Elodie Grandmontagne (Surveillante au lycée professionnel E. Gallé de Thaon-lès-Vosges)

Claude Poissenot (Maître de conférences en sociologie à l'IUT Nancy-Charlemagne, Nancy2)

 

octobre 2002

 

LE CDI VU PAR LES ELEVES  :

2- Usages

 

 

 

 

 

La littérature sur les CDI se caractérise par la récurrence de certains thèmes de réflexion. Tout un pan concerne la dimension technique et un autre porte sur l'identité du documentaliste et les missions du CDI. Ces thèmes dominants résultent de l'évolution des technologies mais aussi de la multiplication des missions, des attentes contradictoires des acteurs de la communauté scolaire, de la parcellisation des tâches et de la relative jeunesse du statut d'enseignant-documentaliste[1]. Comme c'est le cas de toute réflexion, la focalisation sur certains thèmes en laisse d'autres dans l'ombre. Les questions « à quoi sert le CDI  ? », « quel est le travail du documentaliste  ? » ont éludé la réflexion sur la fréquentation et les usages du lieu. Pour quoi les élèves viennent-ils au CDI  ? Que viennent-ils y faire  ? Comment le perçoivent-ils  ? Quel sort réservent-ils à ce qui leur est proposé  ?

Nous aborderons la question des usages du point de vue des usagers et non de celui des missions attribuées au CDI ou de ceux qui en ont la charge. De ce fait nous postulons que les élèves ont leurs propres manières d'utiliser ce lieu. Ils disposent d'une liberté qui ne les réduit ni à la passivité ni à la conformité aux attentes que d'autres pourraient avoir pour eux. Cette faculté de « braconnage » fait partie de la réalité des CDI. Les missions du CDI relèvent de l'ordre de l' « Idéal » à atteindre mais ne dit rien du point de vue des élèves. Or une compréhension fine du CDI suppose la prise en compte des élèves. Etudier les usages consiste à enrichir la réflexion sur le CDI par des éléments de connaissance d'une composante essentielle de cette réalité.

 

Une enquête sur tous les élèves

Contrairement à certaines enquêtes qui portent uniquement sur les usagers interrogés dans le CDI, nous avons fait le choix de soumettre le questionnaire à tous les élèves de l'établissement. L'enquêtrice (surveillante dans le lycée) a distribué les questionnaires et est restée dans la classe le temps que les élèves y répondent (environ 20 minutes). Cette façon de procéder présente l'avantage de toucher les élèves qui fréquentent peu le CDI et de leur donner un poids égal à celui des « rats de CDI ». En outre, la passation n'ayant pas lieu dans le CDI ni par un documentaliste, les conditions étaient réunies pour que les réponses ne subissent pas d'interférences de leurs parts.

 

Le CDI point de rencontres de logiques différentes

 

La manière dont les élèves utilisent le CDI se comprend à partir des contraintes et attentes qui les entourent. Ils entrent dans ce lieu en y important la variété de leurs aspirations mais aussi de leurs préoccupations. Elèves, ils doivent satisfaire aux attentes définies par l'institution scolaire par le biais des différents enseignants auxquels ils sont confrontés. Ami(e)s, ils leur appartient de manifester leur appartenance à un (ou plusieurs) groupe de pairs en adoptant des comportements et un système de valeurs qui doit se distinguer des autres univers dans lesquels ils sont placés. Enfants, ils sont en position de devoir à la fois satisfaire les attentes de leurs parents et se démarquer de leur empreinte.

Bien que placé dans l'univers scolaire, le CDI reçoit des usagers aux identités multiples et enchevêtrées. Ils s'emparent du lieu avec ce qui les compose. Les réponses à la question des activités conduites au sein du CDI témoignent de cette situation.

 

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Tel qu'il est utilisé par les élèves, le CDI est d'abord un lieu de lecture. Le « coin lecture » du CDI satisfait une demande forte pour une activité qui peut prendre un sens très différent. Il peut s'agir d'une lecture personnelle de détente comme d'une lecture de distraction à plusieurs comme d'une lecture contrainte. Cette activité dominante (70% des élèves viennent pour lire le journal ou lire un livre ou une BD) confère au CDI l'image d'un lieu dans lequel la lecture ne se limite pas à sa dimension scolaire. De ce point de vue, le CDI apparaît comme un modèle alternatif au coeur même de l'institution scolaire. Il offre ainsi au regard une définition élargie de la lecture en phase avec l'assouplissement des modes de lecture observable dans les lycées professionnels. La lecture dégagée des enjeux scolaires peut exister au sein même d'un établissement scolaire. Les élèves en acquièrent l'exemple à la vue de leurs condisciples dans le CDI. A l'école même, ils auront appris que la lecture ne se limite pas aux romans classiques étudiés en cours et peut prendre des formes et porter sur des thèmes et supports variés. Le CDI joue comme un lieu de stimulation de la lecture au sens d'une activité de déchiffrage d'un texte et pas seulement d'une attention à une qualité littéraire.

Presque aussi fréquent que l'utilisation du CDI comme lieu de lecture, s'observe l'usage scolaire de ce lieu. La dispersion des réponses entrant dans les usages scolaires du CDI explique la relative faiblesse de leur fréquence. En réalité, l'usage scolaire touche près des deux tiers des élèves si on compte non plus séparément chaque usage mais tous ensembles. C'est en effet 65% des élèves qui affirment venir pour faire leurs devoirs (avec ou sans documentation du CDI) ou faire des recherches pour un cours (via Internet ou de la documentation papier) ou réviser des leçons. La situation du CDI dans l'environnement scolaire génère des motifs de visites. Les élèves trouvent dans ce lieu un service leur permettant de satisfaire les demandes de leurs professeurs. La fréquentation du CDI ne se limite pas à une démarche nourrie par le plaisir de la lecture et la curiosité. Elle relève, pour certains élèves, d'une contrainte vécue avec plus ou moins de contrariété.

Le CDI apparaît beaucoup aussi comme un lieu de discussion entre ami(e)s. Un élève sur trois affirme se livrer à cette activité. La fréquence de ces discussions suggère que les élèves ne sont pas empêchés de parler dans le CDI. La souplesse dans l'application de la norme du silence rend possible l'accueil d'un public aux manières de parler parfois bruyantes. Les élèves ne viennent pas au CDI pour discuter mais ils discutent du fait de leurs autres activités  : seuls 9% des élèves mettent en premier cette activité contre 14% en deuxième et 10% en troisième. Les discussions découlent ainsi de la venue à plusieurs, laquelle représente 75% du mode de fréquentation du CDI. C'est dire que le CDI n'a d'autre choix que de composer avec l'accueil de groupes d'élèves. Ce sont les élèves qui viennent seuls (12%) et le personnel qui sont les premiers exposés à l'atmosphère bruyante. Cette expérience des CDI dans l'accueil des groupes d'élèves gagnerait à être formalisée et transmise au monde des bibliothèques publiques embarrassées par la prise en charge d'une population sur laquelle les bibliothécaires n'ont pas le pouvoir de coercition que fournit l'institution scolaire.

L'importance de la sociabilité dans les modalités de fréquentation du CDI s'observe également quand on constate qu'un élève sur cinq déclare venir pour travailler en groupe. Le CDI est le lieu privilégié (unique  ?) pour cette activité imposée par certains enseignants. Que ce soit pour discuter ou pour travailler, cet usage collectif du CDI concerne la moitié des élèves. Lieu de vie collective, le CDI remplit une fonction de lieu d'échanges et de cohabitation avec d'autres élèves et des enseignants. En cela, il participe à la formation des élèves comme de futurs citoyens[2]. L'enquête montre que cet objectif est largement atteint au moins dans le lycée étudié.

Le CDI remplit moins souvent une fonction d'approvisionnement en livres. Seuls 20% des élèves viennent pour emprunter un livre ou une BD. La fréquence de cet usage s'approche de celle observée au Lycée professionnel Argouges dans l'Isère dans lequel la documentaliste recensait 26% d'élèves ayant une fiche d'emprunt[3]. A la différence de la bibliothèque publique largement définie par les usagers par sa « fonction distributive[4] », le CDI remplit uniquement en second lieu cette fonction. De ce fait, le nombre de prêts apparaît comme un piètre indicateur de l'activité du CDI. Il permet seulement de comparer l'intensité de cette activité dans différents établissements. Ce faible recours des élèves à l'emprunt au CDI doublée d'une fréquentation de ce lieu s'observe également pour les bibliothèques. Si 35% des visiteurs en bibliothèque ou médiathèque ne sont pas détenteurs d'une carte d'inscription, c'est le cas de 44% de ceux de 15 à 19 ans[5]. Les jeunes apprécient la possibilité de fréquenter un lieu de manière informelle. Le CDI leur offre cette possibilité de venir se livrer à des activités sans être identifiés (sauf comportement en rupture avec l'ordre établi)[6]. S'ouvre à eux un espace de socialisation d'une identité personnelle c'est-à-dire d'une identité qui ne se réduit pas à celle d'élève ou d'enfant de leurs parents. Le CDI est utilisé et apprécié des élèves par sa position relativement « neutre ». De ce fait, il est souvent vécu comme un espace de liberté.

Enfin, pour un cinquième des élèves, le CDI n'est qu'un prolongement de la salle de cours. Ils assistent là à une séance d'un cours en compagnie d'un professeur. Cet usage plus impersonnel n'est pas très répandu. Les élèves le minimisent parce qu'ils ne veulent sans doute pas associer le CDI à une activité contrainte, comme pour mieux affirmer leur autonomie, leur liberté. Il reste que ce mode de visite présente l'avantage de faire connaître et fréquenter ce lieu et d'offrir une passerelle vers d'autres usages.

 

Usages et condition lycéenne

L'analyse des usages montre la diversité des manières dont les élèves s'approprient le CDI. Mais qu'est-ce qui conditionne le recours des élèves à un type d'usage plutôt qu'à un autre  ? Ne peut-on pas différencier les élèves selon leurs usages  ?

De manière générale, nous constatons que les élèves se différencient peu selon la manière dont ils utilisent le CDI. On ne retrouve pas pour les usages, les variations qu'avait mises à jour l'étude de la fréquentation  du CDI. L'origine sociale, l'identité sexuelle n'apparaissent pas discriminants dans les usages des élèves. Les différences s'amenuiseraient une fois les portes du CDI franchies.

Il reste que tous les élèves ne viennent pas dans le même objectif au CDI. C'est leur condition lycéenne qui les distingue entre eux. Elle est définie par le niveau de scolarité des élèves, mais aussi par le temps que ceux-ci passent dans l'établissement.

 

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On observe que l'usage scolaire (faire des recherches, ses devoirs ou réviser) prend une place croissante au fur et à mesure que l'on se rapproche du bac. La proximité des échéances décisives renforce non seulement la fréquentation du lieu mais incite à son utilisation en vue de s'y préparer. En partie pour cette même raison, on remarque que l'usage collectif du CDI chute dans l'année de terminale. Les élèves ne viennent plus pour discuter ou travailler en groupe, ils se concentrent sur leurs devoirs et leurs recherches auxquelles les PPCP les obligent. « Plus on est proche des classes technologiques et des BEP non qualifiés, plus la tension est forte et plus la vie juvénile est indépendante du lycée[7] ». Ce constat expliquerait la place plus importante de l'usage collectif chez les élèves de 3ème et de BEP sous réserve de considérer que le CDI est aussi utilisé par ces élèves comme un lieu de vie juvénile. Parallèlement, le séjour au CDI dans le cadre d'un cours touche d'autant plus les élèves qu'ils viennent d'entrer dans la scolarité dans ce nouvel établissement. C'est le temps de la découverte, de la constitution d'un minimum de familiarité avec le lieu. En revanche, la visite au CDI pour lire connaît peu de variations selon le niveau d'avancement des élèves dans leur cursus de formation. Ce constat s'explique principalement par le « polymorphisme[8] » de la lecture qui suggère que la même activité peut revêtir des formes et des significations très différentes. Les élèves de terminale se livrent davantage à la lecture du journal alors que les élèves de 3ème et seconde BEP affirment plus souvent prendre une BD ou un livre. A-t-on affaire à deux formes de détente ou la lecture du journal puise-t-elle une partie de son sens de la préparation du diplôme (l'enquête a été réalisée en avril)  ?

 

Le mode de vie des élèves, le rapport qu'ils entretiennent à l'établissement dépendent largement du temps qu'ils passent dans cet environnement scolaire. Les internes restent de façon prolongée sur place alors que les externes séjournent beaucoup moins longtemps au sein de l'établissement. Cet écart dans le temps de séjour des uns et des autres modèle la manière dont ils le dépensent.

 

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Les externes viennent plus souvent au CDI dans le cadre d'un cours que les internes. Ceux-ci disposent de plus de temps pour développer d'autres motifs de visite. A l'inverse, pour les externes, cette visite leur est imposée sur leur horaire de cours ce qui n'empiète pas sur le peu de temps que leur laissent les navettes entre leur domicile et le lycée. De leur côté, les internes (et dans une moindre mesure les demi-pensionnaires) utilisent davantage le CDI comme un lieu de lecture que les externes. Plus disponibles, parfois désoeuvrés, les internes et les demi-pensionnaires investissent le CDI en se livrant de temps en temps à la lecture pour s' « occuper ». C'est notamment pour accueillir ces élèves que le CDI est ouvert jusqu'à 17h30. Sur place les élèves mènent autant une lecture de journaux que de BD ou de livres. Les élèves constituent cet espace comme n'étant plus uniquement scolaire. Ils lui confèrent un statut particulier intégrant leur souhait pour une lecture « personnelle » c'est-à-dire détachée des enjeux scolaires mais aussi des contraintes du groupe de pairs. Les internes sont les moins fréquents à mener un usage collectif du CDI. Ces élèves fournissent le sentiment global de                                                                                                                         vouloir manifester leur indépendance. Ils entendent ainsi échapper à la promiscuité à laquelle l'internat les contraint. Le CDI est alors le lieu d'un « dialogue solitaire », d'une tentative pour échapper aux rôles que la cohabitation permanente avec les condisciples oblige à porter. Cette interprétation est confirmée par le fait que les internes viennent plus souvent seuls au CDI que les externes (19% contre 5%). Le même lieu est utilisé (peut-être parfois par les mêmes élèves) comme un cadre de socialisation amicale et comme un lieu d'isolement volontaire bien que ce dernier usage ne doive pas être surestimé puisqu'il concerne un cinquième seulement des internes. Le séjour en lycée conduit à développer des relations amicales plus que l'isolement  : « le lycée n'est pas que l'école, il est aussi un espace de jeu de la jeunesse[9] ». Pour une majorité d'élèves, le CDI parvient à cumuler les fonctions de lieu de vie juvénile (même si cela peut se révéler bruyant), de lieu de détente et de lieu d'étude. Le succès du CDI réside sans doute dans cette capacité à superposer ses fonctions entre lesquelles les élèves circulent.

 

 

Trois types d'usages combinés

 

Les élèves utilisent rarement le CDI d'une seule manière. 96% d'entre eux choisissent trois usages comme la question les y incitait. Dès lors, la manière dont ils combinent les usages offre l'occasion de mieux cerner la signification de leur utilisation du lieu.

En théorie, toutes les articulations d'usages sont possibles. Pour autant, toutes ne s'observent pas aussi souvent. Nous avons retenu uniquement les combinaisons correspondant à des affinités observées entre deux usages. La sur-représentation de ces articulations d'usages indiquent en effet la présence d'une nécessité dans l'union d'un usage avec un autre. De ce fait, on accède à l'identification d'un usage que ne permettait pas de repérer la description des activités au sein du CDI dans la question soumise aux élèves.

Les trois types d'usages combinés décrivent la manière dont environ un tiers des élèves investissent le CDI. Autrement dit, les deux tiers des élèves combinent d'autres usages. Il existe ainsi une plasticité entre les usages qui conforte l'idée que les élèves se comportent différemment les uns des autres. Le CDI autorise une multiplicité de manière de l'investir. Cet éventail des possibles contribuent à la perception par les élèves du lieu comme un espace de liberté.

 

Un « salon de lecture » (26% des élèves)

Les élèves conjuguent plus souvent la lecture sur place de livres, BD ou journaux avec la discussion entre amis que d'autres usages. Le CDI est utilisé à la fois conformément à ce qui le fait exister (la proposition de lectures) et en accord avec l'intense sociabilité juvénile qui l'entoure. En ce sens, cet usage apparaît comme la traduction d'une situation d'échange et de compromis entre une institution et ses usagers.

Cette combinaison d'usages concerne des élèves particulièrement investis dans les sociabilités amicales. Ce sont plus souvent des garçons, des enfants de mères agricultrices ou ouvrières ou de mères cadres moyens ou supérieurs, et des élèves faibles ou mauvais à l'école. Ils ont pour projet après le lycée de chercher du travail plutôt que de continuer leurs études professionnelles ou de se diriger vers des études générales. Ce public d'élèves vit ces dernières années dans le cadre scolaire après avoir expérimenté l'échec. Ils mettent l'accent sur la dérision et sur la vie amicale avant d'entrer dans une vie adulte dont ils savent la difficulté par expérience familiale notamment[10]. Leur usage du CDI s'inscrit dans cette manière d'appréhender le monde. Ils viennent entre amis autant pour lire que pour discuter. Ce « salon de lecture » se déroule principalement autour des revues et des BD.

La manière dont ces élèves utilisent le CDI les place dans une position un peu marginale par rapport au lieu et à ce qui le définit. Ils ne demandent jamais (ou que très rarement) conseil au personnel du CDI car ils cherchent moins à se documenter qu'à se détendre. Sans doute assez bruyants, ils doivent faire l'objet de réprimande de la part du personnel. Celui-ci y est contraint car le caractère envahissant de cet usage réside dans le fait que les élèves sont nombreux à s'y livrer (un sur quatre). C'est la condition pour qu'une autre utilisation du lieu soit possible. Les élèves réagissent à ce regard jeté sur eux en déclarant n'apprécier qu'assez ou un peu le caractère chaleureux de l'ambiance du CDI. Ils apprécient suffisamment le lieu pour y séjourner mais perçoivent le sentiment de gêne qu'ils suscitent ce qui les empêche de se dire totalement satisfait de l'ambiance.

 

La visite accompagnée (5% des élèves)

Ce type correspond à la combinaison de la visite au CDI pour assister à un cours et de la visite pour mener un travail de groupe. Les élèves dans ce cas fréquentent le CDI accompagnés de camarades ou d'un professeur. Ils apparaissent un peu passifs, conduits dans ce lieu dans le cadre d'une relation dans laquelle ils se soumettent au groupe ou à l'enseignant. Ils semblent ne venir jamais de leur propre initiative. Quand ils sont sur place, ils ne demandent jamais conseil au personnel du CDI. Ils marquent en même temps qu'ils expriment leur extériorité par rapport à ce lieu dont ils ne voient pas l'intérêt ou ne comprennent pas le fonctionnement. Ils esquivent la visite dans ce lieu car ils sont davantage en position de le faire puisqu'ils ne sont pas internes et qu'ils ont la possibilité de rentrer à leur domicile. De même, ils sont moins souvent en terminale et ont donc moins besoin impérativement de la documentation du CDI.

Faute d'avoir trouvé de raisons de venir dans ce lieu, les visiteurs accompagnés viennent peu au CDI (moins de deux fois par mois). De ce fait, en cas d'heure de libre, ils choisissent la salle de permanence davantage que le CDI.

Du point de vue de leurs caractéristiques sociales, les visiteurs accompagnés sont plus souvent des filles, notamment dans la filière « Métier de la Mode ». Ils ont plus souvent des parents employés ou artisans.

 

La révision en choeur (5% des élèves)

La visite au CDI pour réviser se double significativement de visites pour discuter avec des amis. Cet usage est à la croisée d'une logique scolaire et d'une activité de sociabilité. Il s'agit de satisfaire aux demandes de travail scolaire sans renoncer aux charmes des échanges amicaux. Les élèves concernés ont des comportements de lecture qui traduisent cette hésitation entre les deux sphères. Ils déclarent lire à la fois des manuels scolaires et des revues plus souvent que la moyenne. En revanche ils lisent moins de journaux ou de BD que les autres comme si ce type de lecture pouvait gêner leurs discussions entre amis.

Par rapport à leurs condisciples qui transforment le CDI en « salon de lecture », ceux qui révisent et discutent s'écartent encore un peu plus de la définition du CDI donnée par les documentalistes. Non seulement ils mènent un usage collectif et probablement bruyant et envahissant mais en plus, il ne lisent pas tant des documents prélevés sur place que des notes de cours en vue de révision. Les élèves apprécient sans doute le cadre de travail offert par le CDI et le préfèrent à celui de la permanence. Du point de vue du personnel, cet usage nie la spécificité du lieu pour le rapprocher d'une salle de permanence. Pour cette raison probablement, le personnel ne favorise pas ce mode d'appropriation du CDI. Les élèves en font sans doute l'expérience car ils jugent plus souvent négativement le caractère chaleureux et accueillant de l'ambiance du lieu.

 

Conclusion  : le CDI sous influences

Parmi les lieux de lecture spécialisés dans l'offre de lecture, le CDI occupe une situation particulière. Son insertion dans l'espace et le temps scolaire lui confère une connotation utilitaire tout en facilitant sa fréquentation par les élèves. Pourtant, le CDI ne se limite pas à sa dimension scolaire. Les élèves y entrent et l'utilisent avec des préoccupations, des intérêts étrangers à leur statut d'élèves. Ils composent avec leurs camarades et les goûts et règles de comportements en vigueur dans leur groupe. Ils peuvent aussi se construire une identité personnelle à travers une lecture solitaire. Les documentalistes s'accommodent de cette pluralité d'influences en devant naviguer entre des logiques parfois contradictoires (par exemple  : favoriser la recherche documentaire/ favoriser la lecture de détente des élèves).

Notre enquête présente l'avantage de donner à connaître la manière dont les élèves utilisent le CDI et ce qui les fait agir. Si cet élément ne doit pas décider de la politique à adopter, elle peut néanmoins l'orienter. Elle ne tranche pas la question « Quel CDI voulez-vous  ? » mais fournit des informations complémentaires à prendre en compte. Ce type d'enquête a le mérite également de mettre à l'épreuve les multiples discours sur le CDI. Les élèves utilisent-ils le CDI comme les discours souhaiteraient qu'ils l'utilisent  ? Quels sont les éléments qui façonnent le comportement des élèves en décalage avec ces missions  ? Ne peut-on pas intégrer, en amont, le point de vue des élèves dans la définition de la politique à conduire dans les CDI  ?

Si l'on souhaite éclairer la réflexion sur les missions des CDI par la connaissance de leur fréquentation par les élèves et de la manière dont ceux-ci les utilisent, il faut accumuler les données. Cela suppose de conduire des enquêtes (sur le modèle de celle ici présentée) dans les différents types d'établissement. Pour chaque type, il en faudrait plusieurs pour explorer la variabilité des situations. Le CDI se situe dans un établissement singulier et se particularise par ses locaux, son fonds, son personnel, etc. Tous ces éléments contribuent à façonner le CDI d'une manière que la multiplication des enquêtes pourrait peut-être permettre de vérifier. Vaste chantier...

 

 

Enssib  : lecture publique  : politiques, publics, usages.

 

 

 

 

 

 



[1] Pour une présentation fine de ces aspects, Cf. F. Chapron, Les CDI des lycées et collèges, Paris, PUF, 1999.

[2] Cf. F. Chapron, Les CDI..., Op. Cit., pp. 187-191.

[3]« Enquête sur trois CDI de lycée professionnel » in Lire au Lycée Professionnel, n°24, 1997, p. 6.

[4] D. Peignet, « Entre mutation de l'offre et mutation de la demande » in Bulletin des bibliothèques de France, t. 46, 2001, n°4, p. 14.

[5] Source : Département des études et de la prospective, Ministère de la culture et de la communication, Cédérom Pratiques culturelles des Français, Enquête 1997.

[6] Pour une analyse qualitative des usagers non inscrits, Cf. M. Burgos, C. Poissenot, J.-M. Privat, « Droits d'usages. Les usagers non inscrits des BM » in A.-M. Bertrand, M. Burgos et alii, Les bibliothèques municipales et leurs publics, Paris, BPI/ Centre G. Pompidou, 2001, pp. 81-232.

[7] F. Dubet, Les lycéens, Paris, Le Seuil, 1991, p. 179.

[8] Sur ce point Cf. J.-C. Passeron, « Le polymorphisme culturel de la lecture » in J.-C. Passeron, Le raisonnement sociologique, Paris, Nathan, 1991, pp. 335-346.

[9] F. Dubet, Les lycéens, Op. Cit. , p. 181.

[10] Pour une description du rapport des familles populaires avec l'école, Cf. notamment R. Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Ed. de Minuit, 1970.