« Clubs » biomédicaux sur  Internet

ICUST 99, Bordeaux

 

Ghislaine CHARTRON, Christophe BOUDRY

 

 

URFIST de Paris/Ecole Nationale des Chartes

17 rue des Bernardins

75005 Paris

Tél : +33 - 01 43 26 89 81

Fax : +33 - 01 56 24 97 33

chartron@cnam.fr, boudry@ccr.jussieu.fr

 

 

 


Résumé

 

Dans l'inscription de nos travaux sur les vecteurs électroniques d'information et de communication scientifiques, nous étudions quelques nouveaux services marchands émergents sur Internet et dédiés à la communauté biomédicale. Cette première investi­gation montre d'une part un secteur en développement, impliquant des acteurs diversifiés, avec des logiques d'intégration de différents services. La représentation symbolique du  « club» n'a guère de réalité dans l'observation des modes d'échanges. Le modèle économique associé apparaît comme assez diversifié sur l'échantillon et hybride dans ses sources de financement.

 

 

Introduction

 

Le domaine de la santé est un territoire d'application privilégié du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Télémé­decine, informatisation des systèmes de gestion de la santé et système d'information médicale (MacDougall, 1998) sont des axes en développement, supportés par des politiques de soutien incitatrices, en particulier la politique du National Institute of Health[1] aux Etats-Unis et celle de la Commission Européenne à travers l'axe « Telematics for Healthcare »[2] financé par la DGXIII. Les enjeux avancés concernent globalement des gains qualitatifs pour les systèmes de santé qui, associés à certaines formes de rationalisation, devraient permettre des gains de rendement; les processus en cours relevant alors de processus d'industrialisation mis en évidence par certaines études (Carré, 1998). C'est notamment le cas en France avec la mise en place du Réseau Santé Social qui, initié au début de l'année 98, a pour objectif majeur une meilleure gestion du système de santé. Le projet devrait rassembler pour  fin 1999, 400 000 utilisateurs, praticiens et gestionnaires, au sein d'un Intranet national sécurisé (voir le contrat de concession de service public signé entre l'Etat et la société Cegetel, fin 97)[3]. Outre la coordination des tâches dans l'acte de soin, ce dispositif intégrera la mise à disposition de bouquets de services spécialisés visant à répondre à des besoins de formation, d'information et de commu­nication. Ce dernier point est au coeur de la problé­matique dont nous voulons débattre.

 

En effet, en plein essor des communautés d'échanges associées aux technologies Web, certains prédisent un nouveau modèle pour l'industrie de l'information en ligne fortement associé à la représentation symbolique d'un club d'échange communautaire (Town, 1998) (Infonortics, 1998). Différents secteurs économiques comme le secteur éducatif, de la santé et de l'édition scientifique semblent concernés par ce modèle de vente qui s'est par ailleurs largement développé ces 20 dernières années dans l'économie des industries culturelles, et en particulier pour l'économie du livre (Richaudeau, 1998).

 

Nous avons voulu, dans cette communication, observer plus précisément cette nouvelle forme marchande de l'industrie de l'information dans le domaine biomé­dical. Par ailleurs, nous avons déjà souligné l'ampleur du développement récent de la presse électronique scientifique sur Internet (Chartron, 1997) et la reconfiguration de la chaîne d'acteurs associée (Chartron, 1998). Cette étude s'inscrit dans un prolongement de ces travaux, prolongement qui concerne la mesure de nouveaux services émergents pour le scientifique et le professionnel dans leur phase débutante.

 

En premier lieu, plusieurs points semblent novateurs:

- La convergence de services différents sous un seul point d'entrée: information, communication, formation, commerce électronique...

- L'apparition de techniques de marketing direct, peu développées jusqu'alors dans le domaine des systèmes  d'information scientifique.

- L'apparition de nouveaux acteurs à l'origine de cer­tains services.

Nous développerons ces trois points dans la suite de nos propos.

 

Nous avons étudié précisément un échantillon de  services repérés sur Internet:

- Des services nationaux (E2med[4], Caducée[5], Club Médical[6], Global Santé[7], Medisite[8]). Leur client-cible est en priorité, comme nous le vérifierons, le profes­sionnel de la santé qui devrait se trouver informatisé et connecté très prochainement par la mise à en place de la transmission électronique des feuilles de soin asso­ciée à la carte Vitale, ceci avant la date du 1er Janvier 2000.

- Des services affichant déjà une audience mondiale importante comme le service BioMedNet[9] destiné à la communauté médicale de recherche.

 

Nos interrogations s'inscrivent dans une approche socio-économique des médias couplée à une analyse précise des contenus. Quels sont les différents services intégrés , les techniques de marketing associées, les acteurs et les modes de financement ? Peut-on déjà donner des éléments d'appréciation sur l'adoption de ces nouveaux services ? Les méthodologies utilisées sont l'étude documentaire avec recueil de données et immersion dans les services, l'analyse sous forme de questionnaires et d'entretiens guidés.

 

 

Origine des acteurs et éléments de stratégie

 

La création de ces services est très récente, s'éche­lonnant entre 1995 et 1997. L'initiative pionnière de l'éditeur scientifique « Current Science Group » est à remarquer avec la création de BioMedNet en Mars 96. Le service fut racheté en Octobre 97 par l'un des plus grands groupes internationaux d'édition, « Reed-Elsevier » dont la position dominante sur le marché de l'édition scientifique focalise bon nombre de débats actuels.

Notre échantillon intègre deux types d'acteurs de taille bien différente :

- Des grands groupes de communication et d'édition représentés par certaines de leurs filiales: « Vivendi-Havas/Masson » (E2med), « Reed-Elsevier » (BioMed­Net), « Lagardère » en partenariat avec la société « Expand » (Club Médical) . Pour ces acteurs, l'inves­tis­sement dans ce type de service semble s'inscrire dans une stratégie globale de diversification des activités, en particulier sur ce créneau annoncé comme un modèle de vente à ne pas négliger dans l'économie de demain (Communi­cations & Stratégies, 1998).

- Des jeunes sociétés, « start-up », spécialisées dans le multimédia comme « Editions du présent »  pour Caducée, « Epsilon Santé »  pour Medisite, « Integra »  pour Global Santé. Ces petites structures, la plupart des SARL, diversifient leurs activités de communication multi­média par des développements dans différents domaines dont le domaine biomédical en travaillant en partenariat avec des médecins.

 

Les rachats ou partenariats entre acteurs économiques visent l'intégration et la convergence des principaux savoir-faire suivants : des compétences tech­no­logiques liées au multimédia, des compétences d'expertise scientifique médicale et pour certains services, comme Club Médical, des compétences de connectivité Internet.

 

Les stratégies poursuivies pour ces services sont assez variées :

- Pour Reed-Elsevier, l'entretien avec l'un de ses représentants montre la volonté de faire de BioMedNet la ressource la plus complète pour la communauté biomédicale de recherche: intégration de nombreux contenus associés aux dernières fonctionnalités techno­logiques disponibles. L'équipe associée à BioMedNet comprend 41 personnes à plein temps sans compter les correspondants extérieurs, ce sont les moyens les  plus importants repérés dans notre échantillon. Le site est libre d'accès avec, comme nous le verrons plus tard, un financement basé sur la publicité et le commerce électronique. Le service annonce déjà, en Mars 1999, 340 000 membres enregistrés (ce qui ne signifie pas « utilisateurs » néanmoins), l'objectif est d'atteindre les 500 000 membres pour la fin de l'année. La course à l'audience est le souci majeur, au centre de l'économie du service.

- Pour E2med: c'est une stratégie d'extension d'un savoir faire éditorial initial testant de nouvelles formes de vente du catalogue Masson. Le service est peu ouvert sur l'extérieur. E2med est une des briques « test » d'un service santé Havas qui pourrait se développer facilement si le marché s'affirmait ; le groupe Havas a en effet procédé à des investissements récents dans le domaine de la santé (acquisition du Vidal, du Quotidien du médecin)[10].

- Pour Club Médical, le développement d'un service santé est l'opportunité de connecter conjointement les médecins par Club Internet/Grolier Interactive, fournis­seur d'accès Internet. Le réseau Internet permettant depuis peu la transmission des feuilles de soins électroniques (FSE), on comprend que la bataille pour les abonnements Internet se soit amplifiée ces derniers temps, principalement entre Cegetel, France-Telecom et Club-Internet[11]. Par ailleurs, Club-medical, comme son titre l'indique, vise à reproduire un cercle fermé, sécurisé sur Internet (la carte professionnelle est obligatoire pour s'abonner au service) misant en particulier sur la formation médicale.

- Global Santé est très orienté professionnel également avec une stratégie de développement de la formation continue payante à l'unité.

- Caducée et Medisite ont cette particularité de vouloir mettre à disposition gratuitement des contenus importants (sélection de sites Web, revue de presse, dépêches de l'AFP-santé...). Caducée mise essen­tiellement sur les moyens accordés dans le cadre de la francophonie et Médisite est apparemment sponsorisé en partie par des laboratoires pharmaceutiques.

 

Sur l'ensemble de l'échantillon, les moteurs du développement de ces services se diversifient donc entre :
- Formation médicale continue des médecins inscrite initialement dans le plan Juppé, puis dans le plan Kouchner du secrétariat d'Etat à la Santé[12].

- Connexion à Internet des médecins dans le cadre de l'informatisation des feuilles de soin.

- Francophonie et développement de contenus nord-sud.

- Nouveaux marchés : pour la presse médicale, pour la publicité et le commerce électronique associé aux activités biomédicales.

 

 

Contenu des services

 

Nous donnons, ici, une image des contenus de ces services datée de Mars 1999 mais il est certain que ces contenus évoluent très rapidement. Les données collectées sur les différents sites ont été regroupées en 5 grandes catégories :

 

Information

 

Cette catégorie inventorie les possi­bilités offertes par les différents services pour recueillir des informations dont les médecins et chercheurs peuvent avoir besoin pour exercer leur profession. Il peut s'agir de sélections de sites Web, de revues, d'annonces de congrès, de services de veille ou bien encore de permettre l'accès à des ouvrages numérisés, à des bases de données bibliographiques ou factuelles. L'offre proposée est très différente selon les services avec cependant certains points communs.

 

Les 6 services étudiés proposent tous des liens vers des sites Web classés généralement par catégories et spécialités médicales dans un répertoire souvent important (6807 sites recensés par exemple pour Caducée). Ce type de service, demande un véritable travail éditorial : sélection, description et commentaires des sites. Les sites recensés couvrent un très vaste éventail de sujets, allant du monde de la recherche aux organismes profes­sionnels ou administratifs en passant par des sites traitant spécifiquement d'une spécialité médicale.

 

A part Caducée, tous les services proposent un accès à des revues scientifiques, professionnelles ou grand public (ou à leur site Web). Deux types d'offres sont proposés:

- Un accès vers des revues relativement spécialisées avec possibilité d'accéder au texte intégral. C'est notamment le cas pour E2med qui donne accès au catalogue des publications de Masson en texte intégral sous la condition de souscrire un abonnement payant.

- Des liens vers des sites Web de revues. Dans ce cas, les revues sélectionnées sont soit, directement en rapport avec l'activité médicale (revues francophones comme le « Quotidien du médecin » ou le « Généraliste » ou anglophones comme « BMJ » ou « Lancet Interactive »), soit destinées à un public plus large (comme « Sciences et Avenir »). L'accès au texte intégral reste conditionné à un abonnement pour la revue en ligne. Il faut noter que les liens vers ces revues ne font l'objet d'aucun accord entre le service et l'éditeur de la revue, ce qui signifie que l'utilisateur ne bénéficie pas d'offres privilégiées.

 

En ce qui concerne l'accès à des bases de données bibliographiques, seul l'accès à la base Medline est proposé (sous les interfaces PubMed, Ovid) par la plupart des services (Club Médical, Médisite, BioMedNet). Les bases de données factuelles propo­sées sont soit des bases de données pour la recherche comme par exemple Swiss-Prot (pour BioMedNet), soit des bases de données utiles pour le praticien (comme celles sur les médicaments et les laboratoires pharmaceutiques de Global Santé et Club Médical). Ces bases de données ne sont pas gérées par ces services, leur disponibilité résulte d'accords négociés avec d'autres acteurs (comme par exemple la société « Editions Médico-Pharmaceutique » pour la base de médicaments de Club Médical).

 

Un recensement des congrès est proposé par la plupart des services (sauf pour Global Santé et Club Médical). Le travail éditorial que sous-entend ce type d'offre varie considérablement d'un service à l'autre. Il peut en effet s'agir d'une valorisation d'un savoir-faire existant déjà sur des ressources papier (comme c'est le cas pour E2med) ou bien simplement de liens vers des sites dont le but est de recenser les congrès (BioMedNet et Médisite). Le recensement basé sur la soumission volontaire des organisateurs de congrès est également proposé par la plupart des services. Notons que seuls Caducée et E2med proposent l'accès à des comptes rendus de congrès.

 

Les services de veille proposés par les différents sites étudiés, qu'il s'agisse d'offres accessibles directement sur site ou accessibles de façon systématique par courrier électronique, prennent plusieurs formes. Géné­ralement, il existe une rubrique « actualités » présentant les nouveautés (nouveaux sites ou livres de la semaine par exemple) et les informations récentes (parfois sous la forme d'une revue de presse). Il faut toutefois noter la grande hétérogénéité quant à la qualité de l'offre des  6 services étudiés. La plupart des services étudiés donnent accès aux dépêches « AFP-santé », certains proposent également un service de veille sous la forme d'un envoi systématique périodique par courrier électronique (c'est le cas de Caducée avec sa revue de presse hebdomadaire et de BioMedNet avec son magazine mensuel « HMS Beagle »).

 

Communication

 

Concernant les forums de discus­sion, l'offre est assez disparate. Certains services proposent leurs propres forums (E2med, Global Santé, Club Médical, BioMed­Net) généralement classés par spécialités ou proposent des liens vers des forums existants (type « fr.bio.medecine » comme Club Médical ou Caducée ou forums hébergés sur des sites distants comme Médisite), ou simplement un accès à leurs archives (BioMedNet propose pour cela un lien vers « Dejanews »).

 

En ce qui concerne la communication personnalisée avec le service, Médisite offre la possibilité de répondre de façon individuelle à toutes questions concernant la médecine ou des problématiques associées (questions juridiques par exemple).

 

Tous les services étudiés intègrent des petites annonces pour des remplacements, des ventes de cabinets médicaux, des ventes de matériels professionnels. Seul BioMedNet propose des offres de bourses de thèses ou post-doctorales à destination des étudiants en thèse.

 

Formation 

 

 Il s'agit principalement de formation continue à la médecine (FCM) ou de formation à l'utilisation du service lui-même ou aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. 

 

Des possibilités de formation continue sont proposées par trois services (Médisite, Global Santé et Club Médical) et visent de façon très claire les praticiens de « ville ». Global Santé propose des cours payants à la consultation après achat de crédits auprès de ses services (la consultation d'un cours correspondant à un certain nombre de crédits). Club Médical a une offre diversifiée pour la formation permanente: études de cas cliniques commentés, cours en ligne (2 à ce jour concernant l'angine et les crises d'épilepsie), un quizz (questionnaire à réponses multiples) et un agenda de formations à venir. Enfin, Médisite propose égale­ment une offre complète avec un service exclusif: la possibilité de mener un interrogatoire et de consulter l'examen clinique et les examens complémentaires d'un patient virtuel afin de poser son propre diagnostic et d'élaborer une stratégie thérapeutique (service partiel­lement opérationnel au jour de cette étude). Notons que Caducée propose des formations à l'utilisation de son service avec éventuellement possibilité d'initiation à l'utilisation d'Internet.

 

Vente/Commerce électronique divers 

 

 Certains sites intègrent un accès à des services de type « boutiques en ligne » directement sur site ou par le biais d'accords passés avec des entreprises spécialisées dans la vente en ligne. Seuls Caducée (offre de produits multimédia), BioMedNet (livres, logiciels, matériels de laboratoire) et Médisite (matériel et produits de l'éditeur Masson) occupent ce créneau.

 


 

 

BioMedNet

E2med

Caducée

Club Médical

Global Santé

Médisite

Information

(répertoire sites Web, revues, bases de données, congrès, services de veille)

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ÅÅ

Communication

(forums, petites annonces)

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Å

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Å

Formation continue

O

O

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ÅÅ

Ventes,  e-commerce

(cd-roms, livres, logiciels, matériels de laboratoire)

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O

Å

O

O

Å

Services techniques

(e-mail, hébergement et création de sites Web)

O

O

Å

Å

Å

Å

 

Tableau 1: Résumé de l'offre des différents sites étudiés.

 O: service non proposé, Åservice proposé, ÅÅservice proposé avec une offre importante en quantité.

 

 


Services techniques 

 

Cette catégorie correspond essen­tiellement à la possibilité pour les utilisateurs de chaque service d'obtenir gratuitement une adresse électronique. Tous les services (sauf BioMedNet et E2med) offrent cette opportunité. A noter que Caducée propose la création et l'hébergement de sites Web, offre qui s'adresse essentiellement aux organisateurs de congrès. Club Médical, quant à lui, propose uniquement des possibilités d'hébergement de sites par l'intermédiaire de Club Internet.

 

Les données du tableau 1 couplées à des appréciations qualitatives des services nous permettent de dégager plusieurs profils de services :

- BioMedNet s'adresse clairement aux chercheurs en biologie et médecine, au niveau international. Les nombreux liens vers des sites spécifiquement dédiés à la recherche, les accès à des bases de données factuelles spécifiques et les offres de bourses post-doctorales en témoignent. A noter également que ce service ne propose pas de formation continue.

- E2med et Caducée semblent pouvoir répondre aux attentes des praticiens francophones qui assurent une activité parallèle de recherche (comme c'est le cas de nombreux praticiens hospitaliers), mais également à celles des praticiens de « ville » : coexistence de services tels que l'accès aux dépêches AFP, la présence de nombreuses petites annonces, l'accès à certaines revues ou sites très spécialisés et les nombreuses annonces de congrès.

- Club Médical, Global Santé et  Médisite,  quant à eux, sont clairement destinés aux praticiens de « ville » francophones. Les informations pratiques sont desti­nées à faciliter le travail de ces professionnels :  bases de données sur les médicaments ou sur les laboratoires pharmaceutiques et offres de formation continue constituent la majeure partie de l'offre proposée.

 

 

Le lien client : marketings associés

 

Micro-marketing : marketing direct

 

Les spéculations sur le développement d'une économie associée au Web repose sur une relation directe entre services marchands et clients (notion de marketing « one-to-one »). L'industrie de l'information est entrée dans cette reconfiguration dès les années 96 avec le « re-engineering » de services documentaires existants repensés en fonction de l'utilisateur final. Les services-clubs que nous étudions s'inscrivent dans cette tendance et vont plus loin avec une volonté de convergence de différentes formes d'information et de communication, élargissant considérablement le domaine strict de la documentation comme nous venons de le voir précédemment.

 

La relation directe au client est marquée ici par différentes techniques de marketing :

- Etape d'adhésion au service nécessitant la fourniture de renseignements privés par l'intermédiaire de formulaires obligatoires (BioMedNet, Club Médical, Global Santé, Médisite). La gratuité de la majorité de ces services  vise à être compensée par la constitution de fichiers clients monnayables pour vendre des  espaces publicitaires et développer le commerce électronique avec d'autres partenaires.

- Envois personnalisés d'informations sur Internet : revues de presse (Caducée), magazine spécialisé et propositions d'achats avantageux (BioMedNet).

Ces envois sont très limités, peu comparables avec des services orientés grand-public et consommation de masse (type ventes par correspondance) : durant nos tests, ils se sont limités à un message initial d'accueil puis uniquement un envoi par semaine pour Caducée, un par mois pour BioMedNet. Par ailleurs, la consultation volontaire de bandeaux publicitaires associés à certains services n'a provoqué que l'envoi d'une ou deux propositions commerciales person­nalisées envoyées par courrier électronique. L'envoi de publicité d'autres offreurs est effectuée avec autorisation du client dans les formulaires d'adhésion , donc on ne peut pas parler de phénomène de « spamming » ici.

- Les « cookies » sont très largement utilisés lors des sessions de connexion des utilisateurs, leur usage n'a pu être clairement précisé dans cette étude : alimentation de base de renseignements sur les clients  ou données relatives à la gestion  personnalisée de l'interface ?

 

Marketing « tribal » ou  communautaire 

 

Le marketing direct régissant les liens entre offreurs et clients se trouve en fait compléter ici par des amorces de marketing tribal, visant, à l'opposé de la relation individuelle du marketing direct, à développer une atmosphère conviviale, un effet «club ». Les spécialistes du marketing tribal le qualifient d'approche «  latine » du marketing où le consommateur dévelop­perait son « moi/nous » à travers le « papillon­nage communautaire »  (Badot, 1998 ). La représen­tation symbolique associée est souvent celle d'une communauté d'échanges liant les membres entre eux. Dans le domaine biomédical, cette communauté d'échanges a déjà des réalités fort anciennes : regroupements autour de nombreuses sociétés savantes spécialisées, existence de « journal clubs » dans les universités anglo-saxonnes (Valentini, 1997). Il n'est pas forcément facile d'introduire de nouvelles logiques.

 

En effet, l'immersion dans les services étudiés ici montre un processus balbutiant pour le moment: les membres échangent peu ou uniquement à des fins personnelles , et sur ce point nous rejoignons les remarques du journaliste anglais Richard Poynder « Virtual communities are rarely what their sponsors design them to be » (Poynter, 1999) :


- Les forums, qu'ils soient thématiques, généralistes, modérés ou pas, n'ont pas grande réactivité : une moyenne de 10 à 20 messages par an est commune à la majorité d'entre eux. Le statut de forums fermés, « sécurisés »,  réservés aux professionnels de la santé ne change pas la donne par rapport à un forum ouvert au grand public  (cas des forums fermés de Club Médical). On observe quelques questions et pratiquement aucune réponse.

- Par contre les espaces d'annonces concernant les offres et demandes d'emplois sont relativement développés (annonces concernant l'immobilier en rapport avec l'exercice de la profession et la vente de matériels divers). L'espace « Job Exchange » de BioMedNet est l'une des composantes les plus consultées d'après les représentants de cette société : en effet, depuis janvier 99, le service inscrit 470 propo­sitions d'emplois tout type confondu, plus précisément 134 propositions de post-docs au niveau international avec une forte majorité venant de l'Amérique du nord puis de l'Europe, les institutions françaises  formulent 20% des offres européennes pour les post-docs. Les offres d'emplois sont également non négligeables dans les services Caducée, Masson et Global Santé, variant entre 20 et 50 propositions en mars 99. Le service fermé Club Internet est le plus faible sur cet espace d'échanges.

- Le parrainage est présent pour Club Médical , les jeux dans Medisite et BioMedNet , le procédé s'apparente alors aux formules club traditionnelles des ventes par correspondance orientées grand-public.

- Enfin, la participation ouverte aux médecins pour prendre en charge la modération d'un forum est restée sans succès jusqu'à présent d'après certains respon­sables interrogés.

 

Il apparaît donc que les liens entre membres sont très faibles, orientés vers des intérêts personnels. Les liens directs de l'offreur au client existent mais la stratégie est de donner envie au client de revenir (montée en charge des contenus) plutôt que de multiplier les formes d'une communication directe personnalisée risquant d'agacer un public professionnel et scientifique. A ce titre, les envois personnalisés fréquents concernent ici des revues de presse et des magazines en ligne (Webzines).

 

 

Economie des services

 

Pour recueillir des informations sur les coûts de production et les recettes associées, nous avons tenté un questionnaire couplé d'entretiens téléphoniques. Sur l'échantillon, 5 sociétés sur 6 ont bien voulu répondre à nos questions.  Mais rien ne nous garantit l'exactitude des informations données et, surtout dans un climat de vive concurrence pour les services orientés professionnels de la santé, la 27ème édition imminente du salon du MEDEC[13] étant mentionnée par certains comme un événement trop stratégique pour répondre à un tel questionnaire. Nous donnons, ici, des éléments d'appréciation en insistant sur les tendances observées :

 

 

Coûts associés 

 

Les grilles d'analyses des différents coûts associés aux médias (Toussaint-Desmoulins, 1996) ont été revisitées en fonction de la spécificité des médias interactifs étudiés ici. Les coûts de « production intellectuelle », de « production matérielle », de « marketing » restent tout à fait d'actualité pour ces services. Une différence notable se situerait au niveau des coûts de distribution/diffusion : évalués entre 10 à 25% pour la presse et la télévision (pouvant atteindre jusqu'à 50% du prix de vente de certains journaux), ces coûts sont identifiés ici par les coûts du réseau intégrés par ailleurs dans d'autres activités des entreprises interrogées, donc non identifiés comme des coûts spécifiques à ces services. Il en va de même des coûts administratifs considérés comme des coûts globaux et transversaux aux activités des entreprises qui diversifient leurs activités économiques.

 

Les réponses obtenues (partielles) évaluent les dépen­ses de la façon suivante, conformément à la grille soumise dans notre questionnaire:

- Les coûts « intellectuels » liés à la production des contenus (équipe rédactionnelle, documentation, modé-ration de forums, achats de données) : de 25 à 30%.

- Les coûts de fabrication (développement et main­te­nan­ce du site Web, coûts humains et matériel): de 30 à 45%.

- Les coûts  marketing : de 10 à 20%.

- Les coûts administratifs : 10%, partagés avec d'autres activités.

- Les coûts réseau: 10%, partagés  également.

 

L'achat de données extérieures est faible (contraire­ment à la télévision notamment), c'est essentiellement le cas pour les dépêches médicales de l'Agence France Presse présentes dans de nombreux services professionnels étudiés. L'enjeu des contenus se traduit plutôt ici par une concentration en amont des entreprises (fusion, rachat) que par des ventes de production ou de services entre entreprises.

 

Financements hybrides 

 

La provenance des recettes actuelles et les stratégies de développement sont très variables sur l'échantillon visité :

 

- Un financement direct par le public est remarqué pour E2med : l'accès aux revues en ligne se fait par abonnement couplé ou non au support papier. La stratégie est celle d'un éditeur important pour la médecine francophone, qui considère son service comme une extension à valeur ajoutée de son savoir-faire initial d'éditeur. Le paiement direct par l'usager se rencontre aussi sous la forme de possibilités de vente à l'unité d'articles (BioMedNet). Hormis pour les produits de l'édition scientifique, la tendance est plutôt à la gratuité, en témoigne la récente décision de Club Médical (du 17 Mars 1999) de rendre gratuit l'accès à son service qui était payant jusqu'à présent. La stratégie choisie va alors être celle de recettes liées à l'audience .

 

- Le financement par la publicité des laboratoires pharmaceutiques est un phénomène connu dans la presse médicale. Pour les services Internet étudiés ici, son poids est très variable : il représenterait 90% des revenus de BioMedNet piloté par un éditeur scienti­fique international en position dominante. La tarification des bandeaux publicitaires est variable selon leur emplacement, le maximum étant actuel­lement de $5000/mois sur certaines pages du site très consultées. Par contre, la publicité n'est pas envisagée pour E2med (Masson). Beaucoup y voit une source de revenus à développer mais l'audience à créer n'est pas évidente si l'on tient compte de la concurrence des autres acteurs (éditeurs, portails de type Yahoo, sociétés pour l'informatisation des cabinets médi­caux...)

 

- Le commerce électronique est ici encore très peu développé. Il existe pour la vente d'ouvrages, de matériels professionnels, de cédéroms pour BioMedNet  et Caducée. Le phénomène est très minoritaire, le maximum étant de 5% de l'ensemble des recettes pour BioMedNet. Les partenariats de ventes en ligne spécialisées sont balbutiantes. La vente de services connexes (formation Internet pour les médecins, hébergement de sites Web, location de boutiques électroniques) est envisagée par les services orientés professionnels de la santé.

 

- Le sponsoring par des laboratoires pharmaceutiques n'est pas mentionné dans les réponses du questionnaire envoyé mais il est évoqué par certains dans un entretien direct.

 

- Enfin le recours à des subventions comme c'est le cas pour Caducée qui bénéficie d'un financement par la franco­phonie dans le cadre d'un appel d'offres.

 

De l'avis général, l'équilibre financier n'est pas encore atteint pour la majorité des services. A la question « Le service est-il rentable ? », les réponses furent « Pas tout à fait », « Pas encore, je crois que seule une très faible minorité de sociétés gagnent de l'argent sur le Web », « Non, nous essayons de répondre à des appels d'offres » et un « Oui » qui resterait à prouver. Mais en fait, la question de la « rentabilité directe » semble une mauvaise question car bon nombre de ces services envisagent le Web comme un produit d'appel permettant à l'entreprise de se faire une carte de visite, facilitant la vente d'autres services plus solvables (formation des médecins à Internet, réalisation de sites Web pour des laboratoires...).

 

Les travaux sur la production industrialisée de la culture et de l'information avaient distingué 3 modèles principaux caractérisés entre autres par des sources de revenus différenciées (Miège, 1996, p. 181) :

- Le modèle éditorial (livres, vidéocassettes, cédé­roms...) concernant des marchandises achetées de façon privative, recettes relevant de ventes directes au consommateur, proportionnelle à l'audience.

- Le modèle de flot (production radio-télévisée) concer­nant un flot continu lié à un souci de fidélité d'audience, recettes indirectes via la (para) fiscalité et/ou la publicité.

- le modèle de l'information écrite (la presse) concer­nant des marchandises achetées régulièrement de façon privative, système mixte de recettes (ventes au consom­mateur + recettes publicitaires).

 

Les productions que nous étudions ici s'apparentent dans leur forme principale au modèle de flot couplé à des possibilités d'achats individuels. En terme de recettes, si l'on se réfère à la grille précédente, la logique est alors hybride et non homogène : la publicité, la vente directe au consommateur (sous forme d'abonnement ou du commerce électronique associé) mais aussi la vente se services connexes peuvent être sources de recettes de façon variable selon les cas.

 

 

Eléments partiels pour l'appréciation des usages

 

Le terrain d'études et d'observation que nous donne notre insertion dans les bibliothèques universitaires et les centres de documentation d'organismes de recherche (CNRS, INRA, Institut Curie, Institut Pasteur...) nous a permis de sonder partiellement l'impact de ce type de service auprès des usagers particuliers que sont les étudiants en médecine, les enseignants et les chercheurs. Cette restriction du public nous a conduit à ne considérer dans nos questionnaires que les services pouvant intéresser ces usagers proches du monde de la recherche (c'est à dire BioMedNet, E2med et Cadu­cée). Les éléments d'appréciation que nous avons collectés résultent d'un questionnaire rempli par des médiateurs, 12 profession­nels de bibliothèques et centres de documentation de recherche dans le secteur biomédical. De plus certains échanges informels avec ces personnes nous ont apporté quelques précisions. Nous n'avons pu interroger les utilisateurs finaux de ces services dans le cadre de cette étude.

 

Les 3 services sont moyennement connus de ces professionnels de l'information, c'est le service E2med de l'éditeur Masson qui est le plus connu, ce qui semble cohérent avec la spécificité éditoriale de ce service (revues francophones médicales). Le service Caducée est sélectionné en priorité pour une mise à disposition dans la bibliothèque, essentiellement pour le répertoire de sites Web médicaux qu'il propose en libre accès. Par contre, les professionnels pensent que BioMedNet est le service le plus utilisé par les chercheurs, l'accès se faisant en priorité du laboratoire.

 

Pour essayer d'élargir notre terrain d'investigation, nous avons également tenté de questionner les utilisateurs de la liste de diffusion biblio-santé (liste rassemblant des professionnels de l'information médicale) et des forums « fr.bio.general » et « fr.bio.medecine » (forums d'étudiants et chercheurs) en posant quelques questions sur la connaissance et les usages de ces services. Malgré la forte fréquentation des forums, aucune réponse pertinente ne nous est parvenue. Quant à la liste biblio-santé, les 2 réponses reçues confirment l'intérêt pour E2med et Caducée.

 

Cependant, il semble clair que l'intérêt grandissant des professionnels de l'information pour ces services semble attester du fait que ces derniers commencent à prendre une part non négligeable dans le domaine des ressources d'informations consultées par les chercheurs. Ces premiers retours des usages sont très partiels, une étude approfondie reste à faire intégrant également les autres services orientés professionnels de la santé.

 

 

Conclusion : services émergents, succès variable

 

Avant tout, il convient à la fin de cette étude de conclure sur le fait que les services de l'échantillon étudié opèrent plus dans une logique de bouquets de services plutôt que de « clubs » communautaires comme nous l'avons montré précédemment.

 

D'autre part, la multiplication récentes des offres de jeunes sociétés devrait se heurter à la mise en place de services pilotés par les oligopoles du secteur  médical :

Ayant déjà intégré les éditions Masson, le groupe Vivendi/Havas a fait le plein des rachats ces derniers mois : rachat du groupe Quotidien du Médecin au premier semestre 98, puis  de la société OVP-Editions du Vidal le 23 novembre 98. L'opérateur Cegetel responsable de la mise en place du RSS, appartient au même groupe... Tout ceci converge vers une position renforcée de Vivendi pour le secteur de la santé. D'autres acteurs se positionnent : France-Telecom  avec la présentation d'un service Wanadoo-Santé au MEDEC, la société Cegedim, leader européen, spécialisée dans les bases de données médicales et l'informatisation des cabinets, avec le rachat en décembre 98 du service « Reuters Health Information Limited »...

 

Mais face à ce marché en pleine configuration, rien ne garantit le succès de ces bouquets de services, même si les 113500 médecins libéraux doivent être raccordés prochainement pour l'informatisation des procédures administratives des actes de soin (carte Vitale). Cette informatisation induira-t-elle de nouvelles pratiques de lecture et de formation du corps médical ? Donnera-t-elle une réelle chance de succès à ces services Internet ? Il est trop tôt pour apporter des éléments de réponses mais les points d'entrée bien établis que constituent certaines publications comme le « Quoti­dien du Médecin » ou le « Généraliste » nous semble très difficile à détrôner, ces revues étendant par ailleurs leurs services sur Internet.

 

Quant au marché de la recherche, les incertitudes pointées concernent la difficulté de rassembler une couverture de revues nécessaires pour un chercheur, l'acceptation de bandeaux publicitaires comme dans BioMedNet et l'usage même d'un ordinateur comme support premier d'information face aux vecteurs en place : colloques, revues, réseaux de collègues établis...

Par ailleurs, les sites Web des revues comme « Nature », « Science » par exemple, apparaissent comme des concurrents sérieux pour la mise en place de ces bouquets de services scientifiques sur Internet, élargissant considérablement leurs savoir-faire initial d'éditeur scientifique vers des services de communi­cation scientifique.

 

Le 24 Mars 1999.

 

 

 

Références bibliographiques

 

 

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- Valentini R. P. , Daniels S. R. (1997), « The journal club », Postgraduate  Medical Journal, Vol. 73, n°856, 1997, pp. 81-85.



[1] National Institute of Health : <URL : http ://www.nih.gov>

[2] Telematics for Healthcare, DGXIII :<URL :  http ://www2.echo.lu/telematics/health/health.html>

[3] Contrat disponible sur le site  Cegetel.rss  <URL : http ://www.cegetel.rss.fr>

[4] Service E2med : <URL : http ://www.e2med.com>

[5] Service Caducee : <URL : http ://www.caducee.net>

[6] Service Club  Médical : <URL : http ://www.club-medical.com>

[7] Service Global Santé :<URL : http ://www.globalsante.fr>

[8] Service Medisite : <URL : http ://www.medisite.fr>

[9] Service BioMedNet : <URL : http ://biomednet.com>

[10] « Havas rachète le Vidal : un atout dans la lutte entre services Internet d'information santé », Infotecture, n° 395, décembre 98, pp.1-3

[11] Voir le lancement du service Egora au salon du MEDEC 99 : <URL : http ://www.egora-sante.com> ainsi que la baisse des coûts de  l'offre RSS de Cegetel et de l'offre Club Médical.

[12] « FMC : le plan Kouchner »Quotidien du médecin n°6430, lundi 8 février 1999.

[13] Salon du MEDEC 99, 17-20 Mars 99, réunissant les professionnels de la santé, http://www.medec-fmc.com/