LA FORMATION AUX COMPETENCES INFORMATIONNELLES A L'UNIVERSITE : UNE VOIE OUVERTE POUR LE DEVELOPPEMENT DES SCIENCES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION ?

 

L'environnement informationnel dans lequel nous évoluons aujourd'hui se caractérise par une inflation documentaire qui n'a fait que complexifier la connaissance des sources d'information, mais aussi par une diversification des moyens d'accès au travers d'outils technologiques en constante évolution.

Dans ce contexte, il est important que les universités envisagent la formation des étudiants à la maîtrise des outils et à une appropriation raisonnée de l'information comme une composante essentielle de leur formation personnelle et professionnelle. Ces compétences peuvent être acquises au travers d'un outil présent dans toutes les universités : la bibliothèque universitaire. En effet, c'est le support privilégié pour enseigner la recherche d'information et la maîtrise de la documentation, deux compétences auxquelles on est amené à faire appel dans toute activité professionnelle. Au travers de cet outil, il est possible de combiner deux approches : acquérir une culture informationnelle, c'est-à-dire combattre l'analphabétisme informationnel et acquérir une culture technologique, c'est-à-dire l'usage effectif d'une bibliothèque et de ses outils. Deux aspects doivent alors être privilégiés : d'une part une méthodologie visant à s'informer (méthodologie de recherche, d'évaluation et de traitement de l'information), qui permette aux étudiants d'acquérir de nouvelles compétences et de tenir à jour leurs connaissances ; d'autre part une méthodologie visant à informer les autres (méthodologie de production et de communication ou d'échange de l'information) afin que les étudiants se préparent aux fonctions qu'ils auront à assumer dans leur activité professionnelle.

 

Au cours de cette communication, nous rappellerons l'historique de la mise en place de formations à la recherche d'informations dans les universités et les caractéristiques des formations actuelles, notamment au travers d'une expérience d'enseignement menée en 1er cycle à l'Université des Sciences sociales de Toulouse 1. Nous nous appuierons par la suite sur un travail de thèse en cours afin d'évaluer l'utilité voire la légitimité de la formation des étudiants à la recherche d'informations à l'université.

 

1.      formation a la recherche d'informations à l'université :

compte-rendu d'expérience

 

1.1 Contexte

 

A l'Université de Toulouse 1, l'enseignement à la recherche d'informations s'inscrit initialement dans deux politiques d'action : volonté des responsables de l'Université d'accélérer l'informatisation (ce qui nécessitait de mener de front les « chantiers » de l'équipement, la maintenance, la formation des étudiants et la formation des enseignants), et souhait de la bibliothèque universitaire de Toulouse 1 de s'investir dans la formation de ses usagers, dès le 1er cycle. Le désir de la bibliothèque universitaire a donc rencontré la volonté de l'Université.

Mais c'est surtout la mise en place de la réforme des premiers cycles en 1997 qui a été l'occasion de véritablement concrétiser ce projet. Cette réforme a créé une unité de méthodologie du travail universitaire qui préconise entre autre le développement de l'autonomie des étudiants en leur fournissant les méthodes et techniques utiles à la poursuite d'études[1]. C'est donc dans le cadre de l'unité de méthodologie du travail universitaire que s'est inscrit l'enseignement de « méthodologie documentaire ».

 

Après six années de fonctionnement, la formation des étudiants à la recherche d'informations est aujourd'hui un enseignement obligatoire, intégré dans le cursus des étudiants de toutes les filières de l'Université de Toulouse 1 (Administration Economique et Sociale, Droit, Economie-Gestion, Mathématiques Appliquées aux Sciences Sociales).

 

1.2 L'enseignement de méthodologie documentaire en chiffres

 

            En 1998/1999, 2025 étudiants de 1er cycle ont été formés à la recherche documentaire, toutes filières confondues. En 2002/2003, 3395 étudiants ont été formés, ce qui représente une augmentation de près de 60 % en quatre ans.

 

Le contexte étant rappelé, nous allons nous attacher à comprendre le cheminement qui a amené les responsables de cet enseignement à déterminer son contenu actuel. Nous verrons alors l'importance du contexte propre à chaque université française dans la mise en place d'un tel enseignement.

 

1.3 Vers un enseignement transversal

 

Trois phases sont apparues dans la mise en place de cet enseignement à l'Université des Sciences Sociales de Toulouse 1.

 

1ère phase : des débuts prometteurs (1997/1999)

 

L'objectif de cet enseignement s'articulait en 1997/1998 autour de deux axes :

-         Sensibiliser les étudiants, dès la première année à l'université, à l'importance de la documentation dans leur formation universitaire pour acquérir une autonomie indispensable à la réussite et à la poursuite d'études.

-         Rendre l'étudiant capable de repérer et obtenir l'information pertinente en fonction d'un besoin clairement identifié, c'est-à-dire lui donner les compétences pour mener à bien une recherche documentaire et donc se familiariser avec les ressources documentaires de la bibliothèque universitaire (catalogues informatisés, bases de données sur CD-Rom, Internet).

 

En 1997/1998, une professeur certifiée (PRCE) de documentation a été recrutée à l'Université de Toulouse 1 pour assurer les cours de méthodologie documentaire. Ce choix de recruter un enseignant spécifique dès la première année de fonctionnement traduit la volonté de l'Université de faire en sorte que ces enseignements perdurent. Notons par ailleurs que la masse d'heures de cours de méthodologie documentaire ainsi que l'investissement dans la préparation pédagogique qui en découle nécessitent une équipe enseignante à temps plein.

 

Nous prenons simplement ici l'exemple de la mise en oeuvre des travaux dirigés de méthodologie documentaire pour la 1ère année de DEUG Economie-Gestion car ils nous semblent les plus significatifs pour rendre compte des difficultés et questionnements rencontrés dans la mise en place d'un tel enseignement. Rappelons toutefois que toutes les filières de l'Université de Toulouse 1 sont concernées par cet enseignement et qu'il est adapté en fonction de chaque filière.

 

Il nous apparaissait cohérent d'inscrire ces enseignements de méthodologie documentaire dans une thématique disciplinaire. En effet, les étudiants ont à utiliser la BU, ses ressources et le système d'information en général, dans le cadre des disciplines de leur filière. Nous pensions donc qu'ils ne percevraient véritablement l'intérêt des enseignements de méthodologie documentaire que si ces derniers leur proposaient des outils pour cibler une information pertinente dans leur domaine d'étude. Une collaboration a par conséquent été mise en place entre les chargés de TD de micro-économie, le personnel de la bibliothèque universitaire et l'enseignante de documentation.

           

L'objectif de cet enseignement était de trouver un équilibre entre l'apprentissage de l'usage du système d'information (c'est-à-dire les compétences manipulatoires) et l'apprentissage de l'usage de l'information (c'est-à-dire la capacité à évaluer, comprendre et restituer une information pertinente) obtenue grâce au système d'information. Bien qu'il s'agisse d'un TD de méthodologie documentaire, il n'était pas question de faire abstraction du contenu économique (il s'agit ici de la filière Economie-Gestion) et de l'évaluation du contenu.

Le rôle des chargés de TD de micro-économie a donc consisté à fournir un sujet de recherche aux étudiants et à les amener à réfléchir, lors d'une séance, aux premiers questionnements se rapportant à ce sujet. Les chargés de TD étaient également présents avec l'enseignant de méthodologie documentaire lors de la présentation orale et de la correction du rapport écrit, qui constituaient l'évaluation des enseignements de méthodologie documentaire. Le contenu des séances de méthodologie documentaire avec l'enseignant de documentation seul faisait appel à la fois à des principes théoriques élémentaires sur la documentation, mais aussi à une approche empirique des ressources documentaires.

 

Cette collaboration qui nous semblait indispensable a pourtant été un échec et n'a pas été renouvelée sous la même forme les années suivantes. Nous pouvons trouver plusieurs raisons à cet échec.

Tout d'abord, il faut souligner le peu d'implication de la plupart des chargés de TD de micro-économie qui considéraient que cette collaboration leur avaient été imposée par le responsable du cours de micro-économie sans concertation préalable[2].

On peut aussi expliquer cet échec relatif par le peu de besoin en recherche d'informations que suscitait l'enseignement de micro-économie, puisque c'est un enseignement qui a une forte dimension économétrique qui emprunte aux mathématiques et à la statistique. La collaboration envisagée au départ entre ces deux disciplines s'est donc vite avérée artificielle.

Par ailleurs, la participation des chargés de TD de micro-économie posait le problème du paiement des heures qu'ils avaient effectuées dans le cadre de la méthodologie documentaire, dans la mesure où ils intervenaient sur les mêmes heures que celles de l'enseignante en documentation.

 

            En ce qui concerne la collaboration avec le personnel de la bibliothèque, il lui était difficile de s'investir pleinement dans la formation compte tenu du nombre d'heures élevé[3]et de leur charge de travail par ailleurs. La collaboration n'a donc été que ponctuelle en ce qui les concerne, d'autant que les volontaires parmi le personnel de la BU étaient peu nombreux pour assurer des formations de masse en 1ère année.

 

2ème phase : vers une collaboration plus fructueuse (1999/2002)

 

            A partir de l'année 1999/2000, une autre forme de collaboration a été adoptée entre l'équipe enseignante en méthodologie documentaire et les enseignants en économie. Les cours de méthodologie documentaire sont intégralement dispensés par les professeurs certifiées de documentation. Les enseignants des autres disciplines n'interviennent plus dans les TD de méthodologie documentaire, mais ils ont été consultés sur le contenu de l'enseignement de méthodologie documentaire, et il leur a été demandé de fournir des thèmes de recherche pertinents sur lesquels s'appuyer pendant les différentes séances. Cette collaboration préalable aux cours s'est avérée positive dans la mesure où les étudiants identifient mieux la discipline « méthodologie documentaire » et l'enseignant de documentation, ce qui leur a permis de mieux saisir les enjeux de la recherche d'informations.

 

Mais plusieurs constats et réflexions  nous ont amené à modifier le dispositif qui ne nous satisfaisait toujours pas pleinement, ceci pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, bien qu'ancrés dans le champ des sciences économiques, les thèmes de recherche proposés par les enseignants d'économie n'avaient qu'un rapport trop lointain avec le cursus des étudiants. Ils n'étaient en fait que prétexte à la recherche et les étudiants, bien que très majoritairement satisfaits des TD de méthodologie documentaire[4], avaient du mal à saisir l'intérêt d'une recherche sur un sujet trop éloigné de leurs problématiques disciplinaires[5].

D'autre part, si nous avions constaté en 1997/1998 une assez grande disparité de la population étudiante en terme d'habileté informatique, ceci est de moins en moins vrai. Les étudiants qui arrivent aujourd'hui à l'université ont pour la plupart l'habitude d'utiliser l'outil informatique. Mais ce qui pourrait être un atout pour la recherche documentaire informatisée se révèle en fait un handicap dans la mesure où les étudiants ont très souvent l'impression de savoir faire des recherches, or celles-ci sont rarement efficaces du fait de leur manque de réflexion préalable à l'utilisation de l'outil.

Nous avons constaté par ailleurs au cours des années que les étudiants éprouvaient des difficultés dans la sélection, l'analyse et la synthèse de l'information, corrélées pour certains à une propension à la recopie de textes entiers et au "copier/coller". Notre enseignement devait donc envisager de façon plus explicite le travail sur la sélection, l'analyse et la synthèse de l'information. Nous considérons en effet que la demande massive des étudiants pour une formation accrue aux nouvelles technologies ne doit pas se faire au détriment d'un travail sur les ressources documentaires et sur le traitement de l'information.

 

L'enseignement de méthodologie documentaire, au delà de son caractère pratique, devait donc s'inscrire dans un cadre plus large de formation à l'information. Or pour que les étudiants comprennent la nécessité de maîtriser l'information dans leur discipline, il nous a semblé important qu'ils prennent la mesure des caractéristiques de la société informationnelle dans laquelle ils évoluent et des enjeux qui sous-tendent son fonctionnement. Il s'agit alors de permettre aux étudiants d'acquérir les bases théoriques indispensables à la construction d'une culture informationnelle dans leur discipline.

 

3ème phase : un enseignement davantage centré sur la maîtrise de l'information (2002/2003)

 

Toutes ces réflexions nous ont amené à expérimenter un autre fonctionnement pour l'année universitaire 2002/2003 en 1ère année de DEUG Economie-Gestion.

 

Les objectifs restent les mêmes que précédemment, mais ils sont plus ambitieux dans la mesure où il ne s'agit plus uniquement de permettre à l'étudiant d'utiliser efficacement la bibliothèque universitaire et ses ressources documentaires. Il s'agit également pour lui d'être capable de réfléchir à une problématique ancrée dans sa discipline mais également liée au champ disciplinaire des sciences de l'information. L'objectif principal n'est donc plus de former des usagers de bibliothèque mais aussi des citoyens, futurs professionnels responsables et compétents, conscients des enjeux et sachant appréhender le contexte des systèmes d'information. L'utilisation de la bibliothèque n'est alors pas une fin en soi mais n'est qu'un outil au service d'autres objectifs.

 

Une des nouveautés provient des sujets proposés aux étudiants. Auparavant choisis dans le seul champ disciplinaire des sciences économiques, ils concernent maintenant également le champ des sciences de l'information. Nous avons donc accru nos exigences avec les étudiants non seulement sur les procédures de recherche mais également sur le résultat de la recherche et le traitement qui sera fait des documents trouvés (synthèse des informations...). A titre indicatif, voici certains sujets choisis par les étudiants en 2002/2003 : « l'impact des médias sur les événements boursiers », « l'intérêt d'Internet pour les PME/PMI », « Internet et les PVD ».

 

1.4 Bilan

 

Une enquête de satisfaction a été menée à l'issue des enseignements, sous la forme de questionnaires à remplir de manière anonyme. Nous exposons ici quelques résultats de cette enquête pour l'année universitaire 2002/2003.

 

Les étudiants sont 93,3 % à être satisfaits ou très satisfaits de cet enseignement.

 


 

Satisfaction des étudiants

Effectifs

%

Très satisfait /Satisfait

350

93,3

Pas satisfait /Pas du tout satisfait

25

6,7

Total

375

100

 

image


 

Les principales raisons de satisfaction apparaissent clairement dans le tableau ci-dessous :

 

Raisons de satisfaction

Effectifs

%

Intéressant pour la culture générale

251

72,3

Utilisation de l'OPAC, CD-Roms, Internet

206

59,4

Acquisition d'une méthodologie de recherche

201

57,9

Utile pour la suite des études

190

54,8

Travail en équipe

172

49,6

Découverte  de la BU

127

36,6

Travail sur évaluation et exploitation des informations

120

34,6

Gain de temps dans les recherches

115

33,1

Total / répondants

347

398,3

 

Il est intéressant de constater que pour les étudiants, l'importance de ce TD est étroitement liée à la culture générale ou l'acquisition d'une méthodologie de recherche qu'il leur apporte. Seuls 36,6 % des étudiants citent la découverte de la BU comme une raison de satisfaction, ce qui montre bien que les étudiants ont des exigences qui dépassent la simple visite de la BU.

 

Nous leur avons également demandé ce qu'ils pensaient du choix des sujets sur lesquels ils avaient travaillé. Une très grande majorité des étudiants (89,7 %) a trouvé ces sujets intéressants. Ils n'ont par ailleurs pas trouvé que les sujets étaient en rupture avec leur champ d'étude principal. Pour beaucoup d'étudiants, les problématiques soulevées par ces sujets étaient bénéfiques dans la mesure où elles constituaient de nouveaux apports culturels et suscitaient des questionnements sur la société informationnelle dans laquelle ils évoluent.

 


 

Sujets proposés

Effectifs

%

Plutôt intéressants

338

89,7

Plutôt pas intéressants

39

10,3

Total

377

100

 

 

image


 

Il a enfin été demandé aux étudiants quels sont les thèmes qu'ils auraient souhaité voir introduits ou développés en cours de méthodologie documentaire. Cette étude révèle notamment l'intérêt des étudiants pour une formation plus approfondie aux méthodes d'exploitation et d'évaluation de l'information.

 

  Thèmes à introduire ou développer selon les étudiants

Effectifs

%

Méthodes d'entraînement à l'expression orale

267

71,4

Exploitation de l'information (restitution de l'information...)

180

48,1

Méthodes de travail universitaire (organisation, prise de notes...)

157

42

Evaluation de l'information (pertinence d'une information...)

148

39,6

Méthodes de recherches sur Internet

108

28,9

Méthodes de recherches sur BDD sur CD-Roms

97

25,9

Rien

13

3,5

Autre

12

3,2

Total / répondants

374

262,6

 

Les résultats ci-dessus concernent le sentiment des étudiants à l'issue de cet enseignement de méthodologie documentaire, mais malheureusement, il n'a encore été entrepris aucune étude d'impact de cet enseignement fournissant des éléments sur l'influence de cette formation sur la réussite universitaire[6].

 

1.5 Perspectives

 

Notre objectif de départ était certainement très ambitieux vu le nombre d'heures de TD de méthodologie documentaire[7]. Une prochaine étape consisterait à inscrire les TD de recherche d'informations en sciences économiques dans un cadre davantage théorique. Ces fondements théoriques nous apparaissent aujourd'hui nécessaires si l'on veut aborder plus largement les enjeux de la maîtrise des technologies de l'information et de la communication, l'aspect historique du système d'information et ses mutations constantes, la structure des bases de données... Les TD de recherche documentaire seraient alors réservés à un apprentissage pragmatique.

 

Ceci nécessiterait forcément d'accroître les heures dévolues à cet enseignement, mais c'est selon nous une condition nécessaire et un moyen efficace si l'on veut faciliter chez les étudiants une maîtrise globale de l'information dans leur discipline.

 

Précisons enfin que le choix du dispositif mis en place à l'Université de Toulouse 1 a été conditionné par un contexte particulier à cette université : peu de personnels de bibliothèque prêts à s'impliquer dans la formation des étudiants, peu de collaboration avec les enseignants des disciplines académiques souvent eux-mêmes peu familiarisés avec ces problématiques et donc incitant très peu aux recherches dans le cadre de leurs cours... Il nous a semblé important de pouvoir tirer profit de ces circonstances particulières pour proposer aux étudiants un enseignement plus global.

 

2.      legitimité de la formation des étudiants à la recherche d'informations :

recherche en cours

 

2.1 Cadre théorique et problématique

 

Nous venons d'exposer de quelle manière se sont mis en place des enseignements à la recherche d'informations à l'Université des Sciences sociales de Toulouse 1. Bien que l'expérience menée s'avérait positive depuis 1997, notre expérience d'enseignante dans ce domaine nous a conduit au fil des années à nous interroger sur l'utilité voire la légitimité d'une telle formation à l'université.

 

Pour aborder la question de la légitimité de la formation à la recherche documentaire, nous nous sommes référé dans un premier temps à la problématique des usages et usagers (Le Coadic, 1997 ; Rania, 1999), puis nous avons approfondi notre analyse en essayant de cerner l'importance du besoin d'information (Dervin et Nilan, 1986 ; Wilson, 1994 ; Le Coadic, 1998). Différents modèles du processus de la recherche d'information (parmi lesquels : Kuhlthau, 1983 et 1993 ; Eisenberg et Berkowitz, 1990, Fadben, 1997 ) nous ont permis d'étayer notre réflexion et nous ont alors amené à privilégier la notion de compétences informationnelles (Denecker, 2002) indispensables dans la recherche d'informations. Nous avons alors formulé le postulat général selon lequel la formation à la recherche documentaire ne peut être légitime que si elle répond aux exigences en matière de compétences informationnelles.

 

2.2 Terrain d'analyse et hypothèses

 

Pour tenter de répondre à cette interrogation, nous avons souhaité mener plusieurs études sur les différents acteurs intervenants dans cette formation : les étudiants et les formateurs. Le choix de cibler ces deux acteurs est double. D'une part une étude plus approfondie de la population étudiante à qui s'adressent ces formations nous semblait indispensable pour voir dans quelle mesure les formations proposées sont adaptées. D'autre part, nous avons constaté que ces enseignements sont souvent dispensés par des formateurs très divers (personnels de bibliothèque, enseignants, vacataires, tuteurs...) et nous avons cherché à savoir si cette particularité pouvait avoir une influence sur l'efficacité des formations. En se plaçant du point de vue de « celui qui est formé » et de « celui qui forme », nous pensions pouvoir définir dans quelles conditions une telle formation peut être véritablement utile.

 

La population étudiante choisie pour cette étude est celle des étudiants de 1ère année de DEUG Economie-Gestion de l'Université des Sciences sociales de Toulouse 1 qui bénéficient d'une formation à la recherche documentaire depuis 6 ans.

L'hypothèse que nous avions avancée est que les étudiants forment un groupe hétérogène ayant des représentations sur le système d'information et la société de l'information. Nous souhaitions alors voir si ces représentations guidaient ou pas leurs stratégies de recherche et d'exploitation de l'information. Si tel était le cas, il nous semblait qu'une formation visant à faire évoluer leurs représentations pourrait s'avérer pertinente pour rendre la démarche de recherche des étudiants plus efficace.

 

La seconde population d'enquête que nous avons souhaité étudier concerne les formateurs. Nous avons choisi de restreindre notre étude à un échantillon représentatif de formateurs en 1er cycle des universités de Toulouse et de Montpellier qui dépendent de l'URFIST de Toulouse.

L'hypothèse que nous avions formulée était que les formateurs constituent également un groupe hétérogène aux pratiques de formation diverses, aux représentations multiples de ce que doit être la formation à la recherche documentaire et aux représentations multiples des compétences des étudiants en la matière. Nous pensions alors que ces multiples pratiques et représentations pourraient contribuer à cerner les conditions d'efficacité de la formation et de là, son utilité pour les étudiants.

 

2.3 Méthodologie

 

Pour tester ces deux hypothèses, nous avons recueilli les données à l'aide de deux outils : le questionnaire et l'entretien semi-directif.

 

Le questionnaire a été utilisé pour tenter d'étudier les représentations des étudiants de 1er cycle des universités sur la recherche et le traitement de l'information. Deux questionnaires ont été élaborés :

-         Le premier questionnaire devait mettre à jour les représentations des étudiants à leur arrivée à l'université sur la société de l'information et le système d'information mais également leurs pratiques de recherche d'informations.

-         Le second questionnaire cherchait à connaître l'appréciation que les étudiants portaient sur la formation reçue et leurs attentes éventuelles.

 

Afin d'approcher au plus près le contexte dans lequel ces formations sont dispensées, il nous a paru intéressant de mener également des entretiens semi-directifs auprès des formateurs en 1er cycle des universités de Toulouse et de Montpellier. 22 entretiens ont donc été réalisés, avec : 8 personnes travaillant dans les bibliothèques universitaires ou les bibliothèques d'UFR (3 conservateurs, 1 bibliothécaire, 3 personnel ITARF[8], 1 contractuel), 4 professeurs certifiés ayant pour fonction exclusive l'enseignement de la méthodologie documentaire (3 PRCE[9] de documentation, 1 PRCE de lettres), 10 enseignants de diverses disciplines responsables d'autres enseignements par ailleurs (histoire, histoire de l'art, sociologie, géographie, géologie, biochimie, sciences de l'information : 4 maîtres de conférences, 2 PRAG[10], 2 ATER[11], 1 vacataire, 1 ingénieur d'études). Ce panel nous semble représentatif de l'ensemble des formateurs qui peuvent intervenir dans ce type de formation sur le plan national.

 

2.4 Premiers résultats

 

Cette recherche est en cours et seuls quelques résultats sont connus à ce jour.

 

Notre analyse des réponses aux questionnaires administrés en début d'année aux étudiants a permis de dévoiler un certain nombre de représentations et de pratiques. La connaissance des étudiants interrogés en matière de système d'information semble se réduire à Internet[12] et au catalogue de bibliothèque[13] dans une moindre mesure. Les étudiants semblent avoir une représentation très subjective d'Internet. Cet outil peut en effet s'avérer « fiable » (pour les étudiants qui l'utilisent) ou « peu fiable » et revêtir alors un aspect négatif pour la catégorie d'étudiants qui s'en méfient. La conception subjective de l'outil va par conséquent engendrer deux types de pratiques radicalement opposées.

Par ailleurs, notre étude a montré l'impact de l'expérience des Travaux Personnels Encadrés (TPE) en lycée sur les représentations des étudiants. Cette expérience, qu'il est difficile de qualifier de « formation à la recherche documentaire », semble avoir familiarisé les étudiants avec un certain nombre d'outils et de termes propres à la recherche documentaire.

Néanmoins, il s'avère que c'est davantage la méconnaissance du système d'information et des enjeux de la société de l'information qui induit les pratiques des étudiants. Les réponses relatives à la connaissance des caractéristiques de la société de l'information constituent généralement une accumulation d'idées préconçues et de lieux communs qui dénotent le peu de questionnement des étudiants vis à vis d'une telle problématique. En ce qui concerne le système d'information, c'est parce qu'ils ne connaissent que très peu les bases de données[14] par exemple que les étudiants vont éviter de les utiliser ou ne vont pas penser à les utiliser spontanément. Leur méconnaissance engendre alors une pratique de recherche qui consiste à avoir spontanément recours à l'outil de recherche qu'ils connaissent, ou qu'ils croient connaître, qu'ils jugeront fiable ou adapté à leur recherche (selon des critères très subjectifs), en négligeant totalement d'autres outils à leur disposition, qui auraient certainement pu rendre leur recherche plus efficace.

S'il apparaît difficile de mettre à jour une incidence directe des représentations sur les pratiques des étudiants, notre analyse constitue néanmoins l'indice de la connaissance sommaire des systèmes d'information et des caractéristiques de la société de l'information chez les étudiants qui manifestent par conséquent une approche très empirique de la recherche d'informations. On peut finalement se demander dans quelle mesure une formation plus globale à la maîtrise de l'information serait une aide efficace dans l'appropriation par les étudiants des outils de recherche documentaire et la connaissance des enjeux de la société de l'information dans laquelle ces outils s'inscrivent.

 

Concernant les résultats du questionnaire administré à l'issue de la formation, les étudiants estiment très majoritairement que cette formation leur a été utile. L'analyse en cours nous permettra de vérifier si la formation leur a permis de mieux connaître le système d'information et de mieux comprendre les enjeux de la société de l'information.

 

L'analyse des entretiens avec les formateurs est actuellement en cours et ne nous permet pas d'avancer nos premiers résultats.

 

conclusion

 

L'enseignement de recherche d'informations que nous dispensons à l'Université des Sciences sociales de Toulouse 1 est un enseignement transversal, inscrit dans les cursus, et qui devrait avoir une place grandissante à l'université dans les cursus hors Sciences de l'information. Rappelons à ce sujet qu'il existe dans les Instituts Universitaires de Technologie un enseignement intitulé « Expression et communication » dans lequel sont abordées l'expression écrite[15], les situations de communication[16], et les problématiques de la recherche d'information. Il en est de même dans de nombreuses écoles d'ingénieur françaises. N'est-ce pas également de la responsabilité de l'université de proposer une véritable mise en oeuvre d'un enseignement qui s'attacherait à cette problématique de la recherche et du traitement de l'information ?

 

Notre recherche en cours va dans ce sens : essayer de voir à quelles conditions une formation à la recherche documentaire peut être légitime et surtout utile aux étudiants. Comment un enseignement à la maîtrise de l'information peut-il faciliter l'acquisition de compétences informationnelles, autant de clés pour un traitement efficace de l'information dans la discipline propre à chaque étudiant ?

 

bibliographie

 

Coulon Alain, Penser, classer, catégoriser : l'efficacité de l'enseignement de la méthodologie documentaire dans les premiers cycles universitaires, Paris, Laboratoire de recherches ethnométhodologiques, Université de Paris 8, 1999.

 

Denecker Claire, Les compétences documentaires : des processus mentaux à l'utilisation de l'information, Lyon, Presses de l'ENSSIB, 2002.

 

Dervin Brenda, Nilan Michael, « Information Needs and Uses »,  Annual Review of Information Science and Technology, 1986, vol.21, p. 3-33.

 

Eisenberg Michael B., Berkowitz Robert E., Information problem-solving : the big six skills approach to library and information skills instruction, Norwood, N.J., Ablex Pub. Corp., 1990.

 

Fédération des enseignants documentalistes de l'Education nationale, Compétences en information-documentation. Référentiel, Paris, FADBEN, 1997.

 

Former les étudiants à la maîtrise de l'information : repères pour l'élaboration d'un programme. Ministère de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie, 1999.

 

Kuhlthau Caroll Collier, « Implementing a process approach to information skills : a study identifying indicators of success in library media programs », School Library Media Quarterly, 1983, vol.22, n°1, p. 11-18.

 

Kuhlthau Caroll Collier, Seeking meaning : a process approach to library and information services, Norwood, N.J., Ablex Pub. Corp., 1993.

 

Le Coadic Yves, Usages et usagers de l'information, Paris, Nathan-ADBS, 1997, 127 p.

 

Le Coadic, Le besoin d'information, Paris, ADBS Editions, 1998, 191 p.

 

Rania Siatri, « The Evolution of User Studies », Libri, 1999, vol.49, n°3, p. 132-141.

 

Wilson Tom D., « Information Needs and Uses : Fifty Years of Progress ? » in Fifty Years of Information Progress, 1994, p. 15-51.



[1] « préparer une bibliographie, utiliser une bibliothèque et les nouvelles sources d'information, prendre des notes, résumer un article ou un ouvrage, s'initier au travail en groupe, construire un projet d'études et un projet professionnel, pratiquer une langue étrangère... »

[2] Ils n'ont donc pas réfléchi à une liste de sujets possibles à traiter par les étudiants de 1ère année et ils se sont contentés de reprendre une liste de sujets qui avaient été proposés aux étudiants de maîtrise pour leur mémoire de fin d'étude.

[3] 14 groupes de TD en 1997 qui bénéficiaient chacun d'1h30 par semaine

[4] 87 % d'étudiants satisfaits en 2000/2001

[5] Rappelons qu'en 1ère année d'Economie-Gestion, il y a peu de besoin de recherche d'informations du fait de la forte dimension micro-économique, mathématique et statistique de cette filière à l'Université de Toulouse 1.

[6] A ce sujet, on pourra se reporter à l'étude menée par Alain Coulon à Paris 8 et qui montre qu'une telle formation a un impact positif dans la réussite des étudiants à l'université

[7] en 1ère année de DEUG Economie-Gestion, les étudiants ont seulement 12h de TD dans l'année

[8] Ingénieurs, Techniciens, et Administratifs de Recherche et Formation

[9] Professeur Certifié

[10] Professeur Agrégé

[11] Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche

[12] 89,1 % des étudiants déclarent avoir déjà utilisé Internet pour effectuer une recherche

[13] 31,3 % des étudiants déclarent avoir déjà utilisé un catalogue de bibliothèque pour effectuer une recherche

[14] 75,8 % des étudiants n'ont pas su proposer une définition correcte

[15] contraction de textes, résumés, rédaction de rapports, de notes de synthèse...

[16] communication orale, conduite de réunion, utilisation d'outils de communication...