l’information et la connaissance, dans une perspective constructiviste. J’ai considéré que le cadre qui coïncide le plus avec cette vision des choses est celui de la complexité qui est le résultat de la  convergence de plusieurs apports scientifiques et philosophiques . Loin de rompre avec les modèles cybernétiques classiques, cette approche les intègre en les développant, se situant à présent dans le cadre de ce qu’appelle Georges Lerbert la seconde cybernétique. L’une des idées clés dans ce cadre est celle des processus récursifs concrétisés dans le concept de  l’autoréférentialité.

 

C’est sur cette question en particulier que  j’ai réfléchi : comment mettre à profit la navigation hypertextuelle pour favoriser non la logique d’accumulation des informations mais la logique de la construction des connaissances, de la réflexion personnalisée. Autrement dit,  pour passer de l’information, du savoir extérieur à la connaissance intériorisée expérientielle et co-créatrice. Pour mener cette réflexion, j’ai dû focaliser sur l’épistémologie de la connaissance et les apports les plus récents en sciences cognitives

 

 

3- Les sciences de l’information et de la communication ne sont pas encore arrivées à construire une plate-forme conceptuelle spécifique qui les singularise, mais continuent à être un espace d’échange, de croisement, de contact, «une zone frontière entre les disciplines ».  Si son legs théorique demeure flou sinon hybride, son objet d’étude n’est pas non plus nettement défini : il porte sur les médiations, autrement dit sur les usages que font les hommes des dispositifs d’information et de communication, qui doivent être entendus selon une perspective constructiviste.

L’étude de ces usages ne se situe pas en aval du processus de production de l’information, mais intervient aussi en amont puisqu’elle participe à déterminer la conception même des outils, leurs fonctionnalités, leurs modes d’utilisation et leur public cible. Outre les interactions multiples qui se nouent autour de ces dispositifs, il existe toute une panoplie d’interrelations entre producteurs, créateurs, médiateurs et lecteurs.

 

Ceci nous amène à dépasser l’appréhension de l’outil technologique ou du support médiatique en rapport avec les facteurs endogènes et exogènes qui le déterminent et d’approcher plutôt «l’objet » technologique en tant que véhicule de la médiatisation des savoirs et du tissage des réseaux de liens entre plusieurs acteurs. Il est déterminé dans sa conception même par la représentation que se font les producteurs des comportements, des modes d’usage et d’échange que développeront les usagers.

 

Le dispositif technologique est donc le trait d’union entre plusieurs intervenants et semble incarner cet espace intermédiaire de l’entre-deux. Il participe dans un mouvement d’aller-retour à transformer non seulement nos modes de communication et de transmission des savoirs mais aussi nos  modes de pensée et de construction des connaissances. Il n’est pas un simple instrument de médiation, il est aussi la cristallisation d’un certain type d’échanges, le foyer de la construction d’un genre déterminé de savoir.

 

 Mes recherches se sont intéressées, par conséquent, à la manière dont s’articulent les pratiques de médiation, sous leurs différentes facettes, à savoir  sous quelques-uns de leurs aspects sociologique, psychologique et cognitif. Je me suis intéressée au volet de la  production du savoir mais surtout  à l’aspect réception, en rapport avec ses différentes manifestations. Nous avons essayé dans ce contexte de ne pas perdre de vue les contraintes et les limitations imposées par le  dispositif technologique sur les formes de la réception, sur les médiations qui en découlent ainsi que sur le contenu  des  échanges.

 

 

 

Problématique centrale

 

                 

 Dépassant la controverse assez ancienne déjà, sur l’idéologie de la communication aux effets pervers, j’ai essayé d’étudier les transformations profondes qu’a subi l’écrit et ses implications.  La révolution numérique ne contient-elle pas, les prémisses de nouveaux modes de lecture et d’appropriation de sens, d’une nouvelle appréhension de l’espace scriptural ? Ne porte-t-elle pas les germes de nouveaux ordres de savoir ?

 

     C’est cette question particulière qui a constitué le fil conducteur de mes recherches. Elle n’a pas cessé de me tarauder l’esprit pendant de nombreuses années, polarisant la plus grande partie de ma réflexion et de mes recherches. Elle a trouvé sa pleine expression dans l’ouvrage Hypertexte et complexité,  éloge de l’errance[1]  qui synthétise mon approche théorique, ma démarche et mes conclusions sur cette question.

 

                  D’abord, l’écrit numérique semble marquer la fin des grands récits comme l’explique F. Léotard. Ainsi, les récits fragmentés, courts, non articulés qui constituent la spécificité de l’écrit électronique sont la marque même de l’expansion erratique du texte. L’écrit banalisé, décomposé, fragmenté, voire déréalisé  serait-il l’une des figures emblématiques de ce que Michel Maffesioli et bien d’autres appellent la post-modernité,  marquant la fin de la limite entre réalité et virtualité, entre auteur et lecteur, entre description et simulation du réel?

 

                 

                  L’avènement du numérique confère beaucoup d’actualité à ce que Socrate rappelait dans Phèdre de Platon à propos du mythe de Toth. Celui-ci vantait les mérites de l’écriture auprès du roi d’Egypte, et se voyait répondre que cette nouvelle technique risquait de dispenser les hommes d’exercer leur mémoire,  et de produire l’oubli dans les esprits puisque les hommes ne feront plus l’effort de se ressouvenir par eux-mêmes des connaissances  qu’ils ont apprises. Le rapport entre l’acte de lire, de donner sens au texte, de s’approprier un contenu et la mémoire dans son sens le plus large (exercice de la mémoire mais aussi extension de l’acte mnésique par l’organisation canonique du savoir) a été l’un des axes importants de mes recherches.

                 

                  Je me suis attachée à réfléchir sur cette question en démontrant que l’hypertexte a été conçu à l’origine comme un outil d’extension de la mémoire humaine et que cette idée de départ doit être poursuivie et étayée afin de mieux simuler le fonctionnement mnésique et de conférer à l’univers numérique, qui semble être sans ancrage, une certaine profondeur historique.   Cette propension à réinscrire le texte numérique dans la lignée de la culture écrite et de la production intellectuelle humaine constituée par l’ensemble des stigmates de la mémoire collective, de ce qui fixe et pérennise les pensées, passe inexorablement par la conception de nouveaux outils de navigation.

 

                  Ces outils ont pour rôle principal de densifier la couche conceptuelle de l’hypertexte et de proposer une pléthore de modes de lecture qui enrichiraient à  leur tour la trame hypertextuelle . La conception de ce type d’outils permettrait de créer de l’ordre à partir du bruit et de stimuler la construction des connaissances en développant l’esprit créatif et la pensée complexe.  Nous recherches ont convergé vers cet objectif : en témoigne principalement le dernier ouvrage, pièce maîtresse de ce dossier, qui a affiné la réflexion sur la mise en rapport entre mémoire et hypertexte en la situant dans la perspective de la complexité.

 

Parcours

 

Je commencerai par retracer rapidement mon parcours de chercheur en insistant cependant sur la dernière période (1999-2003) qui est la plus prolifique.

 

 

1er axe :

 

En un premier temps, j’ai focalisé mes recherches sur la situation du livre et de la lecture en Tunisie. Le champ couvert concerne d’abord le niveau de la création. L’étude en amont du cycle de la production, nous a conduit à nous intéresser à  l’émergence de la littérature écrite pour enfants. Autrement dit, au passage de l’oralité à l’écrit  dans la littérature enfantine tunisienne dans l’article intitulé Besoins de lire et genèse de l’écrit dans la littérature enfantine en Tunisie, approche bibliologique.[2]

 

Dans le même ordre d’idées, je me suis penchée sur l’étude du profil des auteurs des livres pour enfants en Tunisie à partir des indices se rapportant aux auteurs, qui nous renseigneraient sur « la psychologie bibliologique de la création »[3], dans un article intitulé  Littérature pour enfants : sens de la création et profils d’auteurs tunisiens[4] et plus particulièrement sur l’interaction existante entre les auteurs et l’environnement éditorial et social.

 

Ces données m’ont amenée à m’ interroger sur la fonction même de la littérature enfantine et sur la nature de la production nationale. Il ressort des investigations que j’ai conduite lors de la réalisation de ces deux articles que, réduire la littérature enfantine à une fonction didactique, moralisatrice serait la dénaturer foncièrement. L’exemple de la littérature enfantine occidentale qui a émergé depuis le 17ème siècle est édifiant : elle s’est affranchie progressivement de cette force de prégnance de la morale : le message véhiculé devient moins conventionnel voire libéré ou « libérateur ».

 

         Mais les problèmes que vit le secteur du livre pour enfants en général et de l’édition en particulier ont été amplement étayés dans les articles intitulés Etude bibliométrique de l’édition des livres pour enfants à travers la bibliographie nationale(1977-1987) [5] ainsi que Quelques aspects de l’édition des livres pour enfants en Tunisie [6] Ces deux articles exposent les résultats d’une étude bibliométrique que nous avons réalisée en deux phases : la première couvre la décennie 1977-1987, la deuxième qui la complète s’étend jusqu’en 1995.

 

Cette étude nous éclaire sur les limites quantitatives de la production et les fluctuations annuelles qu’elle connaît. Ces nombreuses anomalies sont imputées aux  problèmes structurels que vit le secteur de l’édition et dont la plus importante manifestation est la productivité médiocre des éditeurs. Les facteurs endogènes qui expliquent la léthargie du secteur se résument dans le manque de tradition éditoriale, l’absence de stratégie en matière d’édition, le coût d’impression élevé et le manque de performance du système distribution/ diffusion .

         Ces mêmes remarques sont valables pour la décennie étudiée dans le second article Quelques aspects de l’édition des livres pour enfants où il a été remarqué que le volume de la production, loin d’avoir augmenté, se caractérise par des fluctuations annuelles assez régulières. Certains phénomènes négatifs se sont exacerbés, traduisant l’ampleur de la crise que vit le secteur. Parmi eux figurent la faiblesse en nombre des créations originales, la profusion des titres réédités (certaines maisons d’éditions en ont fait leur activité unique), et l’inflation du taux des livres édités à compte d’auteurs.

L’étude de l’édition du livre pour enfants nous a amenée à nous interroger  sur la situation du livre et de la lecture en Tunisie. Nous avons alors effectué des investigations dans le cadre d’une initiative entreprise par l’Association tunisienne de Documentalistes, Bibliothécaires et Archivistes qui visait à mettre au point en collaboration avec la Direction de la Lecture Publique un programme national de motivation à la lecture dans le milieu extra–scolaire.

Notre travail de recherche intitulé Rapport sur le plan national de motivation à la lecture[7] s’est effectué à la suite d’une concertation nationale de courte durée, effectuée en 1992, à laquelle nous avons pris part. L’absence d’études exhaustives statistiques ou analytiques portant sur le secteur a nécessité un travail de synthèse et de réflexion qui a permis de dégager les orientations fondamentales d’un programme national de motivation à la lecture. Ce dernier ne peut être envisagé sans la prise en compte des problèmes de production, d’édition et de diffusion ainsi que des comportements de lecture et de non-lecture des diverses catégories sociales notamment des jeunes et des enfants.

La deuxième partie du rapport a concerné les pratiques de la lecture et a été l’occasion pour nous, de présenter les principales conclusions auxquelles ont abouti nos recherches sur la lecture dans le contexte tunisien . Quelques constatations concernant les habitudes de lecture des différentes catégories ont été dégagées et peuvent être résumées  dans  la scolarisation de l’acte de lire, le vieillissement culturel précoce de l’adulte et le manque de formes de sociabilité autour du livre.

De nombreuses mesures ont été proposées visant à entrer de plain-pied dans ce qu’appelle l’Unesco « la société de la lecture ». L’une des plus importantes est d’ordre structurel. Elle consiste à mettre sur pied une commission du livre et de la lecture, structure polyvalente de planification et de coordination, qui procédera d’abord à un recensement général des ressources tant humaines que matérielles relevant des secteurs de l’imprimerie, de l’édition, des librairies, des bibliothèques publiques …et conduira des enquêtes nationales permettant d’identifier les nœuds de blocage et de déterminer les mesures à prendre.

         Loin de constituer une étude exhaustive sur la question, le rapport a été cependant recommandé par la BIEF comme référence d’un « modèle » de programme pour la motivation à la lecture en destination des pays du sud.

Si l’approche bibliologique a été pour moi nécessaire dans l’étude des différents phénomènes qui constituent les maillons de la chaîne de production, de distribution et de consommation de l’écrit, les limites méthodologiques de cette approche m’ont poussé à chercher d’autres outils qui répondent plus aux exigences de l’étude qualitative des usages de l’écrit. C’est vers les méthodes sociologiques et psychosociologiques que je me suis tournée.

 

2éme axe :

 

   Le changement d’optique a coïncidé avec  la prise de conscience des métamorphoses de l’usage de l’écrit suite à l’utilisation des TIC. J’ai alors prospecté les comportements des usagers, notamment ceux des bibliothèques publiques face à ces nouvelles technologies en axant sur les problèmes d’ordre psychologique que pose l’intégration  des TIC dans un pays du Sud tel que la Tunisie chez la population jeune et enfants . Deux études de terrain de portée nationale (1993- 94 et 1998-1999) ont été publiés, la première sous forme d’une monographie intitulée : Attitudes et représentations des usagers des bibliothèques publiques de Tunisie[8] ; la deuxième, beaucoup plus récente, a été achevée en 2000 ; elle est intitulée Enfants et TIC : Attitudes, modes de réception et modèles culturels[9] . Cette étude, d’une centaine de pages a été publiée en 2001 sous forme d’une contribution dans un ouvrage collectif.

La première étude consacrée uniquement aux attitudes des usagers finaux ou intermédiaires dans le milieu des bibliothèques, a eu le mérite de mettre le doigt sur les obstacles psychologiques face à l’utilisation de l’outil informatique et à la place qu’on lui accorde dans le paysage professionnel. La deuxième s’est intéressée aux attitudes des enfants face aux nouvelles technologies en axant  sur leurs modes d’appréhension de l’écrit et d’appropriation des TIC en intégrant les dimensions émotionnelles et psychologiques.

Dans la première étude concernant les bibliothèques et les TIC, les variables de contrôle nous ont permis de mesurer les variations et les écarts dans les attitudes et d’y  déceler les contradictions internes sous-jacentes. J’ai pu effectuer, grâce à cela,  une lecture critique des données recueillies lors de l’enquête et nous nous sommes rendues compte que la majorité des personnes interrogées  expriment des attitudes mitigées voire contradictoires qui oscillent entre l’engouement vis à vis des nouvelles technologies (effet de discours) et les réserves et les appréhensions ressenties face aux TIC (effet de perception).

La dimension psychosociologique acquiert encore plus d’importance  en rapport avec le public jeunes et enfants qui constitue, comme nous le savons, la tranche d’âge la plus nombreuse des usagers des bibliothèques mais aussi celle des clubs culturels et des centres d’informatique.

 

C’est justement dans la deuxième étude que j’ai essayé d’analyser leurs attitudes, leurs représentations face aux TIC et la manière dont ils appréhendent leurs implications sur le plan culturel. 

J’ai démontré à travers les études exploratoires l’importance qu’acquiert le facteur psychologique aussi bien dans l’évaluation des ressources humaines (au niveau notamment des professionnels des bibliothèques) que dans la prise en compte des comportements des usagers.

En rapport avec les usagers enfants, j’ai essayé de circonscrire les émotions ressenties face aux TIC dans leur ambivalence et leur complexité à différentes étapes de familiarisation avec l’outil technologique, en démontrant que le niveau émotionnel est le moteur des attitudes positives ou négatives que développent les enfants face à l’ordinateur.

 

D’autre part, j’ai confronté les représentations qu’ont les enfants des TIC avec les représentations sociales et le discours dominant qui axe sur la valorisation de l’outil informatique. Les perceptions de l’ordinateur par les enfants sont plus subtiles et plus personnalisées puisqu’elles portent l’empreinte d’une conception anthropomorphique, qui assimile l’ordinateur à une machine intelligente.

L’enfant s’identifie en quelque sorte à l’ordinateur, lui conférant  même des sentiments et des attitudes humaines. Il est représenté d’abord par eux comme quelque chose de vivant. Les attributs du vivant pour l’enfant varient selon des étapes clairement explicitées  par Jean Piaget et semble rejoindre quelque peu la notion de conscience en rapport avec les objets chargés d’intentions.

Réfléchissant sur les impacts culturels, je me suis interrogée sur le niveau d’intégration des TIC dans les habitus culturels et dans le tissu social dans lequel évolue l’enfant. Partant du postulat que toute technique nouvelle ne peut se développer qu’en s’intégrant aux pratiques culturelles déjà existantes et réfutant l’hypothèse de « rupture technologique », j’ai démontré que les TIC s’inscrivaient dans une culture d’hybridation et non de substitution où le nouveau coexiste avec l’ancien sans le chasser. Dans ce contexte, le concept même de culture est en pleine transformation puisque la culture qui met en jeu la « géographie physique d’un territoire » d’après l’expression de Marie Joseph Bertini, est supplantée par la géographie mentale d’une culture  où se tissent des liens d’échange d’un type nouveau et se constituent des communautés culturelles virtuelles.

 

Sur le plan méthodologique, j’ai mis à profit les deux notions sur lesquelles j’ai focalisé mes travaux à savoir l’attitude et la représentation. J’ai mis en exergue le caractère non béhavioriste que recèlent ces deux notions. Car elles  mettent en évidence non le comportement lui-même de l’individu ou du groupe social mais bien ce qui sous-tend ce comportement, c’est à dire ce qui est relatif aux  prédispositions psychologiques, aux soubassements émotionnels, aux représentations mentales et sociales non avouées  .

Contrairement au comportement qui est explicite, l’attitude et la représentation comportent des aspects inférés c’est à dire non directement observables. J’ai alors essayé de corréler les méthodes d’enquête sociologiques avec d’autres méthodes plus appropriées utilisées en psychosociologie dont l’échelle d’évaluation des attitudes et en l’occurrence l’échelle graphique à items.

 

 

3ème axe :

 

La problématique que j’ai  traitée dans l’ouvrage Hypertexte et complexité : éloge de l’errance[10] et sur laquelle j’ai réfléchi durant des années (1998-2003), se rapporte à l’analyse épistémologique des transformations qui s’opèrent au niveau du texte et de la lecture et de leurs implications sur les modes de pensée. Quatre articles peuvent entrer sous cet axe intitulés respectivement: [11]

·        L’hypertexte : origines historiques et implications culturelles

·        Cadre épistémologique du traitement de l’information, de la logique booléenne à la  logique floue,

·        Reliance et hypertexte : pour une typicalité des liens hypertextuels,

·        Pour de nouveaux outils de navigation dynamiques.

Ils complètent ou étayent certaines idées qui se rapportent à notre problématique centrale.

 

 

Méthode :

 

Mon souci constant était de ne pas calquer un modèle préexistant, de ne pas adhérer inconditionnellement à un parti pris, de fertiliser les croisements entre les théories, de les questionner, d’ériger le paradoxe, la remise en cause des limites en méthode mettant à profit les éclairages, les prismes différents.

De ce désordre ont émergé des associations nouvelles, l’ébauche d’une conception personnelle croisant des théories aussi diverses et aussi actuelles que celle de la pensée complexe, du chaos déterministe, de la systémique, de l’énaction, des théories jungiennes …Le chemin s’est donc crée en marchant, comme dit le poète espagnol. (Devise chère aux partisans de la pensée complexe) cette démarche d’errance que j’ai érigé en quelque sorte en méthode se présentait comme une expérience de pensée qui m’a impliquée toute entière, me faisant connaître les affres du doute mais aussi  le plaisir passionné. Le doute est ici entendu non dans le sens du doute hypothétique de Descartes, mais dans le sens où j’étais dans une posture  existentielle où moi être fini ne pouvant réaliser qu’un projet fini, j’étais en face de l’infinitude des connaissances (de leur infini enchevêtrement et foisonnement) à l’image de l’infinitude du monde.

                 

Principales conclusions

 

·        Les modes de réception  du texte changent en rapport avec le support qui a un impact direct sur le contenu comme le démontre Roger Chartier (Les modes de lecture ont évolué en fonction des différentes formes de l’écrit du volumen au  codex au texte à l’hypertexte). Les formes de représentation du savoir ont été le corollaire de la manière qu’a l’homme de produire et d’accéder aux connaissances à travers ses modes de lecture et d’écriture. L’économie du texte s’inspire de « la méthode des lieux » qui est à l’origine des procédés mnémotechniques et des arts de la mémoire qui remontent au Moyen Age et à la Renaissance et qui ont donné naissance au  principe arborescent des classifications des connaissances. 

 

 

·        Si le modèle encyclopédique classique  trouve ses origines dans certains arts de la mémoire, l’hypertexte lui, a été créé dans l’intention de simuler la mémoire humaine. Le Memex de Vannevar Bush en 1945 qui est le précurseur de l’hypertexte actuel a mis en exergue le procédé de liens associatifs qui s’inspire des théories de type associassioniste largement utilisés en  psychanalyse et reprise sous d’autres formes par la théorie connexionniste.

Dans ce sens le développement de la structure hypertextuelle dans une visée encyclopédique nouvelle doit s’inspirer des avancées en matière de recherche sur la mémoire aussi bien sur le plan neurobiologique que sur le plan psychologique. Cette question que je n’ai fait que défricher s’inscrit dans l’un des axes  les plus prometteurs des recherches transdisciplinaires. Ma contribution à ce niveau est de prospecter ce terrain en croisant l’approche psychanalytique avec les théories les plus récentes dans le domaine des sciences cognitives  afin d’ébaucher les fondements conceptuels des outils de navigation hypertextuelle.

 

 

 

·        Parce que l’hypertexte de par sa nature, est comme la mémoire humaine, vivant, dynamique ouvert, il marque la fin de l’utopie encyclopédique traditionnelle de la  totalisation du savoir qui a commencé avec la première bibliothèque de Sippar en Mésopotamie et qui a continué avec le projet Xanadu de Ted Nelson. Il  préfigure un encyclopédisme d’un autre type qui rompt avec les systèmes clos, le principe classificatoire, le  savoir totalisant et totalitaire. Le savoir totalitaire nous rappelle Michel Maffesoli  qui est extérieur à soi exercé par  ceux qui savent, le cerveau monothéiste transcendant du chef , le savoir qui est pouvoir ( pour assujettir, dominer, uniformiser) n’a plus ses lettres de noblesse dans l’ère de la post-modernité.. On est loin de la dichotomie des valeurs du siècle des lumières,  le savoir tissé  grâce à l’hypertexte renoue avec la multipolarité, le polythéisme des valeurs d’après l’expression de Maffesioli. Il n’est plus appréhendé en termes de stock mais de flux… l’acte de connaître ne peut plus se satisfaire d’une approche purement classificatoire : les connaissances naissent et progressent dans les limites des disciplines, dans ces marges d’hybridation et de croisement des savoirs qui permettent  l’inter-fécondité de la pensée et sa complexification.

 

 

 

·         Si l’information est extérieure, la connaissance est  expérience de pensée impliquant l’être dans son intériorité et dans son entièreté. Elle se construit par le biais de l’émotion  qui est nécessaire à l’élaboration de la pensée. Le passage de l’information à la connaissance nécessite donc outre un agglomérat d’informations, et une théorie qui permette d’interpréter ces informations, une expérience émotionnelle qui permette d’appréhender subjectivement le contexte et de créer du sens . C’est cette mise en écho entre l’extérieur et l’intérieur, entre le sujet et l’objet, (le sujet qui est lui-même objet de la connaissance) qui est fondamentale. On passe de l’acte d’expliquer ( ôter les plis rendre lisse) à celui de comprendre( prendre ensemble) . Le premier se situe dans l’approche causale mettant en exergue la pensée logique, le deuxième  dans l’approche de la complexité mettant en exergue la pensée analogique et dialogique. Si on quitte la perspective  du dualisme cartésien et du principe d’identité (de la non contradiction et du tiers exclu) le rationnel et l’irrationnel ne s’excluent pas, ils sont dans la dualitude, dans le contradictoriel d’après l’expression de Lupasco et de Gilbert Durand . C’est le même type d’ambivalence qu’entre la mort et la vie, l’ordre et le désordre, l’ombre et la lumière .Il y a une féconde synergie entre eux .[12]

 

·                    Pour aider à galvaniser la pensée complexe des outils d’aide à la navigation d’un autre type s’avèrent nécessaires. Pourquoi d’un autre type ? Parce que ceux qui existent déjà sont en grande partie inspirés des modes de lecture traditionnels (et d’une conception linéaire de l’espace) Il s’agit donc de concevoir autrement l’espace hypertextuel en trouvant la métaphore la plus adéquate qui ne se réfère pas à un cadre spatial ayant des repères fixes et rigides mais à un univers mouvant et hyperconnecté . Il s’agit donc de dépasser l’image de la carte qui est la métaphore la plus utilisée dans la conception d’outils (des cartes conceptuelles de Novak aux cartes dynamiques très en vogue actuellement (agents intelligents de type information mapping). L’écriture, deuxième niveau de symbolisation du langage s’inscrit dans un espace. Le rapport entre l’écriture et le fonctionnement psychique ont été mis en évidence depuis le début du siècle. C’est Freud qui en dépassant la métaphore de l’énergie a adopté celle de l’écriture s’inspirant des trois systèmes d’inscription de l’écriture hiéroglyphe. Sa conception de l’appareil psychique (sa première topique) n’est pas un système de forces mais de transcriptions.

 

 

Je me suis  alors interrogée sur l’intérêt que représentent d’autres métaphores dont celle du labyrinthe et de l’espace courbe inspiré de la théorie physique de la relativité générale…La métaphore qui m’a semblé la plus porteuse est celle qui a un rapport avec la mémoire : Le système des COEX. Il tire sa substance de la théorie des complexes de CG Jung  et réfère au fonctionnement psychique de l’homme. La mise en correspondance avec l’hypertexte a été faite sur un double plan : Pour être davantage proche de la mémoire humaine, l’hypertexte doit être conçu en couches (couche textuelle, conceptuelle, archétypale) (inspirée de la première topique de Freud), et en entités dynamiques et autonomes mais interconnectées (théorie des complexes de Jung). Cette proposition a été développée sur la base de quelques principes de la complexité :

principe d’attracteur, principe de reliance, principe hologrammatique

 

·        principe d’attracteur : Les entités que j’ai appelé hyperconcepts (constellations de mots-nœuds) ont une mémoire, des racines et fonctionnent grâce à l’attracteur qui est situé dans la couche la plus profonde. Dans l’hypertexte, l’attracteur correspond à la valeur archétypale qui nous éclaire sur la dimension étymologique et le sens premier du mot (la mémoire des mots). Ma proposition consiste à créer dans la couche conceptuelle de l’hypertexte une structure sous-jacente dynamique formée d’hyperconcepts. Chaque hyperconcept constituerait un bassin d’attraction où les différents mots-nœuds qui constituent les ancres de l’hypertexte  s’articuleraient autour d’un concept-source (valeur archétypale  qui constitue l’attracteur) et se positionneraient en fonction de différents types de liens analogiques. Nous pouvons donc représenter deux mouvements qui structurent ces liens : un qui rapproche de la valeur archétypale liens endosémiques  (restituant le sens premier qui est souvent d’ordre mythologique. Perspective diachronique ), l’autre qui nous en éloigne progressivement, liens exosémiques,  mettant en exergue le caractère polysémique du concept et ses multiples extensions de sens. 

 

    

·        principe de reliance : La navigation dans la couche conceptuelle de l’hypertexte se fait dans une perspective téléologique c’est à dire en fonction d’un type déterminé de liens. Le large éventail de liens est la base des stratégies de flexibilité cognitive et de créativité. Si les liens logiques ont été largement mis à contribution dans les réseaux sémantiques, les graphes conceptuels et  les hypertextes de type argumentatif, les liens analogiques, moins formalisables, ont focalisé mon attention dans le cadre de la conception d’outils de navigation d’un nouveau type. J’ai prospecté le terrain de la logique floue qui a été utilisée dans les systèmes les plus récents de la représentation des connaissances mais cette voie m’a semblé peu porteuse parce qu’elle ne formalise pas l’univers analogique beaucoup plus complexe et vaste que les liens logiques. J’ai alors mis à contribution quelques figures de rhétorique  en me basant sur les réflexions très édifiantes de Michel Foucault sur l’espace des analogies. Je propose de réfléchir sur l’environnement hypertextuel en axant sur une typologie plus riche et plus variée des liens analogiques qui permet la contextualisation et l’ébauche d’une hypersynytaxe (syntaxe hypertextuelle). Cette ébauche s’inscrirait dans la continuité des travaux portant sur les thésauri de langue ou les dictionnaires analogiques initiés par Peter Mark Roger.

 

 

·        principe hologrammatique : J’ai mis à profit le principe hologrammatique qui reconsidère autrement le rapport entre la partie et le tout : le tout n’étant pas la somme des parties, la partie est involuée dans le tout, c’est à dire qu’elle porte en elle d’une manière implicite la mémoire du tout, qui agit à travers elle, la transforme en se transformant lui-même. Ceci nous introduit dans une autre acception de l’ordre, qui n’est plus ordonnancement régulier, par exemple sériel d’objets et de phénomènes mais comme le dit Bohm un ordre total qui est contenu implicitement dans chaque région de l’espace et du temps. L’instrument qui servirait à rendre compte de ce rapport est l’hologramme  (en grec : holo = tout, Gram= inscrire) ce qui veut dire la partie est inscrite dans le tout et le tout dans la partie. Construire du sens ne fait pas partie des opérations linéaires. Le sens naît, émerge d’une certaine symétrie sous-jacente. Cette structure holographique fait écho au principe d’emboîtement auto similaire de la théorie fractale de Mandelbrot. La structure hypertextuelle ne s’actualise pas dans sa totalité mais seulement et toujours d’une manière partielle à travers le type de liens qu’activerait l’usager. Le tout pour un hypertexte n’est pas une réalité tangible mais une structure sous-jacente dynamique qui s’articule sur deux niveaux :

 

1.       Niveau discursif (espace de foisonnement de toutes sortes de formes discursives mais aussi lieu de croisement des pratiques discursives les plus variées) et espace polyphonique des discours et des formes de savoir historiquement réglées  (déterminés par le contexte historique)

 

2.     Niveau conceptuel : Dans les hyperconcepts, la notion de concept source a une fonction structurante car elle surdéterminerait la signification des mots- nœuds en fonction de leur position topologique[13] L’idée de catégories ontologiques qui ordonnent structurellement nos modes de pensée, notre imaginaire et notre langage ( logos d’après René Thom, archétypes d’après Jung…) trouve écho dans de nombreuses théories structuralistes telles celle de Lévi-strauss, de Gilbert Durand, De CG Jung….

 

 

Conclusion :

 

La représentation du savoir a emprunté d’abord la métaphore du cercle, (roue de Lulle et rotule de trithéme, cercle chez Ibn Arabi) ensuite celle de l’arbre (métaphore qui a inspiré l’esprit encyclopédique du siècle des lumières) et a présidé à l’idée de spécialisation et d’hyperspécialisation L’image de la spirale nous semble la plus édifiante pour donner forme à une nouvelle représentation du savoir en rapport avec l’hypertexte. Elle rend compte de l’holomouvement dont parle David Bohm, cycle processurel pensée-environnement, où chacun fonde l’autre, processus continuel à la fois auto-référentiel et hétéro-référentiel qui procède de la totalité ordonnée la plénitude du tout en mouvement de flux [14]() Elle est révolutionnaire dans le sens étymologique du terme ( qui inclut le retour en arrière)  On ne revient pas à l’image du cercle fermé avec centre qui incarne l’unité (le UN point de départ du monothéisme et plus tard de l’ universalisme du siècle des lumières) mais au cercle ouvert sans centre (réseau) qui incarne la conjonction d’éléments disparates . Il  suppose l’ambivalence continuelle et le conflit entre l’un et  sa négation, ce qui permet d’inclure les différents mouvements de la pensée. Il y a ainsi dépassement de l’image de la ligne droite, figure emblématique de la modernité et du positivisme pour inclure le processoriel  qui nécessite  aussi bien l’évolution que l’involution, la progression que la régression dont rend compte bien la spirale.

Les réseaux d’information et de communication,  espace polyphonique et interdiscursif par excellence sont,  j’oserai dire, la figure emblématique de la post- modernité.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Edité au CPU en 2003

[2] « Besoins de lire et genèse de l’écrit dans la littérature enfantine en Tunisie, approche bibliologique » In : IBLA, 1993, t.56, n°172, p.233-246.

 

[3] Expression de Robert Estivals

[4] « Littérature pour enfants : sens de la création et profils d’auteurs tunisiens » .pp 55-65 In : Revue arabe d’Archives , de Documentation et d’Information, publications de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l’information . Zaghouan n°3-4 , oct. 1998

 

[5] Etude bibliométrique de l’édition des livres pour enfants à travers la bibliographie nationale(1977-1987), Ottawa : Banque Internationale d’Information sur les Etats francophones, 1992, 40p. (BIEF-études ; n° 3)

 

[6] « Quelques aspects de l’édition des livres pour enfants en Tunisie » In : Les Cahiers de l’enfance tunisienne (Revue scientifique semestrielle éditée par l’institut des cadres de l’enfance) N°4-5, Novembre 1998,  pp. 31-48

 

[7] Rapport sur le plan national de motivation à la lecture . Ottawa : Banque internationale d’information sur les états francophones,1994 . 33p.(BIEF-études ;n°5) ISBN 2- 921420-19-8.

                

 

 

[8] Attitudes et représentations des usagers des bibliothèques publiques de Tunisie,  Institut Supérieur de Documentation, 1999 , 62 p. ISBN 9973-904-07-9

 

[9] Enfants et Technologies de l’Information et de la Communication : Attitudes, modes de réception , modèles culturels, paru dans l’ouvrage collectif Culture, Société et nouvelles Technologies de l’Information, recherche  pluridisciplinaire, coordonnée par Mme Badra B’chir, Tunis, CERDOJES, 2001, pp 361-473  (environ 110 p)

 

[10] Hypertexte et complexité, éloge de l’errance, publié par le Centre de Publication Universitaire, 318 p. 2003

 

[11] L’hypertexte, racines historiques et implications culturelles, publié dans les actes du colloque du 9éme congrés de l’AFLI, La stratégie arabe unifiée de l’information à l’ère d’Internet, d’octobre 1998 à Damas, publications de l’AFLI et de l’ALECSO, 1999,pp 617-627 ( en arabe)

-Pour de nouveaux outils de navigation dynamiques, publié dans les actes du colloque du 12éme congrés de l’AFLI Etudes bibliométriques : vers la numérisation des bibliothèques et des sources arabes, Sharqa 2003, pp517-525. (en arabe)

-Reliance et hypertexte : pour une typicalité des liens hypertextuels In : Revue Maghrébine de Documentation, n°12, 2002.pp119-144

-Cadre épistémologique du traitement de l’information, de la logique booléenne à la logique floue, In Revue du Centre d’Etudes  et de Recherches Economiques et Sociales  consacré aux actes du colloque les Sciences Humaines et Sociales et les nouvelles technologies,organisé en mai 2002 par le CERES, à Tunis, 23p.

 

 

 

[12] C’est un peu l’ère de la dialectique post-hégelienne qui n’aboutit pas à dépasser les contradictions en une forme de synthèse mais à entretenir le conflit et l’ambivalence. Loin de l’universalisme des siècles des lumières figure de prométhée qui se base sur le conflit métaphysique entre le bien et le mal, sur la dualité structurelle qui consiste à évacuer l’ombre, le mal ; les théories nouvelles assez convergentes me semble-t-il  ( complexité, déconstruction, théorie post-moderne) considèrent que les tensions ne se résolvent pas en une synthèse et qu’il faut intégrer d’une manière homéopathique le mal…en référence au pharmacon de platon

 

[13] Pour René Thom, comprendre, c’est géométriser .

[14] ce qui rejoint l’idée de l’unus mundus de Jung qui fonde le principe de synchronicité