Usages de sites d'artistes sur Internet

 

Geneviève Vidal

Maître de conférences - LabSIC Université Paris 13 - MSH Paris Nord

gvidal@sic.univ-paris13.fr

 

Conférence Internationale Francophone en Sciences de l'Information et de la Communication

(Bucarest, 28 juin-2 juillet 2003)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suite à une enquête menée durant deux mois en 2002 auprès de 32 internautes rencontrés à deux reprises [1], une analyse d'usages de sites d'artistes sur Internet confirme le fait que les internautes se réfèrent à leur cadre d'usages informatiques et de connaissance des arts pour consulter les sites d'artistes. Ils développent en outre des postures interactives complexes selon leur expérience en ligne avec les oeuvres.

 

 

Chaque internaute consultait trois sites d'artistes sur Internet parmi douze sites proposés :

 

Adaweb http://adaweb.walkerart.org

Cityparadigms http://www.cityparadigms.timsoft.com oeuvre

Jodi http://www.jodi.org

Lecielestbleu http://www.lecielestbleu.com

Metaorigine http://metaorigine.free.fr/

Mouchette http://www.mouchette.org

Panoplie http://www.panoplie.org

Postal http://postal.free.fr/

Présentation http://PRESENTAT.IO-N.NET/

Rhizome http://www.rhizome.org

Tate/Mongrel http://www.tate.org.uk/netart/mongrel/home/default.htm

Turux http://www.turux.org

 

 

 

Nous avons observé les usages des internautes rencontrés et recueilli leurs propos tenus, au cours des consultations qui duraient en moyenne un quart d'heure par site et lors des entretiens d'une durée moyenne de 20 minutes, immédiatement après la consultation des trois sites proposés.

L'observateur était assis à côté de l'utilisateur, dans différents lieux publics (université, bibliothèque, cybercafé) et des espaces privés (domicile ou lieu de travail de l'utilisateur).

 

Dès lors, nous avons relevé des contournements, des résistances, voire des rejets, de fait les réalités d'usages, relativisant les discours sur la liberté des usagers sur Internet.

 

 

 

 

Besoin de repères et désir d'actions

Les tâtonnements et les tactiques pour rechercher des repères sont en effet mis en oeuvre par les internautes, pour connaître le site, comprendre l'oeuvre en ligne et donner un sens à leur exploration.Ils ont souvent besoin de se rassurer, en se référant à des usages préalables, au monde réel.

Avec les sites proposant des listes/menus, plusieurs usagers choisissent une démarche méthodique, fondée sur une lecture linéaire, pour ouvrir les menus, les liens, les images. Cette démarche systématique relève d'une volonté de se rassurer, sans volonté d'approfondir la consultation. D'autres usagers définissent des objectifs précis, liés à un titre qui les attire et approfondissent davantage leur consultation par rapport à ceux visant un tour complet des sites.

 

 

Mais le manque de repères et de compréhension est à l'origine d'échecs [2] qui peuvent faire l'objet d'un rejet par les internautes qui se sentent désorientés, par un affichage non conventionnel des données. Certains s'estiment responsables de la situation d'échec, d'autres n'estiment pas en être responsables et accusent alors la conception du site ou l'artiste.

 

Toutefois, ce manque de repères peut être à l'origine de motivations et d'inventions d'usages pour poursuivre la navigation dans le site. Les usagers engagent alors une relation avec les oeuvres, en se référant aux normes d'usages du Web, associées aux critères d'efficacité et de performance[3]. Pour rester maître de leur consultation, des internautes acceptent d'être surpris, tentent de se créer de nouveaux repères et sont fiers d'établir une posture interactive. Ils souhaitent dès lors devenir les acteurs du site, en dépassant l'usage de l'interactivité comme simple possibilité de sélection et vivent de nouvelles expériences d'interactivité. Ils explorent les possibilités de transformation des oeuvres interactives et semblent revendiquer une responsabilité dans l'acte de création, dans la mesure où ils manipulent les oeuvres à leurs convenances, contrôlent la situation en ligne. Les internautes prennent en fait conscience de leur participation dans le processus de l'innovation technique et de l'oeuvre interactive.

 

 

Nous avons par ailleurs constaté une fréquente volonté de comprendre le sens de l'oeuvre, de l'interpréter, en observant ou en interagissant avec les oeuvres. Ils souhaitent comprendre ce qu'ils modifient et comment cela se produit. Cette volonté d'interpréter les oeuvres passe parfois par l'observation et par l'écoute. Les internautes découvrent alors les oeuvres à l'écran en gardant une distance corporelle.

 

 

Les représentations d'Internet, notamment le pouvoir par l'interactivité et la possibilité de tout voir, les conduisent à adopter une attitude de prise de pouvoir.

 

Néanmoins, ils sont conscients du contrôle de l'artiste sur l'oeuvre. L'interactivité fournit la possibilité d'une action et d'instaurer un contact entre l'oeuvre, l'internaute et l'artiste. Ce contact peut prendre la forme d'un dialogue certes via l'interactivité, mais aussi d'échanges indirects de l'usager qui s'adresse à un auteur absent. Le recueil de ces propos nous conduit à deux remarques : l'auteur ne revêt pas la même identité (« la personne, un artiste, ils, il ») et il est tantôt créateur d'un projet artistique, tantôt concepteur d'un dispositif technique.

 

Ce dialogue avec l'artiste et le rapport concret qui s'établit avec les oeuvres constituent une scène des émotions. Le plaisir est en effet présent tout au long de la navigation et ne relève pas seulement d'émotions liées aux qualités esthétiques des oeuvres, mais aussi de l'implication active de l'usager via l'interactivité programmée, de la qualité humoristique de l'oeuvre ou de l'étonnement.

Les tâtonnements et les affrontements procurent ainsi des plaisirs avec la machine et les oeuvres, développant des situations inédites de réception de l'art.

 

 

 

 

Eléments de conclusion

Cette étude permet de saisir la façon dont les usagers s'approprient des sites d'artistes sur Internet, selon leurs expériences culturelles, compétences informatiques, centres d'intérêt, imaginaires. Ces appropriations contribuent à l'invention d'usages des oeuvres en ligne et de postures interactives dans les sites. L'analyse qualitative des usages réels a mis en lumière des besoins de repères ancrés dans des pratiques informatiques et culturelles préexistantes. Celle-ci a également permis d'explorer des expériences interactives et des émotions en ligne stimulant les consultations.

Enfin, nous relevons une quasi-absence de solennité, face aux oeuvres interactives sur Internet et nous nous demandons si celle-ci provient du rapport ludique à Internet et aux écrans ou de la technicisation du procès de réception de l'art ?

 

 

 

 

Références

Chambat Pierre, 1994, « Usages des technologies de l'information et de la communication (TIC) : évolution des problématiques », Technologies de l'Information et Société, vol. 6, n° 3, p. 249-270.

 

CMO, 2001, « La Communication médiatisée par ordinateur : un carrefour de problématiques », actes du colloques en ligne, 15-16 mai 2001 : http://grm.uqam.ca/cmo2001/actes.html

 

Couchot Edmond, 2001, « De la communication à la commutation. L'art et le Web », actes du colloque Artmedia VIII : de "l'Esthétique de la communication" au Net art, Paris :

http://www.olats.org/projetpart/artmedia/2002/t_eCouchot.html

 

De Certeau Michel 1990, L'invention du quotidien. Tome 1 : arts de faire,Paris, éditions Gallimard collection Folio/Essais, réédition

 

Heinich Nathalie, 2001, La sociologie de l'art, La découverte, coll Repères

 

Jouët Josiane, 2000, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n° 100, p. 487-521

 

Proulx Serge, 1994, « Les différentes problématiques de l'usage et de l'usager », Médias et nouvelles technologies. Pour une socio-politique des usages, André Vitalis (sous la direction de), Rennes : Apogée, coll. Médias et nouvelles technologies, p. 149-159

 



[1] soit 192 observations puisque nous avons observé 64 consultations x 3 sites par internaute.

[2] Nous définissons l'échec comme une situation au cours de laquelle l'usager cesse de naviguer sur le site parce qu'il dit ne pas comprendre de quoi il s'agit, parce qu'il se dit perdu. N'est pas considéré comme un échec le manque d'intérêt pour le site.

[3] Aller vite, atteindre une cible le plus rapidement possible, bénéficier de services personnalisés, notamment.