Procédés argumentatifs et interdiscours dans des consultations                                   psychologiques à support radiophonique

 

Le discours médiatiques relayent des discours qui proviennent d'autres instances discursives. Pour se légitimer et assurer cette fonction de relai, de nombreuses émissions radiophoniques s'associent les compétences d'experts ou de praticiens et se font consultants. Ces émissions se présentent comme des témoignages auxquels l'expert va apporter des explications. Cependant, elles présentent également des conseils et s'apparentent à des consultations. Elles obéissent en effet à un scénario codé : reformuler[1]et représenter la situation de la personne/ proposer une interprétation en fonction d'un cadre de référence ou dispositif d'interprétation/ formuler des conseils. En outre, l'animatrice qui accompagne l'expert se place en position de contradicteur, ce qui confère au discours un semblant de débat[2]. Cette hétérogénéité de genres discursifs est subsumée toutefois par la finalité argumentative qui va avoir une incidence sur l'organisation discursive et la distribution de rôles. Cet article portera sur l'analyse de ces interactions diffusées sur France Inter[3]et consacrées à des thèmes divers comme le rêve, la sexualité ou encore les problèmes de couple.

Cette analyse s'inscrit dans une approche interactionnelle et argumentative des échanges. Je me propose de voir l'incidence de la situation sur les procédés argumentatifs. Pour gagner l'adhésion du public, les médias doivent tenir compte de ses valeurs et de ses représentations. La persuasion et la conviction s'emportent grâce à des schématisations c'est-à-dire à la construction d'un univers symbolique pour quelqu'un et en fonction de la situation, des préconstruits idéologiques et culturels qu'elle suppose (Grize, 1996).

Je distinguerai les procédés de persuasion des opérations de conviction, tout en montrant qu'ils sont également traversés par de l'interdiscours qui est retravaillé en fonction de la thématique et de la situation.

 

I. Persuasionet recours aux préconstruits

 

La parole experte est accompagnée par celle de l'animatrice qui partage avec lui la gestion de l'émission. Ses interventions consistent à inscrire les propos et à les représenter dans des savoirs partagés de façon à construire une image consensuelle. Elles servent à problématiser le récit des intervenants ou encore à clore l'argumentaire par une formule concise et éloquente.

Par ailleurs, les interventions des auditeurs sont circonscrites à l'apport préalable des données qui vont servir l'argumentaire et il incombe à l'animatrice d'endosser le rôle du public par différentes réactions afin de rendre les échanges plus lisibles et plus vivants.

 

I.1. Reformulation et interdiscours

 

Les propos des experts sont reformulés par le truchement d'énoncés doxiques que l'animatrice travestit en fonction du contexte discursif. Ce réinvestissement joue en faveur d'une persuasion : l'usage de préconstruits fait écho à un savoir déjà là et ils sont actualisés en fonction du thème. Il peut servir à entériner un argument ou à problématiser les données préalables sous une forme proverbiale.

 

P     c'était oui c'était difficile le bilan n'était pas très positif et pourtant bon c'est un c'est une ville où je m'y sentais bien mais je ne sais pas pourquoi je je ne reconnais pas la ville déjà ça je comprends pas pourquoi je ne la reconnais pas et et pour- y' y'a un chemin dev- j'vois un chemin j'ai l'impression que derrière ce chemin c'est caché c'est caché derrière mais même je ne reconnais jamais je sais que j'y suis je sais que je suis dans cette ville mais j'la reconnais pas j'comprends et c'est souvent quand même

A     Pierre elle va dans une ville elle sait bien que c'est cette ville là mais elle reconnaît                                                               PC     ouais

       pas

PC   et c'est pas ça et de toute façon le chemin y'a deux chemins et n'importe quel chemin euh c'est une impasse ça va pas à la ville et toute façon quand elle va à la ville c'est plus la même

A     ça mène à Rome qui ne ressemble pas à Rome[4]

 

L'animatrice résume dans un premier temps les propos de l'auditrice tout en donnant le tour de parole à l'expert qui à son tour procède à une reformulation afin d'asseoir les prémisses. L'animatrice reformule et entérine ces prémisses sous une forme proverbiale dont la matrice est subvertie par une instanciation en ça et une expansion par une relative qui restreignent et actualisent la portée de l'énoncé doxique et le rendent plus valide.

 

PC   oui et puis et puis effectivement euh l'eau est souvent assi a-associée à l'inconscient vous parlez de de de profondeur etc euh donc quelque part il y a un une idée de l'inconscient je sais pas c'qu'elle veut dire pour vous mais oui effectivement y'a comme une quête de une recherche intérieure d'aller plonger dans la piscine pour voir c'qu'il y a au fond d'la piscine votre votre piscine intérieure bien sûr c'est pas la peine d'aller plonger dehors vous trouverez rien à part de l'eau et de la du soleil peut être mais pas aujourd'hui mais euh c'est X d'aller plonger dans votre inconscient pour

            A     ouais

       voir c'qui s'passe et: l'inconscient ici encore une fois quand le rêve est récurrent quand il revient comme ça c'est vraiment un message c'est une invitation et le rêve

                                                   A     une invitation

       se fait de plus en plus insistant euh:: et de plus en plus fort parce qu'il se dit mais il comprend pas alors faut faut que j'ui en renvoie encore un autre message

A     va voir chez toi au tréfonds de toi même comment ça s'passe

 

L'interdiscours se manifeste en clôture et l'animatrice entérine les conseils prodigués par l'expert. Il se calque sur le principe socratique connaîs-toi toi même auquel il emprunte la structure injonctive et l'idée d'introspection. Cette formule est instanciée sur les propos analogiques précédents par l'isotopie de la profondeur (tréfonds) et de l'évenementiel (voir c'qui se passe). L'idée d'instrospection sous-jacente est naturalisée en passant de l'introspection intellectuelle au témoin oculaire d'un événement.

 

A     ah ça c'est drôlement intéressant ça quand l'bâtiment va:: tout va quand le sexe ne va pas c'est que le couple quand même ça s'peut ça va pas fort en général il faut qu'on parle même d'autres choses

Alors que l'expert explique que les problèmes sexuels que rencontrent les couples proviennent d'un manque de communication, l'animatrice conclut en énonçant la structure bi-propositionnelle d'un lieu commun qu'elle réactualise en fonction du thème (le sexe). La deuxième partie entérine les conseils de l'expert.

On peut remarquer que l'animatrice construit un auditoire qui se rallie à la cause par une manifestation enthousiaste comme l'attestent la modalisation (drôlement) et l'axiologique (intéressant). Cette schématisation de l'auditoire concourt à faire participer par contagion le public.

 

I.2. Le dispositif radiophonique et mise en scène de l'auditoire

 

L'animatrice, outre ses reformulations par des phrases concises plus éloquentes, construit un auditoire tantôt contradicteur tantôt qui est acquis à la cause. De fait, elle schématise les réactions potentielles du public par des interventions polémiques et des manifestations de compréhension de façon à gagner son adhésion. Par ailleurs, elle rend plus vivante l'exposition des auditeurs en ponctuant leur récit de pensées qu'elle leur attribue. Ces shématisations contribuent à susciter l'intérêt du public et à le faire participer par procuration.

 

1.2.1. Schématisation du public contradicteur

 

La schématisation polémique se traduit par la remise en cause des propos de l'expert auquel l'animatrice oppose des contre-arguments. Celle-ci schématise les réactions du public qu'elle place en position de victime et ses valeurs de type sécuritaire et morale.

 

A     oui mais attendez Pierre on peut pas c'est quand même c'est le domaine sexuel c'est délicat c'est pas comme une liste de courses on lui dit tu rapportes un paquet d'sucre six oeufs machin on peut pas lui dire moi j'aime bien qu'on m'gratte le dos qu'on m'parle que c'est c'est embarrassant quand même quand une quand une câline rencontre un hussard comme ça (rire) XX c'est c'est pas facile à dire XX

 

Alors que l'expert prône la communication dans la sexualité, l'animatrice disqualifie ses propos par le connecteur quand même et des axiologiques (délicat, embarrassant, pas facile). Elle utilise pour défaire son discours une analogie et du discours direct qui naturalise son propos et le rend plus éloquent. Elle se fait également l'avocat de l'auditrice en la victimisant (cf. les catégories câline vs hussard). Mais cette ébauche de débat ne sert qu'à donner une dynamique à la consultation puisqu'à chaque fois l'animatrice se rallie à la thèse de l'expert sans soutenir sa contre-proposition

 

A   mais parler c'est vrai Pierre que vous l'avez dit beaucoup depuis le début du mois parler avant que l'enfant soit là et oh combien vous avez raison mais là par exemple Nadine a dit mon mari était devenu violent alors quand on dit parler avec quelqu'un de violent c'est carrément dangereux

 

Cet extrait porte sur les problèmes que rencontrent les couples après la naissance d'enfants. L'animatrice prend la place du contradicteur et après avoir corroboré les conseils de l'expert, elle développe une argumentation contraire par l'exemple donné par l'auditrice et apporte une conclusion opposée. L'animatrice fait parler l'individu contre l'expert et ses explications généralisantes. La modalisation (carrément) et l'axiologique (violent) donnent à son propos plus de force.

 

1.2.2. Schématisation des pensées des intervenants

 

L'animatrice prolonge et soutient les propos des auditeurs par la figure de l'hypotypose qui rend plus réaliste une narration et lui donne une dynamique.

 

L     eh bien moi j'voulais surtout dire que bon il m'arrive de me passer de sexe des mois parfois des années mais je n'en fais pas une maladie si je ne renonce pas pour autant euh je pense que l'amour c'est une part importante de la vie et le sex- le sexe en fait

                             A     ouais

       partie quand ça va bien mais euh bon j'ai eu des déceptions après une vie de couple

                                                               A     ouais

       assez longues et d'autres aventures bon y'a des bons moments mais ça finit souvent euh en queue d'poisson (rire) on peut dire c'est-à-dire euh ce que je reproche c'est que

                             A     ouais

       euh euh pour beaucoup d'hommeseuh ça ça le sexe la réussite du sexe c'est le besoin de se prouver et de prouver à la partenaire qu'i sont supérieurs et ça gâche tout ça ça fait que ça se transforme en besoin de pouvoir mâle ça me déçoit ça réduit la

             A     la performance

       complicité tendre à laquelle j'aspire et qui me suffirait au fond et je le dis franchement en général hein quand le moment de la relation s'approche de l'intimité je préviens mon partenaire que je m'éclate pas bruyament que je privilégie les caresses le toucher et bon mais sans doute qu'il se dit que j'avais pas trouvé le bon et puis alors après bon beh XX com- beh voilà mais euh généralement ça s'passe pas mal mais ça s'passe euh

A     avec moi ça va se passer autrement

       euh peut-être pas autant qui aussi fort qu'il faudrait ou bien euh/

 

L'emploi d'un discours indirect libre qui fait parler l'auditrice ou le partenaire vise à conforter celle-ci dans son dire et à proposer une citation exemplaire[5]qui est plus éloquente pour le public et formule de façon concise le récit de l'auditrice pour une meilleure appréhension.

 

S     oui et en fait j'crois que c'est l'idée de l'idée que je VAIS rougir qui déclenche ça et euh par exemple ça peut être avec une amie hein euh toute seule et je pense qu'est ce qu'elle va dire si elle voit qu'est ce qu'elle va penser si elle voit que je rougis

A     elle va penser que je mens elle va penser que je suis gênée

 

L'animatrice schématise les propos que se tient l'auditrice et les développe sous la forme d'un discours rapporté qui fonctionne comme une hypotypose[6]. L'animatrice s'approprie le récit de l'auditrice et le rend du même coup plus réel en énonçant les paroles que se dirait en pareille occasion l'auditrice.

 

I.2.3. Schématisation du public

 

Les réactions de l'animatrice vise aussi à influencer l'auditoire. Il s'agit par contagion de susciter une identification qui procède de commentaires enthousiastes et d'un parler identique.

 

PC   (...)puis y'a une autre solution mais qui est couteuse en temps en energie qui est de se dire euh je tiens à la personne donc est ce que je peux parler est ce qu'on peut trouver est ce qu'on peut s'expliquer nos rythmes est ce qu'on peut peut-être le dire le parler et trouver et en parler parce que ça n'se résout pas par magie un des points euh par rapport à la vie amoureuse en général et la vie sexuelle en particulier c'est qu'on ne peut pas présupposer que l'autre va comprendre ce dont on a besoin sans le lui dire

A     hein ça c'est vachement bien on ne peut pas présupposer que l'autre va comprendre ce dont on a besoin sans le lui dire c'est-à-dire i va pas i vapas deviner

             PC     si on le lui dit pas i va pas deviner

 

Le ralliement enthousiaste de l'animatrice vise à susciter l'adhésion du public à la thèse de l'expert. Il se caractérise par une modalisation (vachement) qui appartient au registre familier de façon à s'identifier à n'importe quel auditeur. L'axiologique (bien) et la thématisation ramassée (ça) visent à influencer le jugement du public avant de reprendre l'argument de l'expert.

 

PC   d'ailleurs parmi les auditeurs que celui qui n'a jamais eu envie de passer son enfant par la fenêtre de façon fantasmatique lève la main j'veux dire c'est comme pour la femme adultère je crois qu'on va tous partir à commencer par les plus âgés parce que c'est vrai et c'est d'autant plus difficile que lorsque l'enfant est encore au stade préverval c'est à dire qu'il peut pas dire on ne sait pas nécessairement pourquoi il crie

                                                                                A     aah

       et au bruit pénible de ces cris s'ajoute le fait qu'on n'sait pas quel remède on va adopter une fois qu'on a épuisé les remèdes évidents de le prendre dans les bras mais s'il continue à crier on p- on n'sait pas

A     c'est humain quoi X pour peu qu'on travaille dans un endroit où y'a déjà du bruit ou chais pas quoi le soir on est déjà XXX

 

L'animatrice clôt l'intervention de l'expert en énonçant une formule type attestée. Le marqueur quoi typifie en effet le discours et attribue son appartenance à la doxa. Cette réaction reformule de façon définitive les propos de l'expert par une formule partagée par le public.

 

II. Les procédés d'administration de la preuve et interdiscours

 

Les interventions de l'expert sont assujetties à une finalité praxique, convaincre l'auditeur et plus largement le public du bien fondé de sa thèse. Aussi après les reformulations préalables qui installent les prémisses, l'expert va-t-il mener des raisonnements qu'il ponctue de discours rapportés pour rendre plus crédible son argumentaire.

 

II.1. Le discours rapporté

 

L'administration de la preuve peut recourir au discours rapporté. Il se présente généralement sous la forme d'un discours direct qui met en scène le consultant ou naturalise l'objet du discours en le faisant parler. Ce dernier procédé rappelle la figure de la prosopopée.[7]

 

PC  (..)mais oui effectivement y'a comme une quête de une recherche intérieure d'aller plonger dans la piscine pour voir c'qu'il y a au fond d'la piscine votre votre piscine intérieure bien sûr c'est pas la peine d'aller plonger dehors vous trouverez rien à part de l'eau et de la du soleil peut être mais pas aujourd'hui mais euh c'est ? d'aller plonger dans votre inconscient pour voir c'qui s'passe et: l'inconscient ici encore une fois

            A     ouais

       quand le rêve est récurrent quand il revient comme ça c'est vraiment un message c'est

                                                                    A     une invitation

       une invitation et le rêve se fait de plus en plus insistant euh:: et de plus en plus fort parce qu'il se dit mais il comprend pas alors faut faut que j'ui en renvoie encore un autre message

 

L'auditrice rapporte un rêve récurrent au cours duquel elle se trouve dans l'eau. L'expert va introduire la notion d'inconscient et invite l'auditrice à sonder ses problèmes. S'ensuit un syllogisme[8]dont la majeure repose sur le topos suivant plus le rêve est insistant plus l'insconcient doit être sondé. L'idée du rêve récurrent est repris par la mineure confortée par un épichérème[9]qui se présente sous la forme d'un discours rapporté. L'expert fait en effet parler le rêve et cette figure de la prosopopée naturalise l'inconscient en le personnifiant. Cet épichérème est orienté vers la même conclusion que dans l'argumentation précédente, à savoir comprendre les manifestations inconscientes.

 

PC  (...) je crois que il faut vraiment dire que cet ajustement est difficile et qu'on peut prendre des étapes pour ça et qu'on se dit par exemple on rentre je connais des couples qui le font on se donne 5 minutes où on ne parle ni du bureau ni des enfants on commence pas en arrivant oh écoute François y'a y'a l'eau qui fuit puis faudrait que tu foutes un tarte à machin parce que il savait pas sa table de multiplication et que c'est à toi maintenant de la faire réciter euh mais 5 minutes les parents se retrouvent et se disent bonjour bonjour toi bonjour toi et simplement reprendre contact l'un avec l'autre

 

Dans cette séquence, l'auditrice raconte que son mari a mal accepté la naissance de leurs jumeaux et a quitté le foyer. L'expert montre que souvent les pères ont du mal à prendre une place dans cette relation triadique puis donnent des conseils pour conserver une relation de couple. Face aux réactions oppositives de l'animatrice qui se met à la place de la mère au foyer, l'expert surenchérit par une citation exemplaire, représentative des discours tenus dans ce contexte particulier, et lui oppose une autre forme de discours rapporté stéréotypé. L'expert termine par un autre discours rapporté qui contredit le précédent et vient appuyer sa thèse préalable, à savoir que pour conserver une bonne relation dans le couple, il est nécessaire de sortir temporairement des rôles parentaux

 

II.2. Dispositif interprétatif et interdiscours : création de vulgates et contexte thématique

 

Ces interactions médiatiques s'apparentent à la consultation thérapeutique par le dispositif interprétatif mis en place. L'expert analyse en effet la situation des auditeurs en fonction de théories auxquelles il adhère et de ses théories d'homme commun (Grossen 1992). Il s'inspire de fait de savoirs stabilisés appartenant au domaine de la psychanalyse. On ne peut cependant pas parler d'un transfert théorique d'un domaine à un autre. L'interprétation qui découle de ces discours fondateurs conduit l'expert à opérer certaines transformations sur le cadre théorique convoqué en l'actualisant en fonction du contexte thématique et en le naturalisant c'est-à-dire en lui donnant une interprétation réaliste et une identité normalisée. Les vulgates qui s'en dégagent résultent d'une activation de propriétés et de schèmes d'action pouvant aller jusqu'au stéréotype.

 

A     vous êtes un peu seule non là

PC   oui un petit peu comme ça j'aime bien les couleurs d'ailleurs ce vert sombre le violet c'est le violet c'est une couleur de la sagesse c'est une des couleurs favorites de l'inconscient donc c'est on on sent effectivement en réaction comme ça votre rêve ça évoque d'abord beh la fonction compensatoire du rêve si vous n'avez pas le temps d'aller vous baigner dans la journée le: rêve l'inconscient vous envoie un peu en baignade la nuit hein euh

A     les vacances au bord de la mer

PC   ah beh absolument le le rêve c'est c'qu'on appelle sa fonction compensatoire c'est-à-dire c'qu'on arrive pas à l'faire de jour beh quelque part on reçoit la gratification de nuit où on restaure une situation qui n'a pas marché la journée euh vous: j'ai entendu des bruits de de de voix enfantines derrière euh vous avez des des des enfants jeunes

Dans cet extrait, une personne raconte un rêve récurrent à savoir sa présence dans de l'eau, la mer, une piscine ou un lac et évoque des couleurs sombres. Pierre Cauvin pose le cadre de référence en caratérisant et identifiant les couleurs comme des manifestations de l'inconscient. C'est par ce dispositif que l'expert conclura sur un conseil, celui de sonder son inconscient. Il mobilise un savoir qu'il définit par un acte narratif. La situation contingente recatégorise le thème par « baignade » et actualise une notion abstraite. On ne cherche pas à connaître les associations de l'auditrice, le rêve s'inscrit dans le présent. Cette simplification d'un discours fondateur et sa contextualisation entraîne dans la deuxième intervention de l'expert une généralisation qui inscrit la définition du rêve dans un schème d'action : la non-satisfaction d'un désir diurne trouve sa réalisation nocturne. On est donc passé d'un schème d'action particularisant à un schème objectivant relevant d'une norme partagée.

 

PC   oui et puis et puis effectivement euh l'eau est souvent assi a-associée à l'inconscient vous parlez de de de profondeur etc euh donc quelque part il y a un une idée de l'inconscient je sais pas c'qu'elle veut dire pour vous mais oui effectivement y'a comme une quête de une recherche intérieure d'aller plonger dans la piscine pour voir c'qu'il y a au fond d'la piscine votre votre piscine intérieure bien sûr c'est pas la peine d'aller plonger dehors vous trouverez rien à part de l'eau et de la du soleil peut être mais pas aujourd'hui mais euh c'est ? d'aller plonger dans votre inconscient pour voir

            A     ouais

       c'qui s'passe

 

Dans cet extrait, l'expert part d'une prémisse quand on rêve d'eau c'est toujours une manifestation de l'inconscient. Le raisonnement qui suit confirme la prémisse posée. Cette pétition de principe[10]sélectionne une des données du propos de l'auditrice (quelquefois c'est profond quelquefois elle a pied) comme mineure. La conclusion qui en découle confirme sous le mode d'un dispositif existentiel la prémisse (y'a). Ce raisonnement est ensuite validé et confirmé par un épichérème la recherche intérieure qui renforce l'inférence, d'autant plus qu'il est repris par une analogie la piscine intérieure qui naturalise le thème. Le lien de cause à effet n'est pas démontré mais sert à une prescription générale. La vulgate qui se dégage de ce raisonnement montre que de propositions théoriques on passe dans le discours des communautés médiatiques à des équivalences symboliques qui aboutissent à une appréhension bi-univoque des phénomènes.

 

Conclusion

 

La sélection des informations préalables conduit à l'activation de schèmes d'action généraux et extrinsèques construits sur des équivalences symboliques, informées par des discours autres. La position d'expert conduit à prouver la maîtrise d'un savoir. Il s'agit en effet moins d'analyser les associations des auditeurs ni d'apporter des contre-propositions que de donner un tour savant aux interventions par le recours aux raisonnements et à des fragments de discours scientifiques. Cette apparence de scientificité se manifestent également par des traces énonciatives (on, y'a , c'est)).  Cette exigence résulte d'autres contraintes situationnelles qui consistent à s'inscrire dans un paradigme de valeurs communes. Cette double contrainte donne au savoir un cadre familier et le rend accessible.

On est donc en présence d'un genre hybride qui confond différents schémas d'action : la mise en scène d'une pseudo-confrontation d'un savoir expert face aux réactions de monsieur-tout-le-monde, la schématisation de ses valeurs et croyances et l'exigence d'un savoir transposable, réaliste et lisible pour tous.

 

Bibliographie

 

Bange P. 1992. Analyse conversationnelle et théorie de l'action, Paris : Hatier/Didier, LAL

Boyer H. et Lochard G. 1998. La communication médiatique, Paris : Seuil, coll. Mémo

Grize J.B. 1996. Logique naturelle et communications, Paris : PUF

Grize J.B. 1995. Argumentation et logique naturelle, Hermès 15, pp. 263-269

Grossen M. et Perret-Clermont A-N. 1992. L'espace thérapeutique : cadres et contextes, Neuchâtel Delachaux et Niestlé

Jacobi D. 1999. La communication scientifique. Grenoble : PUG

Lagane J. 1997. L'évolution du langage radiophonique, Communication et Langages 111, pp. 38-52

Magaud V. 2001. L'argumentation dans des consultations de voyance à support radiophonique, Aix-en-provence, Thèse.

Maingueneau D. 1987. Nouvelles tendances en analyse de discours, Paris : Hachette

Moirand S. 1997. Formes discursives de la diffusion des savoirs dans les médias, Hermès 21, pp. 33-44

Perelman Ch. et Olbrechts-Tyteca, 1983. Traité d'argumentation, Bruxelles : Éditions de l'Université de Bruxelles

Robrieux J-J., 1993. Éléments de rhétorique et d'argumentation, Paris : Dunod

Vignaux G., 1995. Des arguments aux discours, vers un modèle cognitif des opérations et stratégies argumentatives, Hermès 15, pp.199-225



[1] Par la reformulation du récit des auditeurs, l'animatrice problématise l'exposition préalable et sollicite l'expert.

[2] Les consultants ne sont plus sollicités après leur témoignage et c'est l'animatrice qui assume le rôle d'interlocuteur

[3] Ces émissions intitulées la situation est grave mais pas désespérée se sont déroulées entre 12h et 12h45 et ont été enregistrées en août 2002. Elles sont menées par une animatrice et Pierre Cauvin, psychiatre, qui intervient en début d'émissions pour apporter quelques éléments d'information sur le thème du jour. Les consultations proprement dite durent en moyenne 3 minutes.

[4] Conventions de transcription :

/                              interruption du tour par l'autre interlocuteur

+, ++                       pause à durée variable

tu::                          phénomène d'allongement

FAUT                    accentuation

( )                            manifestations paraverbales

X, XX                     mot/séquence inaudibles

qu-                          raté

devine                    chevauchement de paroles

A                            animatrice

PC                           Pierre Cauvin

Les autres lettres en début d'intervention représentent l'initiale du prénom des consultants

 

[5] J'appelle citations exemplaires les discours généralement tenus. Elles renvoient à un contexte particulier et sont représentatives des énonciations qui s'y réfèrent.

[6] Pour Robrieux (1993 : 71), « l'hypotypose (...) regroupe l'ensemble varié des procédés qui rendent vivante et réaliste une narration ou une description (...) »

[7] Pour Robrieux (1993 : 70), « la prosopopée est le procédé général qui rend présents les absents, les morts, les dieux, les êtres surnaturels ou les entités abstraites. (...) Ces évocations conduisent le plus souvent à leur donner la parole (...) ».

[8] Le syllogisme comprend deux arguments, la majeure et la mineure, et une conclusion.

[9] L'épichérème consiste en une preuve qui vient soutenir un argument

[10] Pour Robrieux (1993 : 171) « (..) il s'agit de postuler ce qu'on devrait précisément prouver, autrement dit, d'énoncer dans les prémisses du raisonnement une proposition que l'auditoire est censé avoir admise, mais dont il n'a pas eu la preuve