Entre la création de contenus

&

l'intelligence territoriale :

la dimension éthique

 

 

                                

 

 

Philippe Dumas

Professeur des Universités

En

Sciences de l'Information & de la Communication

 

Directeur du laboratoire LePont

dumas@univ-tln.fr

 

Université de Toulon et du Var BP 132 83957 La Garde Cedex

 

 

L'internet est né sous des auspices ambivalentes : il a fait partie d'un projet de l'armée américaine qui a financé ses premiers pas dans les années 60 tout en étant la concrétisation des rêves libertaires d'une génération d'étudiants et de scientifiques  cherchant à partager leurs connaissances. Ce n'est que bien plus tard, 30 ans après -une génération !- que les appétits commerciaux de la société marchande y ont vu une formidable opportunité de relancer le commerce jusqu'à en faire une bulle qui a fini par éclater. Que reste-t-il de cette extraordinaire aventure des dernières décennies ? Un média de plus qui est maintenant entré dans les moeurs de la quasi totalité des citoyens du monde occidental. Comme tout dispositif technologique, il peut être utilisé pour le meilleur comme pour le pire : la communication de la connaissance, la vente des produits et services, la satisfaction des pulsions les plus basses et les plus répréhensibles de la nature humaine mais aussi les actions les plus désintéressées, les sauvetages de personnes en détresse, la libération de minorités mais aussi l'asservissement à la technologie. Le business a clairement affiché que l'internet devait être un moyen de capter le consommateur et de le faire payer, si possible plus qu'auparavant. Les jeunes et les esprits révoltés y ont vu un terrain de piratage beaucoup plus excitant que la photocopieuse ou la cassette. Dans ce contexte de multiples enjeux et de multiples possibilités, comment se situe le domaine de l'information territoriale ?

C'est ce que nous allons tenter de baliser en faisant référence à une valeur essentielle de cette information territoriale, celle de concerner plus le citoyen que le consommateur donc de relever d'une éthique de service public.

 

Donc l'internet n'est pas seulement commercial. La communauté enseignante ne cesse de l'affirmer. Comme le dit un confrère canadien, « il offre une formidable infrastructure d'échange qui ne passe pas obligatoirement par l'argent et participe au mouvement d'éducation populaire par la co-production, la mutualisation et la diffusion publique. Ainsi, l'Internet Citoyen, Coopératif et Créatif revendique une appropriation citoyenne, solidaire et non marchande, retour aux valeurs natives de l'internet. Ces actions trouvent en villes et régions d'excellents moteurs, des pratiques et usages d'intérêt général et de service public ne pouvant que mieux servir l'éducation reconnue comme un processus soutenu et continu ».

 

Si une telle approche est acceptée par les responsables de la collectivité territoriale, nous allons en déduire quelques conséquences pratiques relevant d'une éthique de la communication territoriale.

 

A la base, il faut considérer que l'argent confié à l'édile par le biais des impôts locaux doit revenir à tout le monde. Or les services d'information communication passant par l'internet coûtent cher. Donc il faut d'abord que le service informatique et le service de communication (qui doivent être associés) ne soient pas la propriété d'un clan et soient sous le contrôle des assemblées délibératives. Cela n'est pas une vue de l'esprit car la culture technologie moyenne des citoyens français et de leurs élus n'est pas très solide. Il en résulte donc une tendance à se décharger de ces questions techniques sur une poignée de spécialistes qui rapidement tendent à échapper à tout contrôle. Le contrôle des moyens est une condition nécessaire de la mise en oeuvre citoyenne des technologies de l'information.

 

Un deuxième précepte découlant du premier est que l'information mise à disposition du citoyen doit être gratuite et accessible. Cela entraîne que l'accès aux site territoriaux soit libre et ouvert pour les détenteurs d'un appareil (ordinateur) de consultation. Mais aussi que les non détenteurs puissent y avoir accès. Les non détenteurs (encore au moins la moitié de la population française) sont les économiquement faibles, les personnes culturellement défavorisées, les non francophones, les anciens qui n'ont pas pris le train de l'internet. Vis à vis de cette population il y a (1) un devoir d'éducation et (2) une nécessité de créer des points d'accès publics. Pour tous, il est indispensable de communiquer dans un langage qui leur est accessible : des écrans clairs, des menus limpides, des raffinements techniques limités, le traitement des documents juridiques ou réglementaires réservé aux personnes qui peuvent les exploiter.

 

Toute communauté territoriale regroupe des sensibilités et des intérêts variés si ce n'est conflictuels. Cela nous amène à proposer un précepte de pluralité dans la création de contenu des systèmes d'information territoriale. A part les informations officielles, chacun doit pouvoir trouver dans un site censé le représenter un écho de ses idées ou de ses préoccupations. En particulier, on peut penser que l'opposition communale, (ou régionale) dispose de pages écrans pour communiquer librement dans des sortes de « newsletters ». L'un des moyens de la démocratie fondée sur les Tic consiste dans l'échange de messages par mèls ou sur un forum. Or l'on constate, dans une récente étude du Benchmark Group, que sauf pour les élus ces services sont minoritaires dans la plupart des sites actuels comme le montre le tableau ci-dessous.

 

Taux d'équipement des sites des grandes villes françaises en services interactifs

Possibilité d'envoyer un message électronique aux élus

61 %

Possibilité d'envoyer un message électronique aux services de mairies

55 %

Téléprocédures administratives

44 %

Formulaires téléchargeables

36 %

Forum de discussion

16 %

Newsletter

14 %

Sur la base des 36 villes de France les plus peuplées. Source benchmark Group, mars 2003

 

Ces quelques remarques tendent à montrer que la citoyenneté numérique (c'est-à-dire fonctionnant avec les Tic) est encore balbutiante et qu'il est nécessaire de la développer dans une perspective respectant les valeurs citoyennes qui fondent notre république : liberté, égalité, fraternité. Une initiative que pourrait lancer ce colloque serait d'étudier les chartes éthiques existantes ou à créer et de développer un cadre d'audit éthique de l'information - communication territoriale.

 

 


 

 

Repères bibliographiques

Bahut-Leyser, D. & Faure, P. ed. (2000), Éthique et société de l'information, La Documentation Française, Paris

Benchmark Group (2003), www.artesi-idf.com et  www.benchmark.fr

Bertacchini Yann., Dumas Ph., (1999),  «La mise en convergence des usages locaux: vers l'élaboration d'un outil de veille territoriale», Société Française de Bibliométrie Appliquée, Système d'information élaborés, Ile Rousse, septembre.

Dumas, Ph., Bertacchini.Y., (2001), «L'appropriation territoriale: un phénomène informationnel. Vers la définition d'un dispositif d'information et de veille territoriales», Colloque National de la Recherche en Iut, Roanne, Juin

Dumas, Ph., Bertacchini.Y., Quoniam.L., (1999 ), « Construire un projet local de développement autour d'une cellule de veille territoriale. », Ateliers d'Intelligence Stratégique, Université de Lille II, E.S.A, décembre.

Breton, Ph. (2000), Le culte d'internet, La découverte, Paris

Brunet, P.J. (2001b), « L'éthique de la responsabilité individuelle dans la société de l'information », in Brunet, P.J. ed. (2001a),  L'éthique dans la société de l'information, L'Harmattan, Laval, pp 7-32.

Brunet, P.J. ed. (2001a), L'éthique dans la société de l'information, L'Harmattan, Laval

Cassen, B. (1998), « Les dix commandements de la préférence citoyennefLe Monde diplomatique, mai.

Collège international éthique... (2002), « Veillons à l'avenir de l'humanité »,  Libération, 5 février.

Comte-Sponville, A. (2001), Dictionnaire philosophique, Puf, Paris.

De Koninck et al. (1999), « Les défis de la culture et de l'éthique aux Ntic », Education et Francophonie, vol XXVII, N°2, automne-hiver.

Dumas, Ph., Bertacchini.Y., (2001), «L'appropriation territoriale: un phénomène informationnel. Vers la définition d'un dispositif d'information et de veille territoriales», Colloque National de la Recherche en Iut, Roanne, Juin

Dumas, Ph., Bertacchini.Y., Quoniam.L., (1999 ), « Construire un projet local de développement autour d'une cellule de veille territoriale. », Ateliers d'Intelligence Stratégique, Université de Lille II, E.S.A, décembre.

Dumas, Ph. (1991), Information et action, Hdr, non publiée, Lyon.

Levy, P. (1997), L'intelligence collective, La Découverte, Paris.

Premier Ministre (2001), « Société de l'information - Deuxième étape - Projet de loi Société de l'Information (LSI) », en ligne, http:// $$$ Société de l'information - Deuxième étape - Projet de loi Société de l'Information (LSI).htm, consulté le 31/01/02

Riqueau, C. , Dumas, Ph. (2003), «Ead médiatisé dans l'enseignement supérieur : un cadre juridique, territorial et organisationnel à redéfinir », à apraître.

Virilio, P. (1996), « Dangers, périls et menaces », Le Monde diplomatique, octobre.

Weber, M. (1959), Le savant et la politique, Plon/Uge, coll. 10/18, Paris.

Weick, K.E. (1995), Sensemaking in organizations, Sage, New York.

Winkin, Y. (2001), Anthropologie de la communication, De la théorie au terrain, Seuil.