Effet mediologique du fait communicant territorial

 

 

 

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Philippe Herbaux,

Ingénieur de recherche

 

pherbaux@mailsfp.univ-lille2.fr

Université Lille2 - Cdies

+ 33 03 20 60 39 02

Adresse professionnelle Lille2 SFP

1, rue du Pr. Laguesseê F-59000 Lille

 

 

 

Résumé : L'information, constitutif essentiel des logiques d'intelligence territoriale, s'appuie sur la substance du récit local pour s'accorder dans un échange prévisible. Comblé de cet outil, les acteurs du local peuvent alors accéder à la reconnaissance de la dimension symbolique qui compose leur territoire ; cette spatialité ne s'inscrit pas dans un environnement physique dont elle aurait à rendre compte mais constitue, selon Régis Debray (2001),« le lieu médiologique d'un construit relationnel préexistant, apte à gérer l'incertitude d'une médiation entre ses auteurs ».

La capacité à mutualiser les informations au sein du local est l'un des fondamentaux de l'intelligence territoriale ; elle participe à agir sur la représentation emblématique territoriale et en constitue la rétribution symbolique.

 

 

Mots clés :  information, territoire, médiologie, intelligence territoriale, mutualisation.

 

Abstract : Information, constitutive main part of logics of territorial intelligence, is based on the substance of the local account to agree in a foreseeable exchange. Filled this tool, the actors of territory can then reach the recognition of the dimension symbolic system which composes their territory; this spatiality does not fit in a physical environment, according to Régis Debray(2001), "the place mediologic of built relational preexistent, ready to manage the uncertainty of a mediation between its authors" The capacity to exchange information within the local is one of fundamental of the territorial intelligence; it takes part to act on the territorial emblematic representation and constitutes the remuneration symbolic system.

 

Keyword : information, territory, mediology, territorial intelligence, mutualisation.   :
1-
Le pays, UNE DIMENSION DU TERRITOIRE

 

La reconnaissance par l'Etat en France, de territoires particuliers marqués par une attraction culturelle et sociale fut traduite, par les lois Loadt[1] de 1995 en terme de « pays ».

 

Le terme de pays renouait avec son sens initial de division territoriale habitée par une collectivité et constituant une entité géographique et humaine. Jacques Brel le traduisant de façon plus lyrique dans une de ses chansons : «  avec la mer du Nord pour dernier terrain vague. Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues... le plat pays qui est le mien... ».

 

Le lien entre le pays existant et le pays ressenti sont bien dans une logique de reconnaissance, notamment esthétique  et constituent une des clefs d'entrée d'une vision du local.

 

La loi française considère comme pays, un espace de groupement auquel se réfèrent des communes, des entreprises, des associations autour d'un projet commun de développement. L'échelon pays est un nouveau niveau de concertation,  axé sur le projet et non sur le découpage géographique; il peut déborder sur les collectivités adjacentes si le projet l'y conduit. Ce dispositif n'est pas l'apanage des espaces ruraux; il peut y englober des petites villes et moyennes agglomérations; cependant, il ne peut revendiquer le statut de collectivité locale avec les prérogatives liées à cet état (impôts, attributions).

 

Cet état de chose oblige à s'adosser sur les institutions existantes dans un consensus à rechercher ; le projet de pays alourdi par une démarche complexe basée sur un accord de toutes les parties ne peut se cantonner dans nombre de cas que dans un projet symbolique.

L'évolution des institutions et leur redéploiement favoriseront dans les futures décennies une meilleur articulation entre l'exigence d'un projet et les moyens à mettre en oeuvre pour le faire aboutir.

 

Le pays tire sa légitimité du projet et des acteurs qui le composent en lui reconnaissant des compétences d'animation, de mobilisation et de coordination ; ses ressources sont liées à sa capacité d'émarger sur les contrats de plan Etat-région conditionnés par l'avis conforme du Cradt (conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire).

 

Une récente enquête (figure 3) de l'Ipsos réalisée en 2003 indique de 68% des personnes interrogées désignent les collectivités locales, responsables de l'aménagement du territoire en France.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Question extrait de l'enquête IPSOS de janvier 2003 portant sur un échantillon de 987 personnes :

« D'après ce que vous en savez, l'Europe finance-t-elle de façon importante, de façon peu importante ou pas du tout l'aménagement du territoire dans les régions françaises ? »

 

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Figure 03 :  Enquête IPSOS de Janvier 2003 sur l'aménagement du territoire

 

Le résident souhaite une proximité de la décision d'aménagement en reconnaissant néanmoins pour 42% d'entre eux que leur territoire n'est pas plus attractif que son voisin.  L'impact du financement CEE sur les infrastructures régionales ne semble pas perçu à sa mesure puisque 49% des personnes interrogées indiquent une discrétion des financements européens sur le jeu d'aménagement local.

On peut s'interroger sur le télescopage possible des initiatives engagées par les communautés de communes d'une part et par les projets généraux portés par ces nouvelles entités que sont les  pays. Il n'en est rien puisque ces communautés de communes sont les points d'appui exécutifs pour intervenir en maîtrise d'oeuvre des projets élaborés par les pays.

 

Le fait générateur constitutif est basé sur la volonté commune des élus de favoriser et de développer un partenariat; celui-ci est acté par une charte qui fonde l'adhésion des parties et approuve le périmètre d'étude du pays. Dans la pratique, un pays s'apparente à un bassin d'emploi et comprend plusieurs dizaines de communes situées dans un ou plusieurs cantons.

 

1.1         Le pays constaté

Le concept politique du territoire est imposé, le pays est constaté.

Au découpage jacobin, logique, réducteur et contraint d'une nation, la notion de « pays » répond par la délimitation d'un environnement construit et évoluant selon le projet partagé de ses acteurs.

 

A la nation, disait Renan[2] « qui n'est pas qu'un héritage de gloire et de regrets à partager », le pays reconquiert son caractère inducteur du futur à construire ».

Il peut y avoir doute dans le décalage entre le vécu et l'espace politique. Au cadrage géographique imposé par un centralisme dirigeant répond une délimitation de l'environnement spatial créée selon l'évolution des pactes locaux. La volonté qui anime la mise en scène de cet espace est en rapport avec la création d'une communication prévisible, c'est à dire a priori acceptable par ses constituants.

 

De l'espace contraint clos et délimité, répond l'espace en devenir du projet en mouvement. Ainsi selon une culture partagée, sont réunis dit Hofstède « les rites, les symboles, les valeurs et les héros » au sein d'une même contrée.

 

 

HEROS                                  VALEURS

CULTURE

RITES                                   SYMBOLES

 

Le pays, un objet de communication prévisible

 

La demande de sens est ici conviée.

Le lien social, substrat symbolique est l'un des vecteurs d'échange entre les Hommes. Sur celui-ci, la communication génère un drainage des idées  alimentant le projet.

 

L'information, constitutif du flux communicant, s'appuie alors sur la substance sémiologique du récit territorial pour s'accorder dans un échange prévisible. Comblé de leur outil symbolique, les acteurs peuvent alors accéder à la reconnaissance de la dimension spatiale qui compose leur territoire. La spatialité symbolique ne peut être rédigée dans une spatialité de l'expérience ou dans une spatialité géographique; elle ne s'inscrit pas dans un environnement physique dont elle aurait à rendre compte.

Elle constitue, dit Régis Debray(ibid),  « le lieu médiologique d'un construit relationnel préexistant, apte à gérer l'incertitude d'une médiation entre ses auteurs ».

 

Le modèle de Schwartz (1994) revisité par Bertacchini (2000) résonne dans le même sens en constatant pour le territoire, trois niveaux constituant autant de plans ontologiques.

 

 

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fig1 : adaptation du modèle de Schwarz selon Bertacchini (2000)

Figure 1

a)      le plan physique, palpable, géographique constitue la structure spatio-temporel de la matière. C'est un objet constitué de flux énergétiques et d'un matériel évènementiel constitutif d'un environnement revendiqué. C'est le lieu des forces naturelles intégrant les mécanismes d'appropriation, de filtrage, de transformation et d'accumulation. C'est le lieu de bousculade des flux et du hasard qui donneront lieu à des évènements étrangers au fonctionnement interne et qui alimenteront une évolution de la structure spatiale

b)      Le plan logique, en relation avec l'organisation relationnelle du substrat information représente l'état des choses manifestées. C'est le lieu des états de différenciation-intégration intéressant les objets entre eux ou avec l'environnement ; cette différenciation-intégration s'appuyant sur les forces de négociation et d'influence pour aboutir à une concertation territoriale. C'est le lieu d'une production de sens qui crée une unité de destin.

c)      Le plan supérieur que Schwartz appelle existentiel, se nourrit des plans physiques et logiques pour assurer une représentation de « la totalité existante ».  C'est le plan de la totalité émergent de la relation entre les objets constitutifs, entre les identités et leur environnement. C'est le plan de l'identité créée qui se différencie de l'objet. Selon Bertacchini (ibid) c'est « le lieu de production de l'image de soi et d'émergence de la conscience ».

 

Ce va et vient récursif entre ces plans ontologiques font osciller le projet symbolique entre l'incertitude de l'aléa et l'effet cliquet de la stabilité.  La notion de contrat entre les acteurs du pays cherche à éviter la multiplication de ces champs d'incertitudes en cadrant à priori le projet partagé. La charte de pays est la résultante de ce consensus.

 

1.2         Pourquoi une charte ?

Toute organisation a besoin d'un cadre de référence personnel, formel ou implicite car « il n'existe aucun pays qui puisse servir de modèle aux autres » disait Alvin Toffler[3].  La charte d'un pays est un document qui détermine la stratégie du territoire en matière de développement socio-économique, de gestion de l'espace et d'organisation des services.

 

Si elle permet de clarifier les engagements réciproques des différents acteurs concernés, elle a aussi l'immense avantage de décrire les orientations fondamentales dans un horizon minimal de dix ans. Cet espace permet notamment de préciser les principes et moyens d'action dont ce dernier se dote pour remplir ses objectifs et  mobiliser ses acteurs. La charte constitue alors le lieu de référence du projet partagé qui justifiera de l'intérêt de l'échange.

Néanmoins le bémol avancé par Bertacchini (2003) sur le principe de territorialité, nous signale que « la mobilisation des acteurs locaux ne vaut que par le crédit qu'ils accordent aux informations échangées »

 

Nous sommes bien dans une logique de management par projet comportant de plus, un cadre éthique imposé par la Loi, c'est à dire garantir :

 

·        aux principes de subsidiarité et de transversalité,

·        à une recherche de participation des citoyens,

·        à une recherche de transparence des décisions,

·        à concilier le long terme et le court terme,

·        à observer des objectifs d'équité sociale, d'efficacité économique et d'amélioration de l'environnement.

 

La loi LOADT fixe la validité d'un contrat de pays à l'existence et à l'application du contrat de plan Etat - région. Cette imbrication complexe ligote le pays dans les aspirations de son projet ; sauf à épouser de façon précise les limites d'intercommunalité autorisant alors la constitution d'un syndicat mixte ou un groupement d'intérêt public de développement local.

De la coupe aux lèvres, il y a un horizon de complexités propres à exclure l'acteur de base territorial.

 

1.3         Un projet confisqué ?

Le législateur crée l'intention mais l'acteur dirige le fait et l'on peut alors constater malicieusement avec Léo Dayan (2001) le biais structurel que comporterait la Charte de pays « par le fait qu'elle est destinée à fédérer les composantes d'une société locale en l'absence du plus grand nombre d'entre eux... ».

En effet, le projet territorial théoriquement partagé entre tous ses habitants, risque selon Dayan, d'être confisqué par le jeu de pouvoir des acteurs institutionnels impliqués dans ces dynamiques. Ce paradoxe avancé met en défaut le mode souhaité de « gouvernance » qui prévaut dans l'esprit de la Loi française.

 

1.4         Vous avez dit gouvernance ?

La gouvernance est un terme qui apparaît dans la littérature depuis la fin des années 70. Ce terme d'inspiration néo-libérale est né des constats d'incapacité des Etats-nations et des organisations internationales à faire face aux demandes de la société depuis les évènements qui ont suivi la chute du mur de Berlin et des dérégulations mondiales qui s'en sont suivies (monétaires, financiers, échanges commerciaux etc.). Nous citerons la définition retenue par le RARE (Réseau des Agences Régionales pour l'Environnement)[4] :

 

« par gouvernance, on entend l'organisation d'un nouveau mode de concertation entre la collectivité (élus et services) et ses membres (citoyens, associations, groupes divers ...). La gouvernance vise à répondre aux exigences de transparence, de démocratie et de participation du développement durable. Il s'agit en fait d'associer la population de façon plus importante, plus vivante, et surtout plus réactive, au processus de prise de décision sans en aucun cas remettre en cause le rôle fondamental des élus »

 

La gouvernance s'inscrit dans le sens du développement durable (entité sémantique dont la paternité revient à Madame Brundtland, scientifique norvégienne, qui avance ce terme dès 1987 dans son célèbre rapport à la commission mondiale sur l'environnement et le développement aux Nations Unies)

La gouvernance fait le lit du management par projet ; elle lui offre le compost et les attributs du discours qui lui permet d'accéder, non pas à un management de projet mais à une logique de mutualisation -du- projet entre ses porteurs.

 

On sort ainsi d'une stricte addition des bénéfices individuels pour une multiplication des intérêts situés dans un projet partagé.

 

 

1.5         Organiser la gouvernance

En France, les métropoles ne disposent pas des compétences qui leur permettraient d'agir de façon transversale dans le cadre d'une politique globale. Le logement social, l'aménagement du territoire sont encore aux mains de l'Etat quoique le RMI, (revenu minimum d'insertion), transformé en RMA (revenu minimum d'activité) en 2003 soit sous la responsabilité financière des départements depuis peu (janvier 2004). L'organisation institutionnelle des grandes agglomérations ne leur permet pas de prendre une véritable place sur l'échiquier européen et l'on ne peut que déplorer que le modèle adopté par les communautés urbaines de Marseille et Nantes n'est pas fait école. Peut être les mesures incitatives font elles défaut ?

Certains suggèrent qu'il suffit de contenir sinon de supprimer l'émergence des intercommunalités qui échappent par ce montage, à la solidarité d'agglomération. Il faut remarquer que si le partage des taxes professionnelles locales est le réel moteur de la constitution de ces intercommunalités, les évolutions de celles ci dès 2005 vont certainement modifier les stratégies locales.

Que peut devenir un projet de territoire sur ce morcellement politique ?

La lisibilité en est réduite à l'addition des projets individuels donc à une multiplication des intérêts divergents. Dans ce maquis des structures, on peut se demander si une coagulation autour d'une même entité des  aires urbaines, des communautés urbaines ou des agglomérations ne serait pas devenu nécessaire. A défaut, si les contraintes politiques locales empêchent de réaliser cette cohérence attendue, il convient de ne pas enfermer les projets d'agglomérations  dans les périmètres institutionnels et de privilégier avant tout l'aire urbaine.

Dans ce cas, il importe de continuer sur la lancée et de rendre plus facile l'évolution des périmètres locaux et leur mise à oeuvre décentralisée.

 

2.       La relation Etat - grandes métropoles

2.1         La contractualisation

Le poids des métropoles dans la stratégie des territoires est important. Certains y verront une sorte de « phagocytation » d'un projet régional par les métropoles disposant de moyens adéquats à une anticipation des enjeux (agence d'urbanisme).

La contractualisation avec l'Etat de plans décennaux prévoyant un appui à l'arrière pays par la mise à disposition de moyens techniques n'est pas une idée chimérique. Cela ne ferait que participer aux efforts exercés depuis le début de la décentralisation pour réticuler sur l'ensemble des régions la manne fiscale existante.

Le cas du Nord-Pas de Calais, où un changement de trottoir à la frontière, nous fait passer dans le pays adjacent (la ville de Mouscron en France et en Belgique) pourrait demander la création de métropoles transfrontalières. Les importantes différences existantes encore en matière de législation et d'urbanisme entre les pays adjacents nous priveront encore pendant quelques années de ces outils de coopération.

 

2.2         Enjeux de l'information locale

Le pouvoir de l'information est lié en partie à sa possession. Avoir les clés de la compréhension d'un processus ou d'un événement permet une interprétation en amont de celle des autres.

Dans le cas des conseils extra-municipaux, la participation des organismes et associations n'est pas toujours proportionnelle à leur influence supposée dans les décisions. Le recueil d'un avis de type consultatif n'oblige en rien à en suivre la pensée ; il y a ainsi un jeu de dupe quand l'invitation à « penser ensemble » est manipulée en fin de parcours par un « agir tout seul ». La manipulation est évidente ; on agit sur le sentiment d'appartenance de l'acteur invité à la réflexion, participant implicite à l'énonciation d'un pouvoir, celui de connaître et de participer au montage des projets.

 Il y a certes, une reconnaissance d'un statut « d'acteur réfléchissant » mais qui ne doit en aucun cas se limiter à l'aspect sémantique (réfléchir, c'est renvoyer). Le partage du pouvoir municipal et l'effet levier qui en résulte, est en relation avec la capacité de partage des flux de communication.

 

2.3         l'information, pédagogie de la participation

Le partage de l'information au niveau des municipalités est une donnée nouvelle quand l'utilisation de telle ou telle procédure n'est plus  révélatrice des intentions du pouvoir municipal. La formation des habitants à l'utilisation des flux d'informations relève d'une pédagogie de la participation créée pour diversifier la trame des interlocuteurs habituels.  Quand le pouvoir de décider est confisqué et que les groupes sociaux n'ont plus rien à espérer dans la mise en oeuvre de la décision, il ne faut pas s'étonner d'une désaffection massive des habitants dans l'outil de participation proposé. Le jeu de dupe  cité plus haut devient le plus sûr outil à éloigner le citoyen d'une posture participative.

Le thème de l'information des citoyens élaboré dans les années 1975/1977 en France, sous la Présidence de M.Giscard D'Estaing, esquissé sous quelques lignes dans son paragraphe IV portait sur « l'information et la participation à la vie locale ». Ce dispositif ne faisait qu'officialiser les pratiques d'échanges de l'information en cours (information préalable, consultation sur de nouveaux projets immobiliers, évolution du plan d'occupation des sols etc.). L'accent mis sur la décentralisation à partir des années 1983 avec le projet Deferre, concourait à mettre en évidence l'indépendance des communes face au pouvoir jacobin de l'Etat.

La formidable révolution de la décentralisation obligeait à une prise en main des projets au sein du local et demandait un traitement différent de l'information. Il ne s'agissait pas tant d'informer la population des décisions prises que de l'associer plus étroitement aux décisions à prendre. La décentralisation portait en germe les  ferments d'une pédagogique de la participation communale.

La réorganisation de la structure communale fondée sur les évolutions des systèmes de représentation permettait aux « mille fleurs de la loi de 1901 » d'avoir accès au tour de table démocratique. L'information propagande se différenciait alors progressivement de l'information service en rendant l'exercice beaucoup plus subtil et clandestin. Le système de propagande classique avait vécu et l'on préférait « persuader sur les constats » et « communiquer en priorité » plutôt qu'inciter à un  débat stérile.

On peut douter que cette offre d'information destinée au citoyen soit perçue comme un label de neutralité par celui-ci. Les logorrhées municipales et les visites de Monsieur le Maire dans chaque collectivité sociale ne dédouane pas le citoyen de garder le recul nécessaire à un esprit critique et constructif.

Le « droit à l'information » servirait-il à donner l'illusion d'une compréhension aisée et transparentes des affaires locales ?

A l'enthousiasme des mesures progressistes de 1977, succède la vigilance sur les contenus.  Persuader les citoyens qu'ils peuvent changer leur cadre de vie par le biais du partage de la communication est un peu illusoire ; la dynamique politique générale leur échappe et ce qui semble tendre vers une transparence de l'information, n'est bien souvent qu'un alibi au service d'un pouvoir quel qu'il soit.

2.4         participation et decision

Les caractéristiques d'une stratégie d'information municipale réside dans la recherche de l'étendue de son territoire.

Il importe que le « verbe » aille au fond des rues et des faubourgs relayé par une foultitude de moyens médiatiques. De l'affichage au panneau explicatif, de la lettre mensuelle au journal municipal, de la photo poster au reportage vidéo, il importe également que tous les moyens médiologiques de transport de l'information soient utilisés. Cette force de frappe médiatique est redoutable dans sa capacité à transporter le message du tribun et à étouffer la rumeur. La moindre alerte mobilisera ainsi les supports pour assurer une réponse rapide et vigoureuse.

Abondance ne nuit point sauf en communication où l'excès de moyens et la diversité des supports employés peut être ressenti par le citoyen comme une intrusion sinon une agression. En effet, la disproportion existante entre le citoyen et la municipalité en matière de moyens de communication crée une relation dissymétrique préjudiciable à l'établissement d'un dialogue démocratique. Le thème ressassé du « rendre la parole au citoyen » n'a plus de sens dans ce déséquilibre du colloque. Il importe plutôt que le  support serve en même temps la parole des uns et des autres en favorisant ainsi l'expression du peuple.

Le média écrit est l'un des supports, la télévision locale en est un autre. L'avènement du numérique favorise la création de lieux ressources en moyens multimédia. En favorisant un équilibre des flux en provenance des citoyens, des associations ou des organisations du local, le pouvoir municipal crée les conditions d'une logique ascendante de remontée d'informations et de projets.

L'information municipale, en favorisant la circulation d'autres témoignages, favorise également une image de transparence ; les commissions extra-municipales qui en sont le prolongement participent ainsi à la traduction d'un état d'esprit participatif.

Cette tendance à la responsabilité collective autour de décisions à caractère structurel est une évolution constatée depuis les années 1980. De plus en plus, les municipalités associent tout ou partie de l'opposition municipale au sein de ces groupes de réflexion-action répondant ainsi aux souhaits du rapport Guichard intitulé alors en 1976 « vivre ensemble »; le cadre de vie municipal bénéficie ainsi progressivement depuis une trentaine d'année de l'onction démocratique sur les principaux éléments de sa politique stratégique.

Il y a existence d'une récursivité entre l'information préalable diffusée et le retour commenté par le citoyen. Les précisions ensuite délivrées sur les contenus initiaux se nourrissent des remarques et critiques pour enrichir le projet initial et l'adapter aux voeux du plus grand nombre. Cette boucle communicante connaîtra sa limite par une conclusion prise par le décideur qui en clôturera provisoirement les spéculations.

 

2.5         Les biais de la communication municipale

« Communiquez, communiquez, il en restera toujours quelque chose » disait Jacques Chaban Delmas, lorsqu'il était Premier Ministre. Gageons que ce « quelque chose » pouvait être positif au risque de se tromper d'objectif.

La communication municipale n'a de sens que située dans un projet porté par une équipe. Encore faut-il qu'il y ait projet. Une communication tout azimut, qui ne reposerait pas sur une trame stratégique a tous les ingrédients de l'incantation utilisée dans la Méthode Coué.

C'est pourquoi, un plan de communication ne peut être neutre ; il est la représentation d'une vision stratégique et implique de fait, une volonté d'agir dans un ensemble de directions déterminées.

Il ne s'agit pas tant de communiquer pour établir un projet que d'amender sa démarche pour convenir d'un intérêt partagé. Le but est précisé et le chemin pour y parvenir est à convenir. Le débat dit démocratique glisse sur le fond pour s'attacher à la forme et aux moyens qui y seront affectés.  L'agrégat des informations diffusées par l'intermédiaire d'un ensemble de media n'aura de cesse que dans la mise en discussion d'une démarche et des alternatives pour la réaliser.

Focaliser sur l'accessoire refoule l'essentiel et permet une manipulation de l'échange  ( l'échange dissymétrique  de Vladimir Volkoff ). La voix de l'opposant noyée dans le concert des réactions, s'époumone en vain à dénoncer le biais.  Il lui sera difficile de remonter le courant des conjectures tant les intérêts individuels ont recouverts la conscience d'un intérêt collectif.

La manipulation des foules s'exerce aussi dans ces faits, mais les prévisions les mieux affûtées par les enquêtes d'opinion bousculent l'électeur badaud qui garde néanmoins dans le secret des urnes, des fulgurances de discernement. En démocratie, le vote est en dernier ressort, souverain.

 

3.       LA MEDIOLOGIE

3.1         De quoi parle-t-on ?

Nouvel inconnu du bataillon épistémologique, ce néologisme qui n'est pas encore adoubé, à ce jour, par l'Université, essaie de se frayer un chemin dans le doute des concepts.

La médiologie est aussi éloignée de l'outil media que le téléscope de l'astronomie ; elle a plutôt pour champ de bataille, le mot, l'idée émise dans sa charge symbolique. La médiologie n'est pas de la sociologie et ne revendique pas non plus, le huis clos de la philosophie. Ethymologiquement, le terme est composé de medio , c'est à dire les composantes d'un ensemble peu ou prou déterminé et  de logos, la parole, l'étude.

La médiologie aborde les rivages de la totalité et de la vue d'ensemble. Elle s'éloigne du paradigme Contien, ordonné et réducteur, pour une vision plus implexe ; bref, elle essaie de substituer « l'invisible simple, au visible compliqué » dit Debray.

Le circuit intégré, le disque dur d'ordinateur, le bureau et sa chaise, l'assemblée locale des élus ne sont pas des « diffuseurs d'informations » en eux mêmes ; ils ne sont que des vecteurs d'une transmission médiologique.

Pour ne point fatiguer le lecteur, je me rapprocherai immédiatement de la définition qu'en donne son inventeur, à savoir : « la médiologie est un système de moyens de transmissions et de circulation symbolique » (Debray,ibid).

On devine « le pied dans la porte » entre le factuel et le symbolique en essayant de s'évader de notre représentation habituelle du média pour discerner cette nouvelle venue. Nous ne sommes plus dans le champ du matériel, et l'on s'affranchi subrepticement des pratiques du savoir vers des postures de croyance.

Ce nouveau champ paradigmatique encore peu partagé par la communauté scientifique s'établit dans un espace intermédiaire entre les champs du physique et les champs du mythique.

 

3.2         Médiologie et territoire

En quoi les systèmes de communication symbolique regardent-t-ils le territoire ?

 

Il ne s'agit pas de faire du territoire, un lieu médiologique puisque celui ci n'existe pas en tant que médium. On peine encore à repérer les constituants du local et leurs évolutions et l'on serait, par conséquent, bien en peine de lui offrir des attributs médiologiques.

Néanmoins, le langage utilisé au sein de ce territoire (ex : le picard, le flamand etc.), les traces matérielles d'un lien de communication (support papier), ou même l'ensemble indiciel qui constitue la culture du local participent à une transmission du signal entre les acteurs du territoire. Il y a donc, dans la mutualisation des signaux, la création d'un corpus capitalisé dont la démarche contribue au fait médiologique.

L'adaptation que nous faisons du modèle de Schwartz, met en évidence pour ses acteurs constituants, un plan existentiel (3°niveau) qui se nourrit des plans logiques et physiques du territoire. Nous ne sommes plus dans un regard lié à une contrainte géographique délimitée mais dans une projection de ce territoire dans l'inconscient individuel. Il y a construction d'un mythe collectif fondé sur les visions individuelles. Ce plan d'altérité met en résonance les objets constitutifs du territoire et les identités; il constitue dit Debray (2001),  « le lieu médiologique d'un construit relationnel préexistant, apte à gérer l'incertitude d'une médiation entre ses auteurs ».

 

Sommes nous alors dans la construction du mythe ?

 

Si la médiologie n'est pas actrice de ce mythe, elle en constitue néanmoins un témoin effectif.

Ces fondements échafaudés le sont  assurés par une transaction sur la représentation du passé.  Il s'agit bien d'échafaudages, c'est à dire l'apport de constructions participatives à un projet global. Ces pilotis du mythe territorial sont mis en oeuvre sur la base du récit historique par le jeu constant des medias. Les journalistes, les réseaux, les acteurs, les informaticiens et les services de transport de l'information sont quelques participants de cette fluctuation dont on a quelques peines à préciser les contours.

Il s'agit bien de transversalité, dans un parcours chaotique qui dessine en creux la carte de ce qu'il n'est pas. Le positivisme, qui avait cru se hisser en religion du vivant d'Auguste Comte,  est ici négligée dans son insupportable exigence.

 

3.3         Médiologie et intelligence territoriale

Nous l'avons développé précédemment, la capacité du territoire à anticiper sur les ruptures qui vont l'atteindre, nécessite la mise en oeuvre d'une évolution de sa culture.

Cette modification des relations et des échanges s'adosse à un traitement des signaux et des informations. Communiquer différemment en participant  à un projet commun agit sur les liens individuels et modifie le rapport à l'autre. Cette relation d'échange sort des banalités du quotidien pour accéder à une altérité du projet partagé. Il y a capitalisation et valorisation individuelle des missions. La mutualisation et la mise en perspective des conjectures, qui sont des opinons fondées sur une analyse d'hypothèses, assurent un flux continu et interactif, formel et sémiologique d'une relation au groupe. C'est une évolution de la culture des organisations qui prend alors, par son aspect récursif, un caractère durable.

 

En quoi, ce dispositif d'intelligence territoriale est-il un outil médiologique ?

L'exercice n'est pas simple. Nous ne sommes plus dans l'évaluation du moyen mais dans l'analyse des retombées qu'il génère. Dans ce cas, la posture médiologique ne consiste pas à évaluer la quantité d'informations produites et traitées par le territoire ; elle s'intéresse plutôt à la finalité de cette information. La transformation ou l'interprétation du signal peut agir sur le local ; il peut en modifier par conséquent le discours mythique.  Le modelage de la « matière information » par les acteurs du local a créé les pilotis fondateurs du fait historique territorial. Ce discours transmis aux nouvelles générations comporte les dits et non-dits constitutifs des censures collectives. Les conditions de transmissions de l'information par les TIC vont agir eux aussi sur le discours local. Il ne s'agit pas d'une transmission  à somme nulle où les apports ne seraient que l'addition des signaux d'amont. Il y a une variation entropique existante par une synergie des apports individuels qui sculpte le discours.

Ce résultant devient à notre avis, la rétribution symbolique du processus d'intelligence territoriale.

 

Cette rémunération est problématique de l'outil et comporte plusieurs origines. Tout d'abord le principe de transmission Shannonienne qui fait de l'émetteur et du récepteur des vecteurs de dissipation, ensuite le rôle de plus en plus important des logiciels de traitement sémantique (la quantité des corpus à analyser en temps réel nécessite de plus en plus des outils appropriés) ou encore des capacités de « filtrage » des systèmes de gestion de la connaissance.

 

En deuxième lieu, les apports mutualisés sont encore mal identifiés. Comment va-t-on valoriser les apports individuels de cette construction collective ? Comment va-t-on mesurer cette valeur ajoutée du groupe des acteurs ? l'intelligence territoriale est-elle une modalité de management par gouvernance? ou bien est-ce l'instrument d'une manipulation interne ou externe au territoire ?

 

La ligne de fuite du dispositif est pour l'instant démultipliée, ce qui rend sa vision floue.

 

Que va-t-elle produire ?

Assisterons nous à un lissage progressif des récits par la globalisation des mêmes signaux ?

Les cumuls renforcés des apports individuels continus ne vont-ils pas accélérer les modifications du discours à l'aune de l'air du temps ? .

Ou alors, les TIC vont-elles accélérer les pertes de mémoire collective par le rôle de gardien du temple qu'on pourra lui faire jouer ?

Le fait économique, de plus en plus mondialisé, agira-t-il comme moule unique d'une logique des territoires «gagnants» et «perdants» ?

 

4.       Conclusion

 

L'outil médiologique que constitue l'intelligence territoriale façonne le pays symbolique et agit sur sa représentation mythique ; celle-ci porte en elle le dessein de sa trajectoire qui vise à agir sur l'espace mythique territorial. L'utilisation accélérée des TIC peut être un facteur de gommage progressif du capital symbolique local qui peut éloigner peu à peu l'acteur territorial de ses points traditionnels d'ancrage culturel.

 

 


Bibliographie

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[1] Et préparées antérieurement par les dispositions des cabinets ministériels Gayssot et Chevènement.

[2] Renan Ernest, (1882) « Qu'est ce qu'une nation ? » Conférence faite en Sorbonne, 11 mars.

[3] Toffler Alvin (1983) Extrait d'un entretien en octobre avec Katie Breen.

[4] Réseau RARE : http://www.rare.asso.fr (au 05/09/2003)